Laure Murat – Proust,

roman familial

RENTREE LITTERAIRE 2023

vagabondageautourdesoi.com - Laure Murat -

Je commence ce Proust, roman familial de Laure Murat comme une invitée dans une maison aristocratique, différente de la domesticité qui reproduit un ordre sans le discuter. Ainsi, ce majordome, cité par l’écrivaine, qui mesure la distance de la fourchette au couteau sur une table de réception. Tout comme Marcel (Proust), sur les planches de Cabourg, regarde les aristocrates évolués comme des singes dans une cage.

Cette position, Laure Murat nous l’offre en décrivant le monde de l’aristocratie de l’intérieur. Son arrière-grand-mère avait reçu Proust,  » ce petit journaliste que je mettais en bout de table… » dès les premières années de 1900, noyé auprès de mille invités. Admis, mais sur un strapontin !

Et, au lieu d’en éprouver un ressenti cuisant, Proust s’en amuse et décortique benoîtement tout ce qu’il voit ! La recherche du temps perdu est un brûlot social sur un ordre révolu, qui a été et qui n’est plus, mais qui ne le sait pas encore. Car, comme l’explique Laure Murat, la seconde guerre mondiale finira de casser cette classe sociale que la première avait déjà bien abîmée.

Laure Murat ne signe absolument pas un roman. Elle dissèque une œuvre qu’elle connaît parfaitement, sous le prisme de sa famille aristocrate d’Empire. Elle y ajoute son analyse et la met en perspective. Certes, il y a quelques longueurs mais, dans l’ensemble, c’est passionnant ! Proust s’est gargarisé de subtiles mondanités mais son regard critique est resté en éveil, lui qui portait sa maladie comme une urgence à écrire.

Proust, émancipateur !

Néanmoins, Laure Murat complète cet essai du récit d’événements personnels émouvants. Les pages consacrées à la relation avec sa mère sont d’une éprouvante lucidité. Même si le bannissement fut vécu comme une libération, il n’en demeure pas moins que la souffrance due à cette frigidité d’amour maternelle glace au plus haut point.

Un autre aspect prouve la modernité de Proust. La recherche du temps peru analyse cette « race des tantes », ou homosexualité, comme une étude sociologique du début du siècle. Le rapport de police découvert par Laure Murat, aux archives de la Police, est savoureux, mettant en scène un Proust, rentier ! Ces deux aspects ont été libérateurs pour Laure Murat, lui permettant ainsi de mieux s’assumer.

La sempiternelle question est celle qui demande s’il faut avoir lu l’œuvre pour découvrir cet essai. Je ne sais répondre. N’avoir pas lu tout Flaubert n’empêche pas de prendre connaissance d’essais le concernant. Le travail de Laure Murat auprès de ses étudiants est de justement désacraliser l’œuvre pour accéder aux intentions de l’écrivain. Et, je pense que cet essai suit le même objectif.

En résumé, Proust, roman familial de Laure Murat ravie par son analyse, sa finesse et son élégance pour réaffirmer l’importance de lire l’œuvre. Et, en plus c’est un témoignage humain poignant ! Alors ?

Puis quelques extraits

Plus je creusais, plus je comprenais que cette scène minuscule métamorphosait le principe sur lequel toute une caste se tenait en équilibre, à la manière d’une pyramide qui repose sur sa pointe.

(…) ce qui se transmet ne s’enseigne pas.

L’aristocratie, royaume du signifiant pur et de la performance sans objet, edt un.monde de formes vides.

Chaque objet était un instantané de l’histoire en même temps que la preuve palpable que « nous » l’avions faite.

Le constat est sans appel : après l’achat du premier volume, une grande partie du lectorat, découragé, renonce à poursuivre et à embrasser une œuvre que Proust avait conçue comme un tout insécable et rêvait de publier en un seul volume, vœu réalisé en 1999 par ka collection Quarto de Gallimard ( 2400 p, 1,56 kg).

Plébiscité, encensé, revendiqué comme le plus grand écrivain du XXème siècle, Proust subit le sort des artistes fétichisés, dont la reconnaissance et le prestige sont inversement proportionnels au succès commercial.

