Mohamed Mbougar Sarr propose un roman intense, puissant et même haletant avec La plus secrète mémoire des hommes que le prix Goncourt vient de consacrer en cette année 2021.
Diégane Latyr Faye est un jeune écrivain sénégalais, arrivé en France depuis si longtemps qu’il n’envisage pas de retour dans son pays. Lui, l’écrivain, a une obsession qui le brûle : retrouver le roman Le labyrinthe inhumain d’un certain T.C Elimane, publié vers 1938, et comprendre comment est écrit un grand livre. Ce dernier raconte l’histoire d’un roi acceptant de brûler les vieillards de son royaume au début en échange d’un pouvoir énorme.
Il s’agit pour Diégane de rechercher des éléments auprès de ceux qui ont connu cet aîné autant auprès de sa propre famille, au Sénégal, qu’auprès de ceux qui l’ont rencontré en France, comme ses amis éditeurs et les autres écrivains francophones. Mais aussi, son enquête l’amene à Amsterdam auprès d’une étonnante écrivaine originaire de Dakar et même en Amérique du Sud recherché une poétesse Haïtienne.
L’obsession de Diégane est partagée par tous ceux qui ont approché ce “Rimbaud nègre”comme il a été qualifié. La quête de ce personnage énigmatique, qui n’a cessé de se fondre pour se faire oublier, transforme le roman en thriller, le lecteur restant scotché jusqu’à la fin. Les rebondissements, les retours en arrière et l’enchevêtrement des récits comme un labyrinthe rendent la lecture des trois livres de La plus secrète mémoire des hommes addictive et surnaturelle à la fois.
Derrière T.C Elimane, Mohamed Mbougar Sarr s’est inspiré de Yambo Ouologuem, écrivain malien, consacré par le prix Renaudot en 1968 pour « Le Devoir de violence”, accusé de plagiat et relégué, depuis, dans l’anonymat.
Mohamed Mbougar Sarr, avec sa façon très particulière, pose la question de la littérature francophone lorsque l’écrivain est africain. Dépassant superbement les représentations coloniales et celles migratoires, il inscrit sa réflexion sur le rôle de l’écriture, la condition de l’écrivain et l’universalité de la littérature. Mais encore faut-il accepter que l’acte d’écrire se nourrisse de toutes les lectures rencontrées, ce que le soi disant plagiat de T.C Elimane interroge.
Mais, là où le destin ou le hasard, ou les deux à la fois, place Mohamed Mbougar Sarr au cœur de la médiatique du prix Goncourt, Diégane livre son point de vue sur ce travail de communication qui doit s’adjoindre à celui d’écrivain pour pouvoir garder consistance littéraire. Avec un humour ravageur, Diégane se moque à la fois des écrivains africains et francophones, des honneurs, des critiques qui placent l’homme à la place de l’œuvre et même ceux qui essayent de résumer les thèmes d’un roman. Prémonitoire ?
En même temps que de décrire le travail de l’écrivain, Mohamed Mbougar Sarr pose le rapport du lecteur à la littérature. Il démontre combien un écrit bouleverse celui qui le découvre, combien il peut le hanter et le nourrir des réflexions qu’il véhicule. Diégane est avant tout un lecteur addictif qui se voit pris au piège des mots d’un autre.
La plus secrète mémoire des hommes raconte aussi l’importance de la transmission, celle de la culture, bien sûr, avec ces nuances animistes et le pouvoir des esprits. Mais aussi celle de sa famille. Le rapport au père, porteur d’un savoir particulier, y est analysé. La recherche des racines semble devenir indispensable à celui qui s’interroge. Du coup, le héros hérite de la sagesse de celui qui voit dans le futur, comme son père, pour lire et relier le passé au présent.
Beaucoup d’appréhensions ont accompagné la lecture du début de ce roman qui ont été balayées rapidement par le style, l’intrigue magistralement menée, les réflexions et la manière d’embarquer le lecteur dans un monde romanesque et fantastique.
Cette prose poétique se déguste avec délectation. Une très belle découverte !
Puis quelques extraits
On ne peut pas vivre l’instant et l’écrire en même temps.
Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore, un destin écrit à l’encre invisible.
Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire où découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout.
L’exilé est obsédé par la séparation géographique, l’éloignement dans l’espace. C’est pourtant le temps qui fonde l’essentiel de sa solitude; et il accuse les kilomètres alors que ce sont des jours qui le tuent
Mais chercher la littérature, c’est poursuivre une illusion.
