Dennis Lehane – Le Silence

vagabondageautourdesoi.com - Dennis Lehane - Le « Busing », c’est au cœur de cet événement historique de Boston en 1974 que Dennis Lehane situe son nouveau roman Le Silence. Six ans, qu’il n’avait pas écrit, alors forcément, après Shutter Island et de Mystic River, tous deux portés à l’écran, ce roman-là était attendu.

Non seulement, Dennis Lehane ne faillit pas à son talent en construisant un roman noir très réussi, mais sa Mary Pat est tellement crédible qu’elle peut entrer au Panthéon des héroïnes qu’on n’oubliera jamais !

Brins d’histoire

Mary Pat, de son nom Fennessy, est une femme seule élevant sa fille Jules qui est en terminale. Elle habite Southie (South Boston), le quartier blanc de Dorchester, réputé pour être le quartier pauvre de Boston. Malgré ses deux boulots, elle n’y arrive pas ! Et, c’est en tant qu’aide soignante dans une maison « pour personnes ravagées », comme elles disent entre elles, qu’elle fait la connaissance d’une collègue noire, Dreamy.

Vivant toujours dans le même quartier, Marie Pat n’en a jamais remis en cause les règles, même si c’est la mafia du lieu qui les édicte. Ne rien changer, même si les rêves de jeunesse sont depuis longtemps oubliés. Et, surtout ne jamais se mêler des trafics qui gangrènent le quartier, rester fidèle à sa communauté, le seul clan qu’elle connaisse en acceptant de regarder ailleurs, lorsqu’il le faut ! Cet entre-soi, elle le revendique comme tous ! Pauvres, certes, mais blancs, aux fières origines irlandaises.

D’autres vivent à Dorchester, aussi pauvres qu’eux, mais noirs, il ne faut jamais confondre, et surtout garder intacte la ségrégation qui existe depuis toujours.

Le busing

Par souci d’égalité, le juge fédéral Garrity décide de mixer les misères : que les étudiants noirs finissent leur lycée dans le quartier blanc et inversement, des étudiants blancs intègrent le lycée public noir, au sein du dispositif appelé busing. Au sein de la communauté irlandaise, il ne s’agit pas seulement de durée de transport en bus !

Dans ce contexte, Jules disparaît. Personne ne sait ce qu’elle est devenue après minuit quarante-cinq, au moment où elle devait rentrer à pied chez elle. Seulement ce soir-là, Auggie Williamson, jeune de vingt ans, a dû traverser le quartier car sa voiture était en panne. Il est retrouvé mort sur le quai du métro. Il était noir traversant le quartier blanc.

Non seulement, Mary Pat va partir à la recherche de sa fille mais, lorsqu’elle découvre que Auggie était le fils de sa collègue Dreamy, ses certitudes vont commencer à s’effriter.

Polar noir assurément

Dennis Lehane revient à ses obsessions, sa ville, Boston, sur fond ici de l’Amérique de Nixon. Il avait 9 ans lors des événements du Busing comme il le raconte dans les interviews. Alors, cet événement historique qui a mis le quartier en ébullition à l’été 74 est aussi le prétexte de révéler les contradictions d’une société corsetée par son histoire. Mais, dans Le Silence, c’est le cheminement inverse qu’il décrit à travers son héroïne qui, au fur et à mesure, remet en cause la ségrégation ambiante.

Seulement, de cette ambiance lourde, Dennis Lehane propose un portrait de femme qui, au début, n’est vraiment pas sympathique. Raciste, butée dans ses certitudes, anguleuse et batailleuse, Mary Pat n’a rien pour attirer l’empathie. Seulement, la disparition de sa fille et les circonstances qu’elle va découvrir vont apporter un autre regard sur cette femme aimant autant les cigarettes et l’alcool que la bagarre. Son cheminement sur la ségrégation et sa culpabilité sur la responsabilité à l’avoir perpétuée sont les ressorts que travaille Le Silence.

À travers ce récit, Dennis Lehane détaille la relation parentale d’une femme ayant élevée seule sa fille, confrontée aussi au deuil d’un enfant. L’empathie de l’écrivain est palpable, même si son double semble s’incarner dans le flic Bobby. Leur relation est un fil conducteur tout au long du roman et concourt à donner beaucoup de consistances aux personnalités décrites. Sa relation paternelle est aussi analysée dans une nuance moderne de la parentalité.

Pour conclure,

Et, il y a de la jubilation à découvrir qu’une femme déterminée peut à elle seule démanteler un groupe de la maffia, remettre à leurs places ces caïds de pacotilles et les forcer à avouer un meurtre qui normalement ne devait pas être revendiqué. Bien sûr, on est fans la fiction. Mais, juste, y croire un peu, ça fait déjà du bien !

