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Patrick Grainville – Les yeux de Milos

RENTRÉE LITTÉRAIRE JANVIER 2021

Présentation

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Grand amateur d’art, Patrick Grainville se penche avec Les yeux de Milos dans l’univers de Picasso à partir de l’été de 1937, année de Guernica. Parce que le peintre était fasciné par la Vénus de Lespugne, une des plus célèbres représentations féminines du paléolithique, l’auteur crée par ce nouveau roman un pont entre l’Abbé Breuil, célèbre archéologue qui a découvert l’art pariétal, Nicolas de Staël peintre génial mais éphémère et le “Géant gênant” du 20è siècle.

Le procédé littéraire est habile. Un jeune homme Milos dont l’éclat surnaturel de ses pupilles plonge celui qui s’y noie dans une violence destructrice, évolue au cœur de tous ces univers à partir de la ville d’Antibes, où Picasso et sa bande de partouzards ont passé un si bel été et où Nicolas de Staël s’est suicidé après avoir constaté l’indifférence de son nouvel amour. Milos promène son regard de braise pour triturer les histoires et les œuvres et déconstruire les mythes au fil de ses amours.

La démesure verbale de Patrick Grainville entraîne le lecteur vers un lyrisme enflammé de trouvailles poétiques où les mots s’entrechoquent et les images prennent vie. C’est beau, mais c’est drôle aussi. Ce décalage heureux  apporte des respirations bienvenues face à ce texte érudit et dense.

Patrick Grainville trouve avec l’histoire de son ogre, un héros à sa démesure donnant corps à la sexualité de Milos.  Sauf que son jeune héros, pas moins ni plus macho que d’autres, trouvent auprès de femmes indépendantes et affirmées le réactif à ses contradictions.

Car pour Picasso, minotaure pictural, ce n’est pas le même constat. Perversité est la conclusion que j’affirme après la découverte de sa vie tel que Patrick Grainville la relie à ses œuvres ! Car son harem prend des allures de tour de France du compagnonnage du sexe. Picasso apparait en véritable mante religieuse masculine, sauf que lui,  il nourrit mal ses petits ! Lui, l’homme qui semblait douter de rien, l’homme sûr de son destin et de sa force créative était quand même un fieffé pervers.  Pour cela et tant d’autres points, je recommande cette exaltante lecture !

Pour aller plus loin

Patrick Grainville présente ainsi les figures artistiques de son roman : Obsédé d’érotisme, de femmes, de sexes, Picasso a vampirisé ses amours pour la grandeur de son art et ceci jusqu’à leurs morts.

Plus nobles sont les failles d’un Nicolas de Staël qui s’abime dans son insatisfaction perpétuelle. Relié à l’amour comme un naufragé à sa bouée, il s’embrase si le feu s’atténue.

Alors que l’Abbé Breuil, lui, semble ravaler sa sexualité dans la découverte de l’être préhistorique !

Le bleu des yeux de Milos rappelle l’importance de cette couleur primaire dans l’art : bleu du lapis-lazuli, bleu des rois de France, bleu spirituel du Cavalier Bleu, mais aussi comme le souligne Patrick Grainville le bleu cobalt de Turner, de Renoir et Van Gogh, le bleu de Dufy et enfin, le bleu de Nicolas de Staël.  Et l’explication à la toute fin du roman donne corps à ce bleu du regard si impressionnant !

Le propre du propre de l’homme reste, affirme Patrick Grainville, de rire de sa propre mort. Alors, des premiers galets gravés aux voyages intersidéraux, l’auteur affirme la force de l’amour comme pied de nez aux ténèbres obscures, l’art et la création en assurant un possible sinon indispensable chemin. Magnifique roman où mon immersion dans la documentation fut nécessaire (mais pas du tout indispensable, au contraire) pour mesurer tout le talent de l’auteur.

Remerciements

Merci à @Seuil et @Babelio avec sa Masse critique particulière pour #LesYeuxDeMilos de @patgrainville

Puis quelques extraits

cite-56a4b9b45f9b58b7d0d8877bTandis que les républicains espagnols disputaient Madrid aux forces franquistes. Guernica continuait sans Picasso. 

Nicolas de Staël était grand, très beau, regard très bleu. Picasso, nain et trapu, vrillé, vissé dans la terre. Chauve, en short, torse nu. Ridé, fripé, vital et concentré, tel un cep orgiastique, un satyre de Thrace. Les pommettes cuites au soleil. Narcissique et rieur. Il avait abandonné Olga, tué Dora Maar promise à la folie. Il exorcisait ses virulents délires dans les jeunes corps de ses amantes. (…) Après il était flanqué de la svelte Françoise Gilot.

Cet été 1937 m’obsède d’autant plus que c’est l’été de Guernica. Il avait peint le tableau au printemps, juste après le bombardement de la ville, en pleine guerre civile. La tuerie continuait, son pays était détruit, martyrisé. Et lui, monstrueux comme toujours, loin de s’engager dans les Brigades internationales, passait un été de plaisir à Mougins, Antibes, Juan-les-pins.

Il faut une seule passion pour unifier une vie, lui conférer un axe et l’aveugler pour la suite.

Moi, je crois qu’il s’est tout permis en naissant. Un droit sur tout, d’usurpateur, comme il dit. L’emprise par sa peinture virtuose. Droit à la razzia des femmes, des arts, des formes. Donc, il a couru vers d’autres enchantements sans rien renier de son amour pour Marie- Thérèse. Sans cesse il lui répète qu’il l’aime, qu’il n’aime qu’elle, tout en partant. Picasso, c’est l’amour sans contradiction. Peut-être plus sincère que tricheur. Égoïste absolu. Il jure, il ment , il manipule. Il dit sa vérité polymorphe comme sa peinture. Capable de supplier, de pleurer pour posséder le cœur d’une femme, capable de tout pour la larguer. Papillon à trompe monstrueuse. Contrefaçon de Don Juan avec sa tête de Sgnarelle burlesque.

