Maylis de Kerangal – Canoës

vagabondageautourdesoi.comMaylis de Kerangal réunit huit nouvelles comme un roman particulier autour de l’expression de la voix humaine.

Maylis de Kerangal triture jusqu’à la démesure son langage, choisissant mots et expressions au plus juste de son envie de perfection, les malaxant pour faire éclore émotions et sensations, les agençant sur plusieurs pages sans respiration, le point intervenant longtemps après …

Son talent sert la sonorité particulière de la voix humaine. A la fois, médiateur de l’émotion mais aussi signature personnelle, la voix accompagne et traduit la personnalité mais aussi le lieu et le moment où elle est entendue. Maylis de Kerangal décrypte les changements d’inflexion qui veulent dire tant !

Évidemment, des nouvelles m’ont profondément émue. D’abord, Mustang, le récit de l’expatriation familiale et de la dépression réactionnelle, aurait pu à elle seule être un roman avec ses, déjà, dix chapitres. Et puis, la voix de la femme défunte encore sur le répondeur familial que l’on ne veut, ne peut supprimer dans Un oiseau léger. Et lorsque la voix bloque, le temps s’arrête et ne repart jamais au même endroit et c’est After.

Cette série de nouvelles autour de la voix est un beau texte sensible et émouvant. Le mot canoës se retrouvent dans chacune d’elle, comme un geste de complicité de Maylis de Kerangal avec son lecteur. A découvrir, plaisir littéraire garanti !

Puis quelques extraits

cite-56a4b9b45f9b58b7d0d8877b(…) m’obstiner à prendre le bus ou a marcher n’avait d’après lui pas d’autre mobile que de faire ma spéciale, de signifier à ceux d’ici que j’étais différente, européenne, formée aux vraies villes, vivant dans une capitale où conduire n’était pas requis car le métro, son étoilement arachnéen, ses lignes prolongées au delà du périphérique, portait partout, et vite, souplement, ainsi ne pas savoir conduire, oui, il l’affirmait, c’est le signe de ton dédain pour les contingences, la vie pratique, comme si j’étais au-dessus de tout ça, mais tu n’es pas au-dessus de tout ça, répétait-il, rassemblant ses livres et ses cahiers dans une grande besace de toile (…)

Sa voix, autrement dit la vibration singulière qu’elle émettait dans l’atmosphère et que j’aurais reconnue comme la sienne parmi des milliers d’autres, sa voix n’était plus dans son corps mais comme doublée par une autre, à peine différente, mais modifiée.

Un courant d’air glacé est passé devant moi, et j’ai chaviré contre le dossier de la chaise. Durant quelques secondes, je me suis senti comme un homme debout sur une rivière gelée qui soudain craque et se morcelle, les lignes de fracture s’étiolant à toute vitesse autour de moi, filant à perte de vue.

L’irruption de la voix des morts dans le monde des vivants défait le temps, implose les frontières, l’ordre naturel se détraque, et la voix enregistrée de ma femme tenait toute sa place dans la confusion.

(…) je voulais voir revenir cette voix qui contenait Rose toute entière, matérielle bien qu’impalpable, physique comme seule la voix peut l’être.

(…) ces mouvements, ces actes qui continuent de tisser les liens entre les vivants et les morts, au-delà des cimetières, au-delà des urnes oubliées dans l’obscurité des niches, au-delà des dates anniversaires et des cadres qui exposent les photographies des défunts sur les murs des maisons, à la vue de tous, ces gestes concrets qui demandent de se hisser en hauteur d’absence me semblent toujours plus affranchis, et surtout plus antalgiques, que la pénible abstraction du deuil .

(…) – il a bloqué dès la première syllabe, les lèvres retroussées sur un son qui se répétait, revenait, insistait, mais ne parvenait pas à enchaîner les suivants derrière lui, à tracter le mot, la phrase, la proclamation dont il avait pris le risque, le flux de sa parole anéanti avec le premier souffle, comme si les douzaines de séances avec l’orthophoniste, la musculation de l’appareil phonatoire, les exercices respiratoires, comme si toute méthode s’était volatilisée, le langage avait fui de manouche de mon frère, et ça résonnait dans la pièce (…)

Ici en brefD'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Quatrième de couverture
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Maylis de Kerangal – Canoës

Éditeur : Éditions Verticales

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Parution : 25 mai 2021

EAN : 9782072945564

Lecture : Juin 2021

Littérature contemporaine

Chroniques littéraires

12 commentaires

  1. J’avais lu un de ses romans, « Corniche Kennedy », qui ne m’avait pas déplu. Son écriture m’avait paru très recherchée et moderne. Peut-être que je lirai à nouveau cette écrivaine, et pourquoi pas ces nouvelles sur la voix…

    • Oui son écriture est très fouillée, travaillée ! J’ai été touchée par cet ensemble de nouvelles sur l voix, qui ne veillit pas et reste très forte dans l’évocation de la personne…

  2. Bonjour Matatoune. En général je n’aime pas les nouvelles, souvent de qualité inégale, mais je me laisserais peut-être tenter cette fois. Bonne journée

    • J’ai bcp aimé ce livre alors que j’avais bcp moins aimé son précédent roman. Si on veut découvrir ce style si travaillé, les nouvelles peuvent être une assez bonne façon 🙂

    • Oui, c’est ce que j’ai pensé en lisant celles-ci. Je me suis tellement ennuyée avec « Un monde à portée de mains ». Les descriptions et explications, ça n’en finissaient pas ! Alors, que là, ce format oblige à plus de concisions !

  3. J’aime beaucoup cette auteure et son écriture travaillée, le sujet de la voix lui convient d’autant plus que la sienne est singulière. La nouvelle Un oiseau léger est particulièrement touchante.

  4. J’adore cette auteure, je la trouve très accessible. J’apprécie son style d’écriture. J’ai lu « Naissance d’un pont » et « Un monde à portée de main ». Sincèrement, essayez de lire Maylis de Kerangal !😉

    • Je suis moins enthousiasme que toi dans l’ensemble mais pour ces nouvelles, j’ai bcp aimé et elles méritent qu’on les découvre, là je suis d’accord !

  5. Cette auteure ne m a jamais tentée. J’ai entendu dire que ses écrits sont hermétiques et peu accessibles. Bonne soirée

    • je m’étais ennuyée pour son roman précédent. Ici, c’est vrai, j’aurais pu le dire, le format des nouvelles m’a plus convenu. J’admire son style travaillé au couteau et ici le sujet commun m’a émue. Bonne continuation

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