La femme à la mobylette – JL Seigne

vagabondageatourdesoi-livre-wordpress-2Ma nièce m’avait conseillé ce livre. De moi-même, je ne l’aurais pas lu : la solitude d’une mère avec ses 3 enfants face à la pauvreté, à l’isolement et à la non reconnaissance sociale, vraiment cela m’était trop difficile. D’autant plus qu’en lisant sur Babelio la critique d’un lecteur,  la fin m’était suggérée.

J’ai longtemps tergiversé, tourné autour sans me résoudre à y entrer. Puis, dès que je m’y suis plongée, j’ai été happée : je l’ai dévoré!

Pour moi, ce roman est le récit de la folie de Reine, son héroïne,  Atteinte de bipolarité, elle affronte ses démons et invente sa réalité. « Elle n’a jamais rien voulu d’autre dans sa vie que d’être emportée le plus loin possible tout en restant sur place. «  Une nuit,  sa mélancolie extrême l’amène à imaginer qu’elle est responsable de la mort de ses enfants.  Heureusement, le bruit qu’ils font au réveil lui permet de continuer à vivre.

Ses « manies » lui permettent de débarrasser son jardin, réparer sa mobylette et trouver un soi-disant travail. Elle affronte ses insomnies en faisant de la couture ou des « tissanderies », tableaux que Reine fabrique pour qu’ils parlent à sa place!  Et, notamment, ils aident la famille à accepter la mort de leur proche. Elle rencontre l’amour et tout devient limpide, possible et acceptable. Sauf que …

Bien sûr, ce roman se place de son point de vue. Et, c’est ce qui en fait une perle rare! L’autre facette, la réalité, ne sera évoquée que par des personnages annexes ou à la fin.

Jean Luc Seigle peint ce portrait de femme au bord du gouffre avec poésie et humanité. « Reine est une grosse dormeuse. Cette nuit elle n’a pas fermé l’œil. Même pas couchée. Pas déshabillée non plus. Devant sa fenêtre elle est toute débobinée. C’est le mot qu’elle a inventé pour donner un nom à cette fatigue qui la défait et la met en morceaux qu’elle a bien du mal à rassembler ensuite. »

Il décrit magnifiquement ses envolées et ses dérapages mais surtout, il nous l’a fait aimer. Par le descriptif de son quotidien fait de galères en galères, il nous fait apprécier la touche de fantaisie qu’elle sait mettre dans son quotidien sombre : « Elle a même appris à aimer la pluie, une fois bien encapuchonnée sous son imperméable en plastique transparent qui recouvre aussi une grande partie de la mobylette. Malgré les difficultés qu’elle a rencontrées pour rendre les coutures étanches, elle se l’est confectionné dans un rideau de douche épais et transparent, imprimé de grosses pivoines rouges. » Ou, encore ce coup de génie:  » Et ça, toute cette beauté, elle le doit à la lenteur de sa mobylette. 

Ainsi toujours au bord de l’abîme, mais toujours prompte à s’évader pour s’en relever ! La précarité, la solitude, les doutes sont évoqués avec l’étrangeté de Reine: « Quand les pauvres n’en peuvent plus, ils prennent des balais qu’ils chevauchent et montent au ciel pour échapper à l’injustice sur terre. C’est ce qu’elle raconte souvent à ses enfants qui ne la croient pas. «  Et, la conscience de son rang social renvoie à  des situations que l’auteur connait certainement :  » Pourquoi la modestie devrait-elle toujours être la vertu des pauvres ?.. Il faudrait que les pauvres se contentent de la joie d’être en vie.  »

Pour l’instant, je n’ai pas lu le second texte. Trop imprégnée du roman, je ne peux encore le découvrir! C’était la première fois que je lisais un livre de Jean-Luc Seigle et j’avoue avoir été conquise !

J’ ai aimé le regard qu’il nous fait poser sur ces singularités qui peuvent altérer un esprit fragile, confronté à la dureté du monde et sa façon d’amener de la fantaisie sur les situations sociales qui en sont complétement dépourvues!

 

 

babelio

 

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Apparemment, juste une poignante histoire de perdante, d’oubliée de la croissance, de suicidée de la société. Qui survit comme elle peut au chômage dans son pavillon délabré, abandonnée par son mari avec ses trois jeunes enfants. Et voilà qu’un journal de voyage (1) — qui suit immédiatement cette bouleversante Femme à la mobylette — révèle combien le roman est ­autobiographique et comme Jean-Luc Seigle a voulu en faire une sorte de ­manifeste politique et littéraire. Pour renouer avec cette littérature populaire qu’initia, explique-t-il, Alphonse de Lamartine… Son héroïne ne se prénomme-t-elle pas Reine, telle la jeune couturière descendue d’Aix à Marseil­le remercier le poète romantique d’écrits qui l’élèvent et la consolent. Où elle trouve des « échos aux mouvements intérieurs de ses pensées ou de son cœur », alors que les romans sont si éloignés de la réalité ordinaire que des hommes et femmes comme elle ne peuvent s’y intéresser… Coup de fouet pour Lamartine. Et, à sa façon tout ensemble modeste et ample, pour Jean-Luc Seigle. Il réactive ici un genre qu’ont magnifié Hugo et Zola ; insuffle du beau, du sentiment, du romanes­que dans ce qui pourrait n’être qu’un tragique fait divers. En deux cents pages découpées comme des tableaux d’art brut, la réalité se mêle de fantastique, de mystique. Orpheline, Reine a été élevée par sa grand-mère communiste, héritière d’une longue lignée d’ouvrières solides et solitaires, abandonnées par leurs hommes. Reine trouve son salut dans une mobylette bleue, échappée à la ferraille qui pollue son jardin. Grâce à l’engin, elle trouve du travail. Et un homme qu’elle aime sur l’aire de repos de l’autoroute. Reine a le culte des morts, du cimetière, des listes de mots et des bouts de tissu. C’est une artiste. Trop fragile dans un monde féroce. Jean-Luc Sei­gle, à qui l’on doit un autre entêtant portrait de femme, la criminelle Pauline Dubuisson dans Je vous écris dans le noir, sait à merveille communier avec ces âmes tiraillées entre rêve et épouvante, violence et tendresse, détresse et abandon. Une pauvre sainte en quel­que sorte, digne des plus belles enluminures du méchant temps d’aujourd’hui.

(1) A la recherche du sixième continent.

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