Guernica au Musée Picasso

Étrange idée de retracer l’histoire, la réalisation et les retentissements d’une peinture sans la montrer ! C’est le pari réussi du Musée Picasso qui, en ce début d’été 2018, a présenté cette exposition autour de Guernica actuellement exposé dans le centre d’art de la Reine Sofia de Madrid. La visite permet de replacer l’œuvre dans son contexte en présentant notamment des esquisses (1ère partie) et de proposer des œuvres d’artistes contemporains qui s’en sont inspirées (2nd partie).

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« La peinture n’est pas destinée à décorer les appartements. C’est une arme offensive et défensive contre l’ennemi. Ce taureau est un taureau et ce cheval est un cheval. Si vous attribuez une interprétation à certains éléments de mes peintures, il se peut que cela soit tout à fait juste, mais je ne souhaite pas livrer cette interprétation. Les idées et les conclusions auxquelles vous parvenez, moi aussi je les ai obtenues, mais instinctivement, inconsciemment. Je peins pour la peinture. Je peins les choses pour ce qu’elles sont. »

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1er septembre 1936

Picasso est en pleine crise existentielle.  Il partage sa vie avec Olga. Ils ont un fils, Paul né  en 1921. En 1927, il rencontre sa maitresse Marie-Thérèse Valtaire qui lui donnera une fille, Maya. Marie-Thérèse est représentée par des visages ronds, très pulpeuse avec des nus. Olga finit par apprendre cette relation et le supporte de plus en plus mal.

Il arrête la peinture en 1935 pendant un an. Pendant ce temps, il se met à la poésie. Entre-temps, Paul Eluard présente à Picasso une femme engagée et poète, Dora Maar, au caractère complexe, cultivée et passionnée capable de lui tenir tête. Créatrice elle-même, elle est engagée politiquement. Elle faisait partie de groupuscules anarchistes. Sans elle, Picasso aurait-il peint Guernica de cette façon!

Après sa reprise de la peinture, la figure de pleureuse italienne, sorte de Mater Delorosa,  se confond avec le visage de Dora Maar. Il y a une fusion entre l’histoire de l’Espagne où les femmes pleurent les conséquences des exactions fascistes et l’œuvre de Picasso.

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Portrait de Dora Maar – 1937

« Odeur, puanteur et horreur des tripes crevées … un peuple qui cherche de ses mains la vérité qui s’échappe des entrailles et du cœur du taureau ».

Selon le spécialistes, le minotaure est l’avatar de Picasso qui apparait déjà dans cette gravure en 1935. C’est la rencontre avec la violence (corrida) et la spontanéité (jeune fille porteuse de bougie). Le minotaure aveugle est guidé par la jeune fille. Selon les commissaires, le minotaure représente le mythe d’œdipe. (Oedipe a longtemps erré avec Antigone, sa fille, qui lui servait de guide, pour arriver dans un lieu de culte proche d’Athènes où il peut soulager sa culpabilité en invoquant son “innocence” puisqu’il est l’objet de forces plus fortes que lui! )

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Gravure minotauromachie

Toujours selon les spécialistes, la corrida représente, dans la Rome antique,  l’immortalité (en mangeant la chair et le sang du taureau). Voir l’Eucharistie.

Dès que le front populaire républicain espagnol s’installe,  des fractions fascistes lancent des offensives pour prendre le pouvoir. A l’automne 36, le gouvernement du Front populaire espagnol demande à Picasso d’être directeur du Prado ce qu’il refusera. (Paris est la première base arrière du front populaire espagnol.)

Ses amis lui donnent des nouvelles de sa  famille mais aussi de l’espoir suscité par le nouveau gouvernement. On le rassure aussi sur les œuvres du Prado qui sont à l’abri. Picasso est attentif à préserver tout ce qui peut éveiller les consciences sur l’histoire de l’art.

Il a 56 ans, il est installé, reconnu et vit très bien de son art. Il est séparé d’Olga et est toujours entouré de surréalistes.

La première esquisse est un petit cheval (1er mai), suive celle avec le taureau, le cheval etc.. Il s’installe 23 rue de la Boétie. Il a un atelier aux grands Augustins prêté par Jean Louis Barrault qui vient de monter une pièce qui se réfère à la guerre d’Espagne.

