Delphine De Vigan – Les enfants sont rois

L’univers des Youtubeurs qui mettent en scène des enfants, le sujet du roman Les enfants sont rois de Delphine De Vigan m’était complétement inconnu. Je connaissais l’univers des mini-miss qui datent quand-même un peu. Je connais le réseau Tik Tok.  On y croise toutes les trois minutes des jeunes adolescentes qui exposent leurs corps avec une sensualité assumée. Mais les chaînes qui exploitent les enfants en déclarant Pleins de bisous d’étoiles et Bye bye les happy fans existent vraiment, je les ai regardées. Elles donnent le vertige et un dégout certain lorsqu’on a dépassé l’âge des jeunes abonnés.

Quelques mots de l’histoire

Delphine De Vigan présentent deux portraits de femme qui vont se croiser dans Les enfants sont rois. L’une cherche à devenir célèbre et aimée en utilisant les procédés de la téléréalité. L’autre vient d’entrer dans la police en qualité de procédurière. Elle aime l’ordre, la précision et les faits. Mais, comme tout à chacun, toutes deux ont des failles.

Mélanie Claux semble une femme épanouie. Sa chaîne Happy Récré met en scène depuis 2010 ses deux enfants Sammy 8 ans et Kimmy, 6 ans. Elle est très appréciée. Des millions d’abonnés et de likes viennent la récompenser.  Les différentes storys montrent leurs vies en direct. Les vidéos d’unboxing prouvent les qualités des produits présentés. D’autres vidéos célèbrent des lieux particuliers ou des happening comme celui d’acheter tout ce qu’on veut pendant un temps donné. Du coup, la chaîne repérée par les annonceurs génère des revenus directs et indirects de plus d’un million d’euros. Ça peut faire des envieux !

Clara Roussel est une petite femme, 1m54 tout juste, athlétique, de parents professeurs militants mais bienveillants qui choisit la police comme nouvelle famille. Pour fêter sa nomination, toute la famille s’est déguisée en flic. Son oncle Dédé  a même chanté à la guitare Hexagone de Renault, histoire de ne pas renier ses valeurs, quand-même ! Seulement, ses parents décèdent la laissant terriblement seule.

Mélanie est mariée avec Bruno Diore. Elle a voulu supprimer le « e » mais devant les démarches ardues, y a renoncé. Clara justifie son célibat ou sa solitude en disant « je crois que je ne vais pas pouvoir rester« .

Seulement, une enquête s’ouvre car Kimmy est enlevée lors d’une fin d’après-midi.

Portraits de femmes

Deux personnalités différentes : L’une quasi naine mais qui a été suffisamment aimée et soutenue pour avoir une autorité naturelle. Même si plusieurs raisons peuvent expliquer qu’elle ait arrêté de grandir.L’autre a besoin sans cesse d’être réassurée au point d’approcher la dépression. Néanmoins, les attentions de ses fans l’empêchent d’y sombrer vraiment. Delphine De Vigan ne les  juge pas. Elle énonce et donne des éléments pour comprendre les faits et surtout notre époque.

Car, son roman est une dénonciation particulièrement habile d’une maltraitance cachée sous les excès de la consommation à outrance et l’admiration virtuelle.

L’écriture de Delphine De Vigan coule de façon extrêmement efficace. Les personnages sont réalistes et restent omniprésents y compris lorsque le livre est refermé. Le format du polar que l’auteure emprunte est particulièrement adapté. Il permet de découvrir au travers du travail de Clara l’ampleur de cette emprise sur la famille et sur chacun de ses membres. Leurs quotidiens s’en trouvent complétement perturbés et détournés au profit d’une reconnaissance factice.

L’auteure interroge notre époque qui fonde ses valeurs sur l’image et le paraître. Les réseaux sociaux reproduisent une mise en scène éloignée de la réalité avec une surenchère difficilement maîtrisable. Seulement lorsqu’il s’agit d’adultes, chacun reste consentant de son aliénation. Même si la loi protège maintenant les intérêts financiers des enfants, cela reste en deçà de l’admissible.

Et pour finir

Et, c’est la troisième partie du roman qui permet la prise de conscience, en décrivant ce que sont devenus les enfants soumis à de telles pressions. Du coup, la maltraitance éclate inadmissible lorsque chacun raconte  ce que le realityshow provoque : Le syndrome de Truman Show.

D’une grande habileté, le roman est très facile d’accès. Il mélange les ressorts du polar aux formes romanesques habituelles.  Comme toujours, Delphine De Vigan adopte une profonde empathie afin que chacun se fasse son opinion.

