Soir de fête – Mathieu Deslandes – Zineb Dryef

Premier roman de Mathieu Deslandes, écrit avec sa compagne, journaliste, Zineb Dryef, Soir de fête pose la question du consentement à partir d’un événement vécu juste au lendemain de la déferlante #Meetoo.

En effet, au cours d’un enterrement, une grand-tante de l’auteur lui révèle que son grand-père n’avait pas de père ! A ce moment-là, Zineb Dryef travaille sur un documentaire sur la « zone grise », entre le consentement et la contrainte concernant un viol. Le fruit de leurs échanges pousse Mathieu Deslandes à s’interroger sur ce viol tenu secret dans la famille pendant plus de trois générations.

Son enquête l’amène un soir d’été de 1922, lors d’un bal de son petit village de Sougy, dans l’Orléanais.  Mais neuf mois plus tard, ce n’est un bébé qui nait mais trois, sans père déclaré! Et la grand-tante de Mathieu insiste pour repréciser que ces jeunes filles n’étaient pas consentantes…

Au fil de ses recherches, de ses rencontres, des témoignages qu’il rassemble, se profile la notion de viols multiples, contraignants chacune des victimes à s’enfermer dans le silence.

En recréant, les événements, les personnalités des agresseurs et des victimes, le récit de vie de ces femmes, de leurs enfants, sa propre réaction d’homme et en analysant l’évolution survenue depuis plus de cent ans, nous sommes au cœur de l’histoire de la maîtrise du corps des femmes et sur l’évolution de leur liberté sexuelle.

Néanmoins, le constat est d’une si terrible banalité : un soir de fête, des femmes sont victimes de crime, encore trop souvent honteusement tus. Et, c’est la tout l’intérêt de cette reconstitution :  laisser le lecteur appréhender la notion de « zone grise ». Les représentations les plus répandues en matière de viol sont celles de la violence de l’agresseur, un lieu désert et une victime menacée, contrainte ou surprise. S’il n’y a pas cela, la loi estime que la victime est consentante!

 Le témoignage d’une femme qui vient déclarer le vol de son sac ne sera jamais soupçonné de l’avoir donné à son voleur. Une femme qui déclare avoir subi un viol sera,  dès le début, soupçonnée de l’avoir un peu voulu, cherché, provoqué, que sais-je encore?

Trop souvent, et encore aujourd’hui, le consentement est présupposé comme une évidence. Et, la loi Schiappa n’a pas précisé cela. Mathieu Deslandes démontre bien cette ambiguïté sur l’expression du consentement :  le soir d’une fête, avec l’alcool, quelque fois, des drogues, l’estime de soi, la naïveté, où se situe le consentement ?  Souvent, c’est un consentement forcé, arraché à la victime, mais ce n’est pas un oui !

  A la fin du roman, Zineb Dryef raconte un événement que sa mémoire avait occulté. Même pour elle, une jeune femme informée, indépendante et combattante, sa réaction est édifiante !

Cette enquête scénarisée sur un fait réel est un livre atypique. Au delà des romans très divers de cette rentrée littéraire, Soir de fête est un indispensable pour réfléchir et faire évoluer les représentations de chacun ! Un roman militant !

Merci à #NetGalleyFrance et #Grasset pour

#Soirdefete

Ce livre m’a été offert en service de presse par Netgalleyfrance. Remerciements aux éditions Grasset. Ceci est mon avis en toute honnêteté et sans pression, comme d’habitude.

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´ Dans la famille, on ne parlait pas ´ . C’est la phrase la plus entendue au cours de cette enquête .Et sur tous les tons .Tantôt cri du cœur , tantôt regret , tantôt explication .
Variante dans les foyers où on couvrait le silence d’une logorrhée creuse ou de paroles inoffensives : ´ On ne disait rien ´ . Et pourtant , des bribes d’histoire ont traversé le siècle . Un tel miracle est rendu possible , m’a – t – on expliqué , parce que ´ dans les petits villages ´ tout se sait . On ne dit rien mais tout se sait …il faut faire avec ce paradoxe .

Évidemment , elle n’en dit rien à personne. Il n’y a que les vieilles folles qui parlent à leurs bestiaux.

Non pas qu’ils regrettent quoi que ce soit. Ils n’ont rien fait de mal. Ils n’ont fait qu’obéir aux lois de la nature. Ils n’éprouvent aucune once de culpabilité à la pensée des filles de l’été dernier. Mais à l’idée de recommencer , un je-ne-sais-quoi les gène.

