Régis Jauffret – Dans le ventre

De Klara

RENTREE LITTERAIRE HIVER 2024

vagabondageautourdesoi.com - Régis jauffret -

Habitué à décrire, dans ses précédents romans, des situations de folie et de sadisme, Régis Jauffret choisit de raconter, avec Dans le ventre de Klara, la grossesse de la mère d’Adolf Hitler, à partir des rares documents historiques, apportant ainsi sa contribution à l’Histoire.

Enfermé dans une contrainte extrême, ce portrait de femme du XIXè siècle décrit le chemin vers la folie où sa moindre parcelle de liberté lui sera étouffée. La description des différentes formes de domination répondra aux événements historiques à venir : l’enfant à naître, devenu adulte, va osciller entre venger les souffrances infligées à sa mère et répondre aux volontés viriles de son père. Avec ce roman, l’écrivain revient à la fiction avec un roman âpre, dense et terrifiant à la fois, mais absolument réussi !

Brins d’histoire

Klara raconte sa vie muselée, contrainte, réduite à un esclavage domestique suivant la volonté d’Aloïs. Sa culpabilité, de ne jamais pouvoir le satisfaire, elle la retourne contre elle jusqu’à s’abîmer dans la dévotion. Sa peur de perdre l’enfant qu’elle porte est omniprésente, elle qui a déjà mis au mode d’autres enfants qui sont morts depuis.

Pour échapper à ces émotions mortifères, elle tente de conserver une part de liberté. Elle écrit son ressenti dans des petits carnets, d’une écriture qui, au fil du temps, devient illisible. Son passage de domestique à épouse de l’homme qu’elle appelle Oncle, ne lui donne aucun avantage. Car la loi de l’homme, violent, y règne avec brutalité, en paroles et en actes. La mère d’Hitler vit dans la peur, la soumission et l’enfermement.

Emprisonnée par la domination masculine, Klara garde sa foi vivace. Mais, au lieu d’y trouver le réconfort nécessaire, elle subit, là encore, les diktats de la religion, incarnée par un abbé, étriqué dans ses principes intégristes. Il la soumet aux paroles de dieu en fustigeant ses actions dignes, pense-t-il, du diable.

Dénigrée par son mari et aussi par son confesseur, elle n’a que l’écriture pour trouver un peu de plaisir dans sa vie de misère. Mais, au fil des pages, cette espace de liberté sera restreinte aussi. Aucune colère pourtant, jamais ne s’exprime !

C’est le portrait d’une société enfermée dans un patriarcat absolu et une religion omniprésente où l’antisémitisme y est constant et où le rêve d’une grandeur retrouvée berce les ambitions de chacun. Cette partie reculée de l’Autriche, proche de la frontière avec l’Allemagne, porte dans sa société, le contexte de l’acceptation de la dictature à venir.

Fiction pour expliquer l’Histoire

Reconnu pour ses combats contre les manipulations de toutes sortes, Régis Jauffret se propose d’éclairer la personnalité d’Hitler par celle de sa mère, subissant le joug de contraintes extrêmes ne pouvant qu’entamer sa santé mentale.

Ainsi, et Régis Jauffret le rappelle, Adolf est le fruit d’un inceste entre Aloïs et sa nièce, Klara. Malgré cela, l’église a légitimé leur mariage, ce qui renforce la culpabilité de la jeune femme qui se considère comme le diable incarné. Comme un écho à son roman Claustria, paru en 2012, pour lequel il avait été condamné en diffamation pour avoir dénoncé des lois autrichiennes assez liberticides sur l’inceste, Dans le ventre de Klara reprend les faits historiques et envisage leurs conséquences sur ses personnages du XIXè siècle.

L’Oncle ressemble aussi au héros d’un de ses précédents romans, La Ballade de Rikers Island, publié en 2014 sur le prédateur sexuel qu’était DSK. Car, Régis Jauffret terrifie en décrivant les appétits sexuels de cet homme que Klara subit complètement, même avant le décès de sa première femme.

Autant dire que l’univers de ce nouveau roman en exploitant les faits historiques ne pouvait qu’interesser Régis Jauffret !

Une réussite !

L’étau ressenti à la lecture devient de plus en plus insupportable. La domination vécue par Klara, de plus en plus contraignante, étouffe l’espace du lecteur. La narration oblige plusieurs fois à arrêter la lecture pour reprendre son souffle, la puissance fictionnelle devenant insupportable !

L’oscillation entre l’empathie et la répulsion est constante : la sympathie grandit pour la fragilité de cette femme, puis quelques pages plus loin, la colère revient devant cette folie mystique qui semble plus la cadenasser. Son acceptation, que toutes ces violences sont des signes de dieu pour éprouver sa croyance, est insoutenable.

Évidemment, Régis Jauffret aborde l’antisémitisme de la famille et laisse sous-entendre, sans s’y attarder, la possible ascendance juive du futur Führer. Rien n’ayant été prouvé généalogiquement, il lui était difficile de suivre cette thèse.