Et d’autres encore

Oui, elle est vicieuse ( Samantha), et de tous les bords. Rabâchant ses obsessions d’été 37 , de Nusch dans les bras d’Ady, de Lee, de Dora, l’ex de Bataille, grand spécialiste des transgressions maniaques, avec des histoires d’œil, d’œufs, de couilles de taureau dans le cul, écrabouillés ! Berk ! Qu’il est dégueulasse, ce roi de l’omelette ! Sans oublier Eluard, voyeur et partouzeur. Et Picasso l’écarquillé. Man Ray, encore plus vicieux que les autres. L’été 37, l’été vicieux , pendant que Gerda Taro meurt à la guerre contre les franquistes. Vicieuse !

Jusqu’à l’âge de 89 ans, elle ( Dora Maar) survivra ainsi à Guernica, qu’il lui dédia et dont elle fut le témoin, le photographe, l’égérie de la guerre. Elle résistera, comme elle pourra, au Minotaure, aux électrochocs, à Lacan, au Déluge, à Sodome et Gomorrhe. A la mort du Totem, en 1973. Chaque jour, elle va à la messe du matin. Rasant les murs, ne répondant plus à personne, survivant au milieu des restes, des épaves de Picasso, miettes rongées par les souris. Sauf les galets gravés sur la plage de l’été radieux. Érémitique à faire peur. ” Dieu seul peut succéder à Picasso” disait-elle.

Tu as besoin d’autres vies. Moi, j’ai une vie. Et si j’en ai une autre, ce sera après la première. ( …) Une vraie maladie de l’âme jamais assouvie.

Il comprit que l’écriture était finalement toujours destinée à quelqu’un, une absente ou un absent originel.

Il arrivait donc encore à Dora de perdre la tête. La nuit, surtout, quand tout le monde dormait. La tête de détachait, dans un sifflement doux. Elle s’élevait, elle filait, telle une comète,vers le pont Mirabeau où Appollinaire l’attendait, souriant. Ils parlent de la belle folie d’aimer.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Premier extrait
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Un autre extrait
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Puis un autre
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Et un dernier

Critiques

Masque et la Plume – France Inter

D’autres blogs en parlent

Au Vents des Mots 

En conclusion

Patrick Grainville – Les yeux de Milos

Éditeur : Seuil

Parution : 7 janvier  2021

EAN : 9782021468663

Lecture : Décembre 2020

Littérature contemporaine 

Pour d’autres découvertes :

Picasso à la Californie

Picasso et Marie-Thérèse Walter

Nicolas de Staël

Exposition Picasso Bleue et rose – Musée d’Orsay

Picasso Primitif

Guernica au Musée Picasso

L’après Guernica au Musée Picasso

Dora Maar au Centre Pompidou

11 commentaires

  1. j’ai eu du mal pour ma part, pourtant la partie Picasso, de Staël est intéressante, mais trop de scènes qui parlent de sexe même quand on se demande ce que ça vient faire là, et qui polluent grandement à mon avis la fluidité du roman. Déçue, peut-être que j’en attendant trop ! et pourtant, j’aime énormément Picasso, dont j’ai visité de nombreux musées et expos aussi bien en France qu’en Espagne. Et pour Nicolas de Staël idem… heureusement, il en faut pour tous en littérature comme pour tout !

    • L’écriture de l’auteur est souvent “débordée” par des scènes de sexualité. Celui-ci n’est pas différent. J’avoue que sa vision de Picasso en Ogre ou Minotaure me convient bien aussi, surtout après avoir appréhendé la vie de Dora Maar qui s’est “brûlée” me semble -t-il dans son amour pour lui. Mais, heureusement que chaque lecteur réécrit le livre qu’il découvre, ce qui fait, tu as raison, la richesse des échanges autour.

      • ah mais tu as raison, les parties sur Picasso ou de Staël m’ont particulièrement intéressée et je les ai souvent trouvées assez justes dans l’image qu’il donne par exemple de Picasso. C’est que pour ma part je n’ai pas réussi à dépasser la sexualité débordante des protagonistes…. qui à priori ne me rebuterait pas mais qui était vraiment trop prégnante parfois. Mais si tu dis que c’est habituel chez l’auteur ? je ne l’avais pas lu depuis si longtemps, j’ai oublié.

  2. un peu trop difficile à lire pour moi, même si je reconnais tout le talent de l’auteur

    • Pas grave ! Il y tant et tant à lire , de toutes façons ! Plaisir viendra avec un autre !

  3. idem pour moi j’ai lu un de ses romans mais je ne m’en souviens pas …
    pourquoi pas pour aller sur les traces de Picasso 🙂

    • Je suis curieuse de savoir ce que va en dire le Masque et la plume, ce soir … A suivre

  4. Merci de cette belle présentation qui ne va pas me rendre Picasso plus sympathique ! J’ai lu autrefois Les flamboyants de cet auteur, je crois qu’il avait eu le Goncourt avec, mais ça date de fort fort longtemps, je crois que j’étais encore à l’école secondaire ! Bonne soirée

    • Moi aussi, je ne me rappelle plus ceux que j’ai lu… tellement longtemps. Mais là le sujet sur Picasso et de Staël m’a fascinée. Mais si on aime l’écriture minimaliste et que le sujet n’attire pas trop , alors il faut mieux passer … Bon dimanche 😉

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