Cette histoire, c’est #Metoo au cimetière.

Les auteurs de l’expédition nocturne en entendant s’agiter les commères traqueuses de géniteurs fantômes, ont tout fait de chambrer deux d’entre eux Voilà qu’ils s’inclinent devant la richesse de leur semence, les félicitent pour cette paternité imminente, se proposent même comme parrains pour leurs futurs rejetons. Ils plaisantant sans se cacher. Évidemment on les entend. On se souvient de leurs récits enivres. Et pour fini, les deux bruits se rencontrent. Mieux: ils correspondent. Les paroles des garçons et la situation des filles s’emboîtent si parfaitement que pour tout le village, ce jour-là, une vérité s’impose.

Elle veut rentrer à Paris . Elle trouvera un nouveau travail. Elle doit poursuivre son rêve.
Confie-t-elle Paulette à sa mère, qui est veuve depuis six ans? Ou repartent elles toutes les trois ensemble? Les détails nous manquent. On sait en revanche que deux ans après la naissance de Paulette, Marie accouche d’un deuxième enfant. Toujours à Paris. Toujours de père inconnu.

Au bas d’ une page, deux petits paquets de hiéroglyphes traces au feutre bleu ont résisté au temps. Ils disaient: on n’est pas là pour emmerder les morts.

Et nous avions poursuivi notre examen de visages sépia en parlant de choses et d’ autres autour  d’une table trop grande – le genre de table que l’on recouvre de puzzles à 1000 pièces quand les familles nombreuses oublient de s’aimer.

J’avais pourtant résolu de ne pas juger les protagonistes de cette affaire. J’avais tenté de les comprendre . J’avais pourtant essaye de me mettre à leur place tout en sachant bien que c’était impossible. Mais si je redoutais des réactions négatives, c’est que je restais empêtré dans les valeurs, les normes, les perceptions, la morale de mon époque.

A quel moment la signification réelle de cette tournure s’ est-elle perdue ? Nul ne saurais le dire aujourd’hui. Mais on conçoit aisément que les viols du bal de 1922 aient peu à peu disparu des mémoires puisque le code qui servait à les signifier- elles ont eu un enfant- n’ évoquait pour les générations suivantes rien d’autres qu’une information d’une absolue banalité : des femmes étaient devenues mères.

J’ai fini par comprendre que si ma grand-tante trouvait toujours de nouveaux éléments à me raconter, c est parce que cette histoire la travaillait . Elle ne s’était jamais contentée de transmettre des souvenirs ou de livrer des pièces essentielles au puzzle qui m’ occupait. Interroger cette mémoire, c’était aussi pour elle l’occasion de relire son propre parcours, sa vie de couple, le sort des femmes de sa génération.

Le silence est un puits qui engloutit tout .

Les fille de Sougy ont survécu au bal.Mais elles font devenues mutiques..

« On ne dit rien » mais « tout se sait »: il faut faire avec ce paradoxe.

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

Soir de fête – Mathieu Deslandes – Zineb Dryef

Éditeur : Grasset

Parution : 28 août 2019

ISBN : 2246817978

Lecture : Août 2019

12 commentaires

    • Bonjour Brigitte, pas grave il y a temps d’occasion de trouver d’autres livres qui nous enchantent ! Bonne journée.

    • Roman militant oui sans aucun doute ! Le choix des auteurs de montrer comment cette zone grise est ténue et comme le consentement forcé n’est pas un oui. C’est une notion à réfléchir avec les femmes et les hommes !

  1. j’ai envie de le lire, je vais me remettre de mes émotions avant (« Borgo Vecchio » n’a pas été une lecture facile)
    celui de Karine Tuil me tente aussi…

  2. Le corps de la femme est encore et toujours considéré comme un outil, une arme… Quand sera-t-elle reconnue comme une personne capable de dire tout simplement non et surtout d’être entendue ? Un thème brûlant de l’actualité !

    • Oui et j’ai aimé la façon dont ces auteurs ont écrit sur ce sujet, en essayant d’analyser sans caricaturer ! Il faut que nos représentations évoluent. Mais, cela n’empêchera pas l’autoritarisme et l’arbitraire de s’en prendre en priorité au corps des femmes pour commencer à marquer leur pouvoir et leur puissance sur les hommes en général !

    • Ravie qu’il t’attire! Le Karine Tuil est le prochain de celui de maintenant ! …A suivre

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