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Étude pour cheval éventré – Barcelone- Été 1917
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Lettre donnant des nouvelles de sa famille pendant la guerre civile – Nov 1936
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Manuscrit de la conférence “Je vous parle de ce qui est bien “de Paul Eluard en 1935

Janvier 1937, le gouvernement républicain espagnol propose à Picasso de réaliser une œuvre pour le pavillon de l’Espagne à l’Exposition universelle qui aura lieu à Paris au début de l’été. L’artiste, toujours récalcitrant à entrer dans une contrainte, accepte quand même à condition d’avoir l’entière liberté de réalisation. Picasso cherche à s’approprier cet espace. Durant les mois qui suivent, il tâtonne sans résultat très probant. Picasso réalise des esquisses avec un poing levé. (cf. Une de Paris-Soir ci-dessous)

Le lundi 26 Avril 1937 est jour de marché à Guernica. C’est la fin d’après-midi dans ce village au pays basque espagnol proche de Bilbao.  Pas d’hommes jeunes au village, tous partis au front républicain, seuls les vieux sont aux champs. Les femmes avec leurs enfants sont entrain de faire leurs courses. On entend un vrombissement assourdissant dans le ciel… L’attaque, on l’apprend plus tard, est le fait de la légion Kondor allemande et de bombardiers italiens.

C’est Dora Maar qui  lui amène les  journaux lorsque deux jours après, l’information sort.

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Je voudrais que des cafards montent sur ma toile

Poème René char dédicace Mars 1937 décrit la guerre civil espagnole.

 

 

 

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Dès le 1er Mai, Picasso se met au travail.

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Première esquisse d’un marteau et une faucille (symbole des brigades internationales) sur un journal dont un article rappelle que la France vient de refuser l’aide demandée par le gouvernement espagnol.

Cet événement réveille chez Picasso sa fureur de peindre. Dora Maar reçoit commande de Christian Zervos pour photographier les différents états du tableau en vue d’un numéro spécial de Cahier d’Art Contemporain. Elle installe des projecteurs sur le tableau vierge. Des ombres portées apparaissent.  Elle filme tout au long de sa création. Picasso choisit de créer en noir et blanc. 7,80 X 3, 50 c’est un format qui tient compte de l’endroit où elle sera exposée.

 

 

 

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Photographie de Dora Marr montrant Picasso réfléchissant sur son tableau

Des esquisses sont présentées en formats moyens et même petits et quelques unes colorées.

 

 

 

 

 

 

 

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Les commissaires émettent l’hypothèse que cette scène de massacre est comme une scène de triptyque, format souvent exploité dans le domaine religieux et qui rappelle les tableaux apocalyptique et aussi fait penser à la crèche (lumière, étoile/ Âne).

Ce qui est sûr c’est que le tableau  est considéré comme une œuvre qui doit réveiller les consciences.  “Guernica” n’est pas uniquement un message politique contre Franco. Il dépasse le contexte historique par son pouvoir de rassembler toutes les douleurs issues de la guerre et des violences.

Le 25 Mai, l’exposition ouvre. Le pavillon est inauguré. La fontaine de Calder,  ami de Picasso, trône au milieu et vante les mérites des richesses minières de l’Espagne. Au fond, visible dès l’entrée, est le tableau Guernica. Le pavillon espagnol de l’exposition universelle de 1937 accueille aussi une centaine d’artistes.

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Fontaine à mercure – Calder

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Après l’Exposition universelle, le tableau va “tourner” dans différentes expositions  et va de plus en plus être apprécié du public. A partir de 1937, le regard populaire sur Picasso change : après des “Demoiselles d’Avignon” (1919), c’est “Guernica” qui lui assure sa renommée.

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Carte de la circulation du tableau”Guernica” après l’Exposition universelle

Aidé certainement par Dora Maar et ses amis, Picasso comprend rapidement la portée de son tableau. Il va participer à un certain nombre d’actions qu’on qualifierait maintenant de promotions et de soutien pour la paix et la liberté.

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Les deux planches de gravures “Songes et mensonges de Franco” sont des cartes postales créées en soutien au gouvernement républicain. Elles sont finalement vendues au pavillon de l’exposition avec poèmes et lettres.