A la faveur du dispositif de Masse critique et des Éditions Flammarion, j’ai reçu ce livre moyennant la publication d’un avis sur le réseau social Babelio. L’humanité, figures du PEUPLE
Ces photos, issues du fond photographique du journal L’Humanité, retrace la vie, les espoirs, la solidarité, les combats de ma classe sociale au siècle dernier. En montrant ces quelques photographies choisies dans ce livre, que ni mon père, ni ma mère et ni même mon frère ne peuvent plus commenter, j’ai souhaité témoigner de ces moments où le souvenir rencontre l’Histoire.
Je souhaite que vous soyez nombreux à feuilleter, comme moi, ce beau livre d’images et à y retrouver des moments de vie qui ont fondé ce siècle à partir de ces photographies de la classe ouvrière qui montrent ses combats et sa lente mutation !
Et, puis, j’espère aussi que les auteurs et les éditions Flammarion ne m’en voudront pas de ce détournement. Mais, un livre n’est-il pas fait pour être réinventé par son lecteur ?

Mon père est un peu plus vieux que ces jeunes gens. Pourtant, il me plaît d’imaginer qu’il leur ressemble. Ce qui frappe dans cette photo, ce sont les sourires, la tranquillité et la camaraderie!

Signer ainsi une pétition avant d’aller travailler montre la conscience politique de l’époque ! Faire partie du groupe qu’on retrouve aux réunions, sur les piquets de gréve, aux AG et lors des manifs puis dans chaque réunion, c’était le quotidien des ouvriers qui savaient que “Ensemble”, il pourrait, peut-être, faire fléchir le patron! Il s’agissait aussi de prendre son destin en mains pour imposer un monde meilleur!

Si j’ai choisi cette photo, ce n’est pas pour montrer l’engagement de ma mère. Pas du tout! Ma mère avait été orpheline très jeune et elle devait aux institutions religieuses de l’avoir soignée, élevée puis enseignée un métier et prétendre à être une bonne mère et femme au foyer ! Non, c’est pour le témoignage de ces femmes qui avaient pris part à la vie de la nation pendant la guerre, à l’usine, à l’hôpital, et qui n’entendrait plus laisser leur parole à d’autres! Ce sont les prémices de cette libération de la femme qui sera pour ma génération une formidable aventure!

Je suis allée une fois en colonie avec mon frère. J’avais 5 ans. Mais, cela a été contre-productif puisque la colonie me rappelait la maison de cure que j’avais fréquentée plus d’une année à l’âge de 3 ans, avec dans le contrat, le fait de manger pour que mes parents puissent me “visiter” une fois par mois !
Si j’ai choisi cette photo, c’est pour deux choses : le bus et le manteau de cette femme. Ma mère portait le même sur les photos de mon baptême ! Oui, mon baptême! Je suppose que mon père n’avait pu convaincre ma mère que tout cela n’était que foutaises ! Le même avec du velours au col et aux poches et resserré à la taille ! Du plus bel effet sur un corps jeune !
Et l’autre photo car, le bus était le transport en commun de ma famille! Ceux-ci avaient une plateforme ouverte à l’arrière! C’était comme de posséder un peu sa voiture avec le plaisir de voir défiler les paysages !

Je me souviens des colères de mon père concernant les exactions de l’O.A.S et les positions du gouvernement. Malade et diminué, il était cloué seul entre ses quatre murs à ressasser ses émotions. Il avait perdu sa dignité d’ouvrier, sa bande de copains, son autonomie. Il essayait de faire reconnaitre son accident en accident du travail. Et, malgré l’évidence, il n’y arrivait pas encore! Comme un lion en cage, il fustigeait seul dans son deux-pièces beaucoup trop petit pour contenir une famille avec de temps en temps des camarades qui passaient!

Ça c’était Billancourt, son usine, sa régie, ses ouvriers et son côté populaire. Nous, nous habitions Boulogne! Même commune, mais quartier différent! J’ai côtoyé pendant ma scolarité secondaire des filles d’ambassadeur, de hauts-commissaires, etc. J’ai eu la chance de jouer aux princesses dans des hôtels particuliers côté Auteuil dont ma mère assurait l’entretien ! Mais, entre Billancourt et Auteuil, il y avait mon quartier. On y vendait l’Huma au coin du trottoir et moi, j’avais en même temps Pif le chien, ma première BD ! L’appartement où nous habitions n’avait pas de confort : WC sur le palier et toilettes dans l’évier de la cuisine, comme de nombreuses familles populaires.
Mon oncle (frère de ma mère) travaillait chez Renault-Billancourt. Il vivait sur le même palier que nous ! Puis, il a emmené femme et enfants dans un pavillon avec jardin et grand confort en Normandie, à Cléon, où il est devenu le contremaître, parait-il, apprécié des “camarades” ! Il avait commencé à travailler à 14 ans et avait connu toutes les luttes de la Régie.

Clin d’œil particulier d’un grand-père à l’un de ses petits fils !

J’ai choisi cette photo pour deux raisons : la jeune femme au premier plan, image de l’avancée des femmes dans la société – cheveux courts, pantalons et chaussures plates, et l’affiche : l’espoir que les fils d’ouvriers entrent à l’université! 50 après, les fils d’employés, d’ouvriers et de techniciens ont été à l’université. Il y a plus de 80% d’une classe d’âge qui obtiennent le Bac. L’espoir de cette génération s’est enfin réalisé. Mais, depuis peu, on parle de sélection avec une réforme qui n’ose pas dire les choses ! Les luttes sont à recommencer éternellement !