Seul peut-être le romancier est-il capable de tirer son épingle du jeu car, destiné à observer et à accumuler un savoir au service d’un but supérieur, il ne peut être ainsi  » naïvement snob » que les autres.

Et encore,

Trop clairvoyant pour ne pas distinguer la « vanité  » et le « péché intellectuel » que représente le snobisme, trop honnête pour ne pas reconnaître sa faiblesse à tomber dans certaines de ses chausse-trappes, trop lucide pour n’y pas voir un aveuglement et la menace  » d’une interruption momentanée dans l’exercice du goût », Proust va se servir du snobisme comme d’une arme et d’une lunette à travers laquelle déchiffrer la société.

D’une roturière en passe d’intégrer la famille et qui ignorait les usages, ma mère laissa tomber un jour d’une lippe ennuyée ce commentaire qui la résume entière :  » Elle est inmélangeable. »

C’est cela, surtout, que ma famille m’a le plus reproché : tu as fait pleurer ta mère en public. Comme une domestique.

Les vœux de mort de ma mère, la lâcheté embarrassée de mon père et l’opprobre unanime jeté par ma nombreuse famille, loin de m’enfoncer dans la déchéance et l’indignité escomptées, m’ont au contraire sortie d’une lugubre gangue, comme on se défait d’un manteau d’infamie.

Dire : voilà la faute suprême, La famille, aristocrate ou pas, n’exclut personne tant que les choses ne sont pas dites.

C’est l’ultime et perverse victoire de la société et de ses institutions : prolonger la loi du silence jusqu’à l’apparente acceptation, ou plutôt articuler la tolérance à la persistance du mutisme imposé.

Dans les années 1980, l’homosexualité est donc un scandale aux États-Unis et une maladie en France.

Comme le sadique est l’homme qui recèle le cœur le plus sensible, comme le cruel est l’être le plus sentimental, Le Cuziat a peut-être été, au fond, et selon un paradoxe proustien éprouvé, un blasphémateur éminemment moral.

Ici en bref

Incipit
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Un extrait
Puis le dernier

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Laure Murat – Proust,roman familial

Éditeur : Michel Lafon

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Parution : 24 août 2023

EAN : 978B0C4G4HK56

Lecture : Octobre 2023

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17 commentaires

    • Il devrait te plaire car Laure Murat explique en quoi Proust fut un émancipateur pour elle avec un certain humour !

    • Ah non, c’est une vision neuve, pour le coup et elle révolutionne un peu, justement, la portée de l’œuvre de Proust. Cet auteur est présenté comme une émancipation!

    • Son essai compare sa vision guidée, cadenassée de l’aristocratie avec une mère particulièrement fermée à l’amour maternelle. Assez poignant ! Mais, tu as raison, tou’ours respectée ses envies Bonne continuation 😉

  1. Bonjour Matatoune. Comme j’adore Proust je pense que ce livre pourrait me plaire ou, en tout cas m’intéresser ! Il y a tant à dire sur « La Recherche du temps perdu »! Merci de cette présentation et bonne journée 🙂

    • Le lien avec sa famille aristocratique permet de comprendre l’aspect subversif de Proust et, elle m’à fait comprendre pourquoi à vingt ans, j’avais tant aimé lire La recherche. Proust comme émancipation, quel analyse !

    • C’est quand-même l’anecdote phare du livre , comme une bande annonce, aguicheuse exagérément 😉, mais Laure Murat pratique bien l’ironie !

  2. S il peut redonner envie de se plonger dans la langue fascinante de Proust, pourquoi pas

    • Difficile de te répondre j’ai lu La recherche ! En tout cas qu’importe que ce soit à 20 ans, 50 ou 80 ans, pour elle, il faut s’y plonger et cesser de croire que son style est toujours aussi imbuvable et alambiquée !

    • Oui, c’est une vraie surprise de cette rentrée littéraire. Elle est encore en sélection pour le Goncourt !
      Bonne journée 😉

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