Est-ce que les choses ont changé aujourd’hui ? Est-ce qu’on parle de littérature, de valeur esthétique, ou est-ce qu’on parle de gens, de bronzage, de leur voix, de leur âge, de leurs cheveux, de leur chien, des poils de leur chatte, de la décoration de leur maison, de la couleur de leur veste ? Est-ce qu’on parle de l’écriture ou de l’identité, du style ou des écrans médiatiques qui disposent d’en avoir un, de la création littéraire ou du sensationnalisme de la personnalité ?
Et, encore
Donc oui : je me fiche de la réalité. Elle est toujours trop pauvre devant la vérité.
Elle me disait toujours qu’espérer qu’une dictature devienne moins violente par ce qu’on ne lui résistait pas était une illusion suicidaire doublée d’une lâcheté.
Mais garder le silence ne veut pas dire renoncer à montrer. Voilà notre affaire : non pas nous guérir , non pas soigner , ou consoler ou pas serrer ou éduquer les autres, mais se tenir droit dans la plaie sacrée, l’avoir et la montrer en silence.
Cet avertissement nous disait, à nous écrivains africains : inventez votre propre tradition, fondez votre histoire littéraire, découvrez vos propres formes, éprouvez-les dans vos espaces, fécondez votre imaginaire profond, ayez une terre terre à vous, car il n’y a que là que vous exister de pour vous, mais aussi pour les autres.
Et encore, encore
Le nom signifie quelque chose. C’est commun dans nos sociétés traditionnelles. Mais pour certaines personnes, le nom ne s’arrête pas seulement à signifier quelque chose. Il n’est pas seulement un symbole mais un signe pour l’existence. Il dit quelque chose de l’être, pas seulement de sa personne, mais de l’être qui le porte. Il le guide. Il montre son chemin. Il annonce sa trajectoire ou ses facultés.
Il se peut qu’au fond chaque écrivain ne porte qu’un seul livre essentiel, une œuvre fondamentale, à écrire entre deux vides.
Ici en bref



Du côté des critiques
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Mohamed Mbougar Sarr – La plus secrète mémoire des hommes
Éditeur : Éditeur Philippe Rey/Jimsaan
Twitter : @EdPhilippeRey Instagram : @edphilipperey
Parution : 19 août 2021
EAN : 9782848768861
Lecture : Novembre 2021
Il me tarde de le lire, je l’ai réservé à ma BM. Mais il tarde à venir. Je ne voulais pas l’acheter, ayant peur de l’abandonner.
Moi aussi j’avoue avoir commencé presque à reculons et puis, je m’y suis laissée prendre..C’est une belle langue 🙂
Ta chronique est belle. Je pense le lire dans les prochaines semaines. Curieux de découvrir ce roman et cet auteur. Merci Matatoune 🙂
Oui j’avais un peu d’appréhensions à l’écoute des avis divers et puis j’y ai trouvé une belle sensibilité et un grand amour à la fois de son pays, de ses racines mais aussi de la France par la délicatesse de sa langue. Je conseille !
[…] Ils/elles en parlent aussi : Capitaine Alexandre. Les Carpenters racontent. Les liseuses. Miriam. Un balcon en forêt. Le jardin de Natiora. Sur la route de Jostein. Joelle books. J’ai 2 mots à vous dire. Sin city. Des livres aux lèvres. La plume de l’hirondelle. Vagabondage autour de soi […]
Bonjour Matatoune? Tu as écrit une belle chronique mais je suis souvent déçue par les Goncourt etce roman ne m’attire pas
Il y en aura d’autres ..Pas d’inquiétude ! Bonne soirée
j’hésitais beaucoup car je suis rarement d’accord avec le choix des Goncourt, et surtout les avis divergent beaucoup mais j’ai fini par le réserver à la BM donc liste d’attente 🙂
Je pense le lire un jour mais j’ai toujours tendance à laisser passer la vague…. mais je trouve également important de préciser qu’il s’agit pour ce prix d’une co-édition : Philippe Rey et Jimsaan, une maison d’éditions sénégalaise. 🙂
Oui c’est vrai ! Je rajoute 🙂
Merci pour le lien ! Il m’a moi aussi conquise 🙂
Oui roman superbe !
evidemment mis en résa à la bibliothèque pour découvrir son style mais je préfère en général, le Goncourt des lycéens
Il faut lire les deux Le S’adapter et La plus secrète mémoire des hommes, deux romans complétement différents mais tout aussi agréables à découvrir 🙂 A suivre donc !
Merci pour cette présentation. C’est assez rare que je lise le Goncourt et de toute façon pas tout de suite. Bonne semaine
c’est un roman que j’ai bcp aimé malgré mes appréhensions du début ! Bonne soirée
C’est sûrement un très beau roman. L’histoire d’un écrivain francophone ça pourrait beaucoup m’intéresser ! Bonne soirée
Oui, et il faut se laisser embarquer …Un bien plaisant moment de lecture !