Franchement, cette jeune fille avec ses tresses à la “Simone de Beauvoir” et son sourire épanoui et sa blouse brodée, je trouve que je devais lui ressembler un peu. La certitude que demain serait différent, peut-être !
Et, le jeune homme, il ne vous rappelle rien … Mais, si un peu quand-même … la photo de l’album San Francisco

“Chacun des corps qui choisissent de s’en revêtir proclame ainsi ce qu’affichaient autrefois les banderoles. Le cliché fait entrer dans une histoire personnelle, au delà de la grande histoire, quoique en lien avec elle”. L’Humanité, figures du peuple.
Ce commentaire me semble très juste : de la lutte par et avec le collectif, dans les années 70, on est passé à une lutte individuelle qui s’inscrit, ou pas, dans un courant collectif ! Un début de cette individuation de la société, peut-être ?
Pour la première fois, les classes populaires découvraient ce qu’était une salle de bains, une cuisine avec du formica et appareils ménagers et où chaque enfant pouvait avoir son espace. Ces ensembles, qui sont devenus, plus tard, des ghettos, ont été à cette époque une formidable avancée. Ils ont fondé la banlieue rouge, bastion communiste invincible jusque vers les années 2000. Les syndicalistes s’investissent dans la politique pour mettre en pratique leur idéologie sociale. Mais, à l’époque, leur idéal est déjà entrain de se fendiller pour complétement se déchirer par la chute du mur de Berlin. De plus, les différents chocs pétroliers viendront rappeler à la nouvelle classe ouvrière la précarité et la pauvreté. Les premiers habitants quitteront ces cités pour investir un peu plus loin dans les pavillons de banlieue où le petit jardinet développera des idées de propriétaire ! Faute de moyens et d’engagement bénévoles, les services municipaux, associatifs et publics se désengageront de plus en plus laissant la place au communautarisme dont nous souffrons actuellement ! Les ghettos à l’américaine sont nés et malheureusement, nous n’avons pas fini d’en subir les conséquences!

Cette femme m’a fait penser à ma belle-sœur : même col roulé, même coiffure à la “Mireille Matthieu”, un peu la même blondeur et surtout, la même âme de militante. Nous étions allés la chercher à la gare pour l’amener à un congrès syndical où déléguée de son secteur, ils devaient définir la politique globale.

Il y avait un monde fou ! Maintenant, je sais que c’était le dernier raout contre les fermetures annoncées. Après, cette manifestation, tout se fera quand même !
On apprendra plus tard, que les évolutions salariales doivent s’anticiper et se négocier bien avant pour éviter la cassure brutale d’un licenciement… Et, moi, je suis encore attachée à cela !
Il y eut des échauffourées dont les dernières nous avez obligé à se réfugier dans le métro pour éviter d’être pris entre “casseurs” et CRS. Et, je viens juste de réaliser que j’étais enceinte ! Insouciante jeunesse…

“Mais les usines Citroën et Talbot, qui comptent 50 % à 75 % d’immigrés parmi leurs salariés, “OS à vie “, délibérément tenus à l’écart des formations qui pourraient leur permettre une évolution de carrière en n’ont pas été affectés par ces mouvements. Le “système Citroën”, bâti notamment sur l’existence d’un syndicat maison qualifié d’indépendant, et la chape de plomb qu’il fait peser sur quiconque essaye de relever la tête, n’y est sans doute pas étranger. De “Les conflits Talbot : du printemps syndical au tournant de la rigueur – 1982/1984
Nous avions soutenu cette manifestation. C’était la première fois que je rentrais dans une usine !
Mais, ce que cette photographie montre c’est l’extrême dignité de ces hommes. La seconde génération a compris très vite l’inefficacité de cette attitude. Par nos expériences professionnelles, nous avons lutté pour que ce soit possible ! Pour la troisième génération, nous n’y sommes pas arrivés !

Évidemment, nous y étions avec mon petit en poussette. Nous n’étions pas seuls. Nous y étions tous … C’était une réaction contre la manifestation du 4 mars 1984 où toute l’école privée et ses défenseurs avaient défilé. Il s’agissait de faire nombre ! Et, ce fut réussi ! Mais, le projet de loi fut retiré et Mitterrand désavouera son ministre, Savary, puis son premier ministre, Mauroy. On ne pensait pas que cela aurait été si rapide ! …

Ce slogan évoque l’état d’esprit de l’époque : un retour rapide d’une sociale démocratie qui n’aura pas peur de justifier les moyens par les fins à atteindre!
C’est un électrochoc pour la gauche en France et les étudiants qui ont manifesté contre le projet de loi Devaquet. La cohabitation Mitterrand – Chirac le retire.
Son nom restera à jamais attacher à une bavure policière que l’on nomme encore “le syndrome Oussékine”. Triste constatation!

C’est le slogan de toute ma génération ! De le voir écrit ainsi en rouge sur une page complète, me donne la chair de poule !
Je réaffirme, plus de cinquante ans plus tard, le même espoir…Car les murs se bâtissent de plus en plus hauts, la bête noire revient par toutes les interstices et les populismes le détricotent irrémédiablement et en de plus en plus d’endroits sur la terre!
Ma dernière photo est celle-ci. Je ne me reconnais pas dans ce portrait d’instit. Mais, c’est pour le dessin qu’il porte sur son chapeau. Il est le symbole de mon syndicat. Je n’ai pas l’âme d’une militante ! Mais, jusqu’à la retraite, j’y sis restée fidèle. même lorsque mes responsabilités auraient pu m’en éloigner.
Ce petit bonhomme, qui a évolué au fil des époques, représente mon engagement professionnel …Un autre jour, peut-être !