L’art de la narration de Régis Jauffret n’est plus à présenter. Dans le ventre de Klara, le style est percutant et puissant. Présenter ici comme responsable de toutes les erreurs, le personnage justifie la protection que le jeune Hitler lui a accordée lors de sa jeunesse et la douleur qu’il a ressentie lors de sa mort. Mais, la haine de ce père brutal et violent qui ne cesse de dénigrer ceux qui l’entoure a dû provoquer des envies de violences dont l’homme n’a eu de cesse de se venger.

En conclusion,

La banalisation du mal dont Hannah Arendt a développé le concept s’illustre ici dans le quotidien des brimades et de l’enfermement de cette femme. Fonctionnaire médiocre, Aloïs maltraite, harcèle et dénigre son entourage de façon systématique avec l’assentiment de l’église, sans aucun affect. Il commet les crimes de viols, d’agressions sexuelles, de violences physiques et psychologiques sans aucun ressenti et en toute impunité puisque sa femme est une « moins que rien », incapable, paresseuse, bête et habitée par le diable…Un quotidien de crimes répétés, inéluctablement, sans répit et sans affect !

Une démonstration implacable, un style maîtrisé, des personnages inoubliables, des clefs de compréhension…Un grand roman assurément !

De façon plus concise...

Régis Jauffret imagine la gestation du futur Adolf Hitler en racontant la grossesse de sa mère. Noir, terrible, mais inoubliable !

Remerciements

À Editions Récamier pour avoir envoyé ce service de presse avant sa parution, le 4 janvier 2024.

Puis quelques extraits

Les mères demeureront toujours comptables des péchés commis plus tard par l’enfant qu’elles ont porté.

L’excès de connaissances embarrasse le cerveau jusqu’à le ballonner comme un repas trop copieux. La vie est un long voyage, mieux vaut ne pas alourdir sa monture. Pareillement, même si l’intelligence est la qualité suprême de l’être humain, il faut savoir la débourrer comme un cheval afin qu’elle ne devienne pas un handicap qui vous empêche en cas de nécessité de simplifier la réalité pour aller droit au but. Lui-même était parfois conduit à comprimer la sienne comme le buste d’une femme dans un corset.

L’abbé Probst voit d’un mauvais œil nos rapports avec le docteur. À son avis une famille catholique doit se tenir à l’écart des Israélites. Leur fréquentation fait de nous des complices de la crucifixion. En leur accordant douze ans plus tôt l’égalité avec les autres sujets de L’Empire, François-Joseph s’était selon lui conduit en scélérat.

Encore aujourd’hui, je suis honteuse de n’avoir fait qu’appauvrir Oncle de ma bouche inutile.

J’aurais voulu souffler mes prières sous la porte de sa chambre afin qu’elles se répandent dans la pièce comme des vapeurs d’eucalyptus.

Et encore,

Alors, il décida de partager le mien. Les premières nuits il me tourna le dos mais le corps des femmes est tentateur. J’eus beau l’emmailloter chaque soir afin d’écraser ses rondeurs, il finit par s’en approcher. Je protestai mais il ne pouvait rien faire contre cette force qui l’attirait à moi.

J’eus honte d’être l’objet pour lequel Oncle avait commis l’adultère. Il avait attendu que je m’endorme. Je me souvenais d’un cauchemar douloureux dont j’avais refusé de me réveiller afin que la volonté de Dieu s’accomplisse sans que je sois tentée de m’interposer.

Quand à ma sœur, seul un estropié comme elle s’en accommoderait peut-être. Ils mettraient au monde des êtres disgraciés encore et la joie juvénile des SS à peine sortis de l’adolescence de courser des enfants nus échappés du bunker pour leur fracasser le crâne et leurs parents les rejoindront quand ils auront fini de mourir asphyxiés et elle rhabilla le bébé qu’elle berça ensuite et qui se rendormit.

Promets-tu de mettre au monde un petit Hercule ?

Les phrases décrivent des faits, citent des paroles sans pouvoir restituer l’odeur, le sens de la vie et en donnent une idée fade. Oncle est amour, or il me semble en consultant ma mémoire que sous le glacier des mots il apparaît brutal, injuste, mesquin, La réalité s’aggrave quand on l’a pétrifié. On dirait même qu’on porte le deuil. Ce n’est pas la faute de la noirceur de l’encre car j’écris à présent à la craie blanche. Il est vrai que le tableau est noir comme un rectangle d’enfer car certains disent que là-bas on ressent la brûlure du feu sans bénéficier de sa lumière.

« – Et maintenant, jurez de ne plus jamais écrire autre que l’utile et le nécessaire. « 

Ici en bref

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Incipit
Un extrait
Puis le dernier

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Régis Jauffret – Dans le ventre

De Klara

Éditeur : Récamier

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Parution : 4 janvier 2023

EAN : 9782385770037

Lecture : Décembre 2023

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16 commentaires

    • Ah, oui, je crois que c’est un roman très fort de cette rentrée! A suivre car on devrait en entendre parler !

    • Franchement, il va être, je crois, un incontournable de cette rentrée littéraire !

  1. heureusement que pas tous ne veulent venger quelqu’un…..un témoignage et livre intéressant. Bonne journée bisous

    • Livres Hebdo (dont je ne lis que les premières lignes, à chaque fois, car payant😃) titre La bombe de la rentrée…C’est tout dire 😀

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