Alors, outre le très bon moment de lecture qu’il procure, Les enfants sont rois sait alerté sur un fait de société qu’on ne peut plus considérer comme anodin ou à la marge.

Certes quelques enfants vivent cette maltraitance sans que l’on puisse encore les protéger vraiment. Et, en ne disant rien, non content d’être voyeur, on devient complice !

Mais ceux, souvent très jeunes et très nombreux, qui suivent leurs aventures auront une vision perturbée.  Les biens de consommation deviennent des outils d’un bonheur obligé.  Et le monde de féérie et de magie n’existe pas. Car, pour eux, on ne dit pas, il était une fois …

Pour aller plus loin

Les gratitudes

Les loyautés

Puis quelques extraits

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Nul besoin de fabriquer, de créer, d’ inventer pour avoir droit à son « quart d’heure de célébrité  » . Il suffirait de se montrer et de rester dans le cadre ou face à l’objectif.

Il lui semblait avoir trouvé une place dans le monde, un endroit pour exister.

Une super maman vivait une grossesse sans l’ombre d’un problème, répugnait elle- même la chambre du bébé et accrochait les rideaux, perchée sur un escabeau et les bras en l’air, trois jours avant son accouchement.

Mélanie ne supportait pas le conflit. Elle rêvait d’un monde de solidarité et d’échanges. Un monde dont elle serait la reine.

Du monde saturé de marques et de symboles dans lequel elle avait grandi, elle avait disparu, comme si une main invisible avait soudain décidé de la soustraire au regard.

Leurs conversations s’étaient interrompues avant de se tarir.Et n’étant pas devenue mère elle- même, peut- être etait- elle restée fille avant tout.

La souffrance de Mélanie devenait un spectacle, dont la violence implicite garantissait sans aucun doute la vitalité et le succès.

Vous savez, les femmes ont appris à faire cela, enfermer les souvenirs sur lesquels il vaut mieux ne pas revenir, parce qu’ils font plus de mal que de bien.

Parfois, de la procédure, cette quantité de papier qui grandissait à vue d’œil comme sous l’effet d’une inéluctable multiplication, surgissait un motif, un minuscule détail, qui éclairait soudain l’ensemble. Ou bien, au cours d’une nuit fourbue passée à tout reprendre, au détour d’un mot, d’une association d’idées, un chemin s’ouvrait.

Au fond, YouTube ou Instagram avait réalisé le rêve de tout adolescent : être aimé, être suivi, avoir des fans. Et il n’était jamais trop tard pour en profiter.

Big Brother avait été accueilli les bras ouverts affamé de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau.

En lui laissant le terrain de la révolte, il lui a offert la possibilité de la fuite .

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

vagabondaeautourdesoi.com
Un premier extrait
vagabondaeautourdesoi.com
Puis un autre
vagabondaeautourdesoi.com
Et le dernier

Du côté des Critiques

Le MondeTélérama

D’autres blogs en parlent

Mes p’tis lusEbook4allwordcinecatMélie et les livresLe temps de la lecture

Pour finir

Questions pratiques

Delphine De Vigan – Les enfants sont rois

Éditeur :  Gallimard

Twitter : @Gallimard et Instagram : @editions_gallimard

Parution : 4 mars 2021

EAN : 9782072915819

Lecture : Mars 2021

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16 commentaires

  1. Bonjour Matatoune, je ne connais pas mais je note le titre.
    Je te souhaite de belles fêtes de Pâques avec mes amitiés.

  2. J’ai bien l’intention de le lire,le sujet m’intéresse et j’aime bien retrouver Delphine de Vigan qui m’a rarement déçue (juste un bémol avec « D’après une histoire vraie »

    • Moi, j’avoue les aimés tous ! Je l’ai découverte avec Rien ne s’oppose à la nuit et depuis, de romans très intimes à d’autres sur des faits de société, je n’est pas été déçue …

    • J’espère qu’il te plaira. En tout cas, il alerte sur un pb très particulier Bon week-end à toi

  3. J’aime beaucoup Delphine De Vigan. J’ai lu tous ses livres.
    Celui-ci m’a un peu étonné, désarçonné et même choqué.
    Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse mettre en scène ses enfants, ça m’effraie. Et ce monde de possession.. Épuisant, vide..
    Delphine de Vigan a tout compris. Merci Mata et bravo pour ta critique.

    • Oui j’ai vraiment découvert ce pb avec ce roman. Je n’imaginais pas que cela existait. C’est assez terifiant. Le talent de Delphine De Vigan est de faire de son roman très réussi un documentaire…

    • J’ai bcp aimé. A la fois un excellent roman et aussi un sujet dont il faut s’alarmer. Bon week end

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