Chloé Delaume – Pauvre folle

RENTREE LITTERAIRE 2023

Choisir le train pour s’isoler dans ses pensées et étudier ses relations amoureuses est le projet de Clotilde ce week-end-là, imaginée par Chloé Delaume dans son roman Pauvre folle. Son objectif est d’arrêter de tourner en rond en décortiquant, tel un chirurgien, tous les souvenirs pour reconstituer le puzzle de sa vie.

Et puis dès la page dix-huit, le mot « truie » qui single au moment du premier choc esthétique littéraire de la jeune Clotilde. Et, son choc littéraire, le lecteur l’éprouve physiquement avec la langue qui nomme, happe, frappe et émerveille de précision et de poésie à la fois.

Clotilde, le double

Clotilde est orpheline depuis l’âge de ses 10 ans et 3 mois. Un « uxoricide », autre mot, qui dit la faute sur la femme qui part, que l’homme tue avant l’apparition du mot féminicide que Clotilde s’approprie. Car, pour Clotilde les mots ont leurs importances, ils lui sont même essentiels !
Ainsi dire sa bipolarité fait partie de cette recherche. Nommer pour se faire comprendre et reconnaître à la fois. Clotilde se définit aussi comme « misandre », développant une aversion envers toute personne exerçant un pouvoir patriarcal. Et puis, il y a sa Violette et sa 4 ème vague de féminisme va se heurter à un coup de foudre devenu relation nocive au fil des jours.

Chloé Delaume développe le récit du déni de l’emprise. L’amour d’une reine/Clotilde rencontre Guillaume/monstre au cours d’une résidence à la Villa Médicis. Puis, leur relation devient épistolaire. Seulement, en entrant dans le réel, elle s’y cogne, à faire très mal. Alors, plutôt que de souffrir, le déni opère, jusqu’à ne plus pouvoir respirer. Et Clotilde doit compter sur ses amis pour retrouver la maîtrise de sa vie.

Alors, lorsque de nouveau, cette relation par l’échange des mots renaît, Clotilde veut prendre le temps de l’étudier pour savoir si elle s’y replonge ou non. Le voyage en train doit apporter la réponse, avec un clin d’œil vers Goethe et la ville de Heidelberg, pour savoir guérir de ses souffrances.

Cet amour est représenté littérairement par la formule « elleetlui ». Seulement, le déni de la part toxique de cette relation n’est pas feint. Clotilde analyse, à partir de cette relation épistolaire, les liens entre la Reine, le Monstre et « elleetlui », l’emprise d’une relation amoureuse dangereuse qui isole et contraint dans l’attente et l’insatisfaction.

De l’enfance à l’adulte

Entre la première partie (décrire les fêlures) et la seconde (elleetlui), Chloe Delaume offre une promenade littéraire faite d’inventivités et de plaisir à manier les mots autant que de se confier sur tous les sujets d’actualité, sonorité, féminisme etc. Ses dix-sept portraits d’hommes que Clotilde appelle ses « couillidés » sont savoureux tant ils disent mieux qu’une conférence l’attitude de certains hommes actuellement.

Quittant l’autofiction, en s’inventant un double, Chloé Delaume offre une nouvelle étude des relations avec les hommes au lendemain de ce #MeToo qui ne cesse d’agiter chacun. Seulement, avec humour et dérision, elle rappelle que même au nom du féminisme, il n’est jamais interdit de rêver à l’amour, sauf à garder clairvoyance pour éviter de se laisser emprisonner dans la souffrance, terrain dont l’enfance a déjà fait l’expérience !

Puis quelques extraits

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Quelque chose en elle doit changer, son regard se déplacer, faire exploser la bulle pour ne plus tourner en rond.

C’est pour fuir le mot victime que l’on court vers l’oubli et la transmutation. Changer la fange en or est une obligation pour ne pas échouer en hôpital de jour ou en clinique privée.

C’est donc à ça qu’il sert, le concept de résilience, à continuer de marcher avec la faille au ventre, mains collées aux organes menaçant de se répandre, afin de rester dans le rang et ne pas perturber l’ordre qui est établi.

Elle se faisait des spots de Racine, comme on respire le pull d’une morte.

Transmettre, raconter, expliquer la souffrance psychique : les mots lui manquent, et en face d’elle, ils ne comprennent pas. Sans en faire l’expérience, ce qui est ressenti est hors de portée.

Les troubles psychiques sont synonymes de maladie mentale, or une société saine qui se veut performante n’a pas à s’encombrer de membres défaillants, de handicap si sournois , qu’ils peuvent être invisibles.

Les bipolaires traversent leurs états émotionnels avec une intensité démesurée, les maîtriser leur est difficile. (…) Elle se serait fait du mal et en aurait sûrement fait davantage, sans le soutien de la prêtresse et la magie de ses ordonnances.

Et encore,

Tous semblent désirer que les mots, bipolaire et psychose, ne soient jamais prononcés. Comme si les taire revenait en abracadabra à jamais les bannir.

Elle se lève animée par l’esprit de vengeance et de réparation. Elle quitte son lit pour partir en guerre : cela fait plus de vingt ans qu’elle transforme en ouvrages le mal qu’on lui a fait ou que l’on vient de lui faire.

Elle suivait le mouvement de ses grandes sœurs, elle se levait et se cassait, elle trouvait ça sain et logique. Le seul problème, c’était pour aller où.

Est-il plus monstrueux de se pavaner dans du renard mort autour de 1960 ou de balancer sa peau aux ordures comme on le ferait d’un bon chiffon, pour racheter tous les deux ans une parka contrefaite dont la fermeture pète, à la toile enduite de la sueur et du sang des Ouïghours ?

S’approcher du demi-siècle c’est sortir des radars permanents du mâle gaze, désormais il est rare qu’elle soit importunée dans un espace public, les relous elle les croise plutôt en soirées.

À quoi faisait écho l’idée que la poésie ramenait à la vie les cendres de l’amour ?

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus
Incipit
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Puis le dernier

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Quatrième de couverture

Chloé Delaume – Pauvre folle

X: @chloe_delaume – Instagram : @chloedelaume_autrice

Éditeur : Seuil

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Parution : 18 août 2023

EAN : 9782021497724

Lecture : Septembre 2023

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7 commentaires

    • Ce qui m’a intéressée au départ dans cette histoire c’est les liens entre l’enfance et l’adulte face à sa vie amoureuse ! Et je n’ai pas été déçue 😉

  1. La couverture de ce livre m’a interpellée lors de ma dernière balade à la FNAC, mais les essais poétiques me font fuir. Je pense que ce livre aurait vite fait de m’ennuyer. Bonne journée

    • Cette couverture dit tout: la chute d’une femme après avoir cru être une reine aimée et adulée et qui se retrouve exsangue après cette emprise! Une belle couverture pour un livre que j’ai bcp aimé. Bonne continuation 😉

    • Heureusement ! Moi aussi ! Mais, en analysant les mécanismes de l’emprise on fait œuvre de prévention pour faire évoluer les relations . Bonne continuation !

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