La zone d’intérêt – J. Glazer

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Palme d’or – Festival de Cannes – 2023

Les quarante kilomètres autour d’un camp de concentration, les nazis l’appelaient La zone d’intérêt. Le film de Jonathan Glazer raconte l’intimité de la famille de Rudolf Höss, Obersturmbannführer, lieutenant-colonel nazi, commandant du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau de 1940 à 1943. Pour rappel, la solution finale fut mise au point à Auschwitz-Birkenau.

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Premières images du film


Préambule

Ce grade d’Obersturmbannführer, Höss l’acquit, en raison de sa grande obéissance et de son esprit d’initiative, à l’été 42 par Himmler de passage au camp. Dans le dernier trimestre de 1943, Himmler écarte Höss d’Auschwitz pour organisation de corruption et soupçon d’entretenir des relations avec une prisonnière autrichienne. 

Il rejoint Berlin en novembre 1943 en travaillant à Oranienburg pour l’inspection des camps de concentration et d’extermination. Sa femme décide de rester continuée à occuper la maison. Il est rappelé à Auschwitz en mai 1946 pour organiser l’extermination des juifs de Hongrie. En huit semaines, 320 000 juifs sont assassinés avec des pointes de 10 000 par jour.

Les négationnistes qui nient le génocide et l’existence des chambres à gaz, contestent encore, les meurtres nazis de masse en utilisant, entre autres, les erreurs et imprécisions des différents témoignages de Höss.

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Les deux filles vont à la piscine après avoir lu un billet de remerciements

Premières minutes du film

D’abord, un écran noir et le silence pendant de longues minutes, comme une invitation à faire le vide en soi pour accueillir ce qui va suivre.

Puis, un jour d’été, une famille finit un pique-nique au bord d’une rivière. Puis, les filles cueillent avec leur nourrice des mûres dans les ronces. Les garçons et le père choisissent de se baigner en jouant à s’éclabousser. La mère et son bébé rejoignent les filles dans les fourrées.

La famille regagne la maison. Cette maison est le symbole de l’ascension sociale de cette famille bien rangée et bien entretenue, comme les filles joliment apprêtées et les garçons avec leurs raies bien tracées.

Sauf que de toute part, et malgré le mur de séparation, on voit les baraquements et les cheminées du camp. Ainsi Rudolf (Christian Friedel), sa femme Hedwig (Sandra Hüller) et leurs cinq enfants vivent un bonheur petit-bourgeois à deux pas de l’horreur.

On visitera leurs différents aménagements, comme la piscine, le toboggan, le potager et jardin fleuri lorsque la mère d’Heimlich viendra leur rendre visite.

On assiste à la vie de cette maison et de ses occupants avec le personnel chargé de son entretien sauf que de multiples et subtiles allusions rappellent la présence du génocide. En voici quelques-unes : le manteau de fourrure qu’il faudra retoucher pour l’ajuster à la taille d’Heinrich, à la fin, les cheminées crachent du feu, les fleurs sont d’une beauté magnifique. 

Seule, la bande-son rend compte de l’horreur : des cris, des ordres, des pleurs et des trains, etc. J’ai redouté cette confrontation. Mais, ici aucun voyeurisme sonore. Tout est suggéré !

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Une fête chez les Höss

Glaçant

Cette famille nous ressemble, avec son bonheur petit-bourgeois. Pourtant, Jonathan Glazer réussit, par son procédé cinématographique, à ce que jamais, on oublie que ce sont des bourreaux. Il filme la dissociation, le déni de la réalité mais jamais l’inconscience. Aussi bien Rudolf que sa femme, que la mère, que les enfants, les amies, les bonnes savent ce qui se passe derrière le mur. Les tremblements de la jeune bonne, l’ivresse de la nourrice, la fuite de la mère, etc. en sont les preuves. Le réalisateur glisse des indices pour illustrer la banalité du mal décrit par Hannah Arrendt.

C’est glaçant ! Seulement, Jonathan Glazer permet des respirations avec notamment la petite fille résistante, finaude, qui ressemble à la Greta du conte d’Andersen.

L’interprétation de Sandra Hüller est vertigineuse. Elle donne à son personnage une illustration de cette cruauté, de la banale cruauté, assumée complètement et même revendiquée. Celle de Rudolf est encore plus dérangeante. L’acteur l’interprète froid et besogneux, absolument sans affect. Mais son port, sa cigarette fumée devant le camp, les saluts qu’on lui présente, tout lui procure la jouissance de sa cruauté à faire ce qu’on attend de lui…alors qu’il est un père attentif avec ses filles. Jusqu’à sa voix, étrange, qui étonne au début puis qu’on oublie. (Rudolf Hoss avait une voix de fausset dont on se moquait derrière son dos).

Ainsi, ce film La zone d’intérêt marque la décennie car pour la première fois, on y montre l’univers intime des nazis sans en occulter l’ignominie. Jonathan Glazer a supprimé notre voyeurisme mais ne nous laisse pas absents de réflexions. Car, ils nous ressemblent. Prenons garde de faire tomber le collectif dans l’ignominie !

De façon plus concise…

La zone d’intérêt de Joanathan Glazer est le premier film à mettre en scène la « banalité du mal » à partir du quotidien du commandant du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz et sa famille. Glaçant mais incontournable …

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Hedwig fait sentir à son bébé l’odeur du beau dalhia

Petits secrets

Le film a été tourné à côté du camp d’Auschwitz-Birkenau.

Pour ce quatrième film, Jonathan Glazer a posé des caméras dans toute la maison, comme une émission de téléréalité. Il a laissé les acteurs évoluer comme ils le souhaitaient, juste avec l’indication du script.

« J’ai régulièrement utilisé l’expression ‘Big Brother chez les nazis. Nous ne pouvions bien sûr pas le faire, mais l’idée était d’observer des gens dans leur vie quotidienne. Je voulais capturer le contraste entre quelqu’un qui se verse une tasse de café dans sa cuisine et quelqu’un en train d’être assassiné de l’autre côté du mur, la coexistence de ces deux extrêmes. » Jonathan Glazer

L’équipe était dans une cabine à côté pour visionner les rushs. Donc, les acteurs n’étaient absolument pas gênés par les mouvements des caméras.

Le film est librement inspiré du roman de Martin Amis du même titre.

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Rudolf fume sa cigarette en regardant le camp

Du côté des critiques

Télérama

Du côté des blogs

Le blog de Jean-Claude Prinz

Sources

Cinéma Tati –

Questions pratiques

La zone d’intérêt

Réalisateur : Jonathan Glazer

Avec Christian Friedel – Sandra Hüller – Johann Karthaus

Date de sortie : 30 janvier 2024

Pays : drame américano-britannico-polonais
Durée : 1 h 31

Sortie nationale : 30 janvier 2024

Distributeur : Bas Films

CHRONIQUES DE FILMS

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27 commentaires

    • Oui, il vient d’avoir un Oscar. Un film important pour moi ! Pour combattre toutes les barbaries ! Bonne journée 😉

  1. J’ai hésité à aller voir ce film, et je me suis dit aussi que je pourrais toujours sortir avant la fin du film s’il était trop difficile à supporter. En fait, il n’y a pas d’images choquantes, mais on est saisis par un malaise quand même. Un film très efficace pour dénoncer l’horreur des camps sans la montrer. On ressort de la salle avec ce malaise qui ne nous quitte pas pendant des jours. Sur l’affiche il est écrit : Une oeuvre d’une grande puissance, c’est tout à fait çà.
    A voir absolument !

    • Dslee, je me suis aperçue que j’avais oublié de vous répondre ! Oui, c’est un film important qui ne nie pas les victimes, au contraire, mais qui ne montrecpas leur souffrance.
      C’est vrai que nous sommes submergés d’images violentes, de désespoir : des gens déplacés qui n’ont plus rien, la guerre en Ukraine, à Gaza , le génocide arménien, etc.
      Notre œil est devenu voyeur! Et, là, le film suggère et devient glaçant.
      Et, cette famille ! Par quel processus cognitif a-t-elle pu continuer à vivre ainsi ! Est-ce que la haine et le souci d’appliquer et de devancer les ordres , à ce point, ôte ainsi toute forme d’humanité….Aucune réponse. Juste un constat . Ça a existé

    • Je pense qu’il est vraiment à voir ! D’ailleurs, le public le découvre en ce moment, les chiffres des entrées sont en hausse .

  2. Ta chronique donne envie de découvrir ce film sur un sujet difficile. A voir tous les conflits actuels on est loin d’en avoir fini avec la banalité du mal. Bonne journée

    • Non, c’est sûr ! Néanmoins, le film est à voir, me semble-t-il. Est-ce qu’il est projeté en Suisse et comment est-il reçu ?

    • Je redoutais aussi. Je ne suis jamais sortie d’une salle avant la fin d’un film, mais je m’étais dit que je me laissais cette possibilité.
      Et, je n’en ai pas eu besoin. Le film est grand public.
      Je me suis même dit que si on le projetait dans des cours, il faudrait bien relever toutes les subtiles allusions pour pouvoir les expliquer à un public jeune, en reférence à l’histoire.
      Je crois que sur un petit écran, il perdrait de sa valeur !
      Linterpretation de l’actrice de Anatomie d’une chute est glaçante

  3. je n’ai jamais entendu parler de ce film. Oui, glaçant complétement et un regard vraiment interessant

    • Il faut aller le voir, je pense. Si les critiques officielles ne sont pas d’accord sur sa valeur, le film remporte une vraie attraction auprès du public. On attend de voir jusqu’ où l’ascension de Anatomie d’une chute va s’arrêter, mais au moins, en 2023, on aura découvert une actrice au talent fou, Sandrine Hüller !

    • Moi aussi, j’avais bcp d’appréhensions, mais je ne regrette absolument pas ma séance !

  4. Pas encore eu le temps pour le voir…. et la semaine prochaine il y aura mon « boulot » de grand-père…j’espère qu’il restera sur les écrans à GRE jusque là.

  5. Sûrement un excellent film ! Le sujet est comme tu dis, glaçant et horrible mais il faut le montrer. Ceci dit je ne suis pas sûre d’avoir le courage de le voir en ce moment.

    • Je voulais par cette chronique très détaillée essayer d’enlever les craintes concernant la réception de ce film. J’avais moi aussi peur de ne pas supporter et de devoir quitter la salle avant sa fin. Cela n’a pas été le cas.
      Mais un film, comme un livre, se conserve et peut, heureusement, se voir de plusieurs façon et à des moments choisis. Bonne continuation 😉

  6. J’ai lu le livre de Martin Amis, vendu comme « une histoire de marivaudage aux allures de Monty Python en plein système concentrationnaire », un livre à l’humour très spécial. J’ai lu plusieurs romans mariant humour et shoah mais celui-là ne m’a pas plus du tout, contrairement aux autres. Il n’est pas drôle en fait. En lisant ton billet, il semble que le côté humoristique du roman soit passé à la trappe…

    • Je n’ai pas lu le livre mais quelques critiques m’ont convaincue, comme tu le dis, que cela n’a rien à voir avec l’esprit du film. Je tenais dans la chronique à le préciser pour éviter les méprises.

  7. Très bonne et intéressante chronique de laquelle transparaît à la perfection toute « la banalité du mal ».
    La photo de la maison en fête est absolument glaçante.

    • Merci, il me semble que c’est un des points qu’à voulu donner le réalisateur à son film !

  8. Tu as écrit une chronique très juste. J’ai très envie de voir ce film et éprouve en même temps une réticence. Après t’avoir lue, je pense que je vais y aller.

    • Comme dit plus loin, moi aussi j’avais peur de ne pas supporter les sons , Bien sûr, ils sont présents mais Jonathan Glazer est un être intelligent et ne cherche absolument pas à choquer, il veut expliquer !

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