Dennis Lehane réussit, encore une fois, un polar noir extrêmement réussi. Il reste le maître incontesté et incontestable !

Puis quelques extraits

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Les jeunes de la cité détestaient rester à l’intérieur, de la même façon que les riches détestaient aller travailler. Rester à l’intérieur, cela voulait dire sentir la cuisine des voisins à travers les murs, les entendre se disputer, les entendre baiser, les entend tirer la chasse d’eau, entendre ce qu’ils écoutaient à la radio ou sur leurs tourne-disques, ce qu’ils regardaient à la télé. Parfois même, vous aviez juré que vous pouvez les sentir, eux, l’odeur de leur corps, la cigarette dans leur haleine, la puanteur de leurs pieds gonflés. 

Cela fait combien de temps qu’elle n’a pas aspiré à quelque chose ? Cela fait combien de temps qu’elle n’a osé croire quelque chose d’aussi fou que quelqu’un, quelque part, possède les réponses à des questions qu’elle ne peut pas formuler.

Ils sont pauvres parce que la quantité de chance qui circule dans le monde est limitée et qu’ils n’en ont jamais reçu la moindre part.

Encore un bon exemple de ces connards de riches dans leurs châteaux de banlieue chic (…) qui disent aux pauvres, coincés dans la grande ville, comment les choses doivent se passer.

Et encore,

Les riches font en sorte qu’on continue à se battre entre nous comme des chiens qui se disputent les miettes pour qu’on ne les attrape pas en train de se tirer avec le festin.

Je te suggère de te rappeler que les grosses s’en vont, c’est ce que font les gosses, mais les voisins, eux, restent.

J’ai remarqué que ceux qui déblatèrent le plus sur les gens de couleur et leurs défauts, généralement ils ont exactement les mêmes défauts.

– Est-ce que tu sais quels sont les pays vraiment heureux ? Le Danemark, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, l’Islande. (…) Ils restent entiers parce que les différentes races ne se mélangent pas, tout simplement parce qu’il n’y a pas de races différentes à mélanger.

-Ta fille a disparu. Mon cœur saigne pour toi. Mais le fait quel que soit l’endroit où elle est allée, ne saurait annuler mon droit à poursuivre mes activités dans ce quartier.

Et encore, encore

Appelez- les niaks, appelez-les nègres, appelez-les youpins, « micks » , métèque, ritals ou bouffeurs de grenouilles, appelez-les comme vous voulez, pourvu que vous leur colliez un nom quelconque qui enlève une couche d’humanité à leur corps quand vous les évoquez.

(…)  et il songe à la possibilité que ce n’est peut-être pas l’amour qui est contraire de la haine. C’est l’espoir. Parce que la haine prend des années à se former, tandis que l’espoir peut déboucher au coin de la rue alors même que vous avez les yeux ailleurs.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Incipit
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Un extrait
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4ème de couverture

Dennis Lehane – Le Silence

Traduction : François Lappe

Éditeur : Editions Gallmeister

Twitter : #EditionsGallmeister Instagram : @editions_gallmeister

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Parution : 6 avril 2023

EAN : 9782351783221

Lecture : Juin 2023

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24 commentaires

  1. Très bon livre en effet j’ai trouvé. Et pour rebondir sur un commentaire plus haut pour moi la mère est impressionnante parce que pas parfaite (donc crédible).

  2. Apparemment les romans de cet auteur sont souvent adaptés au cinéma, je suppose que celui ci le sera également ! Je ne lis pas de polars en général donc je préfère passer. Merci ! Bonne journée à vous Matatoune

    • Oui, celui-ci devrait être porté à l’écran, et la question est par quel réalisateur. Clint Eastwood avait réussi le Mystic River, Scorcese de même avec Shutter Island. Seulement, les autres, ( 6 en tout) sont passés assez inaperçus. Alors… Suspens! Très bonne continuation à vous

    • Vraiment à découvrir avec ce portrait de femme si particulière dans sa vengeance et si émouvante dans son combat ! Un très bon roman noir ! 😉

    • Comme j’ai été ravie de retrouver cette écriture fouillée, son sens de l’intrigue et cette critique sociale si fine ! Vraiment un très bon roman !

    • Oui, vraiment très bien écrit, au cœur de la culpabilité qui travaille cette Amérique que l’on aime tant, et un portrait de femme, batailleuse qui n’a plus rien à perdre depuis la disparition de sa fille ! Un grand roman ! Bonne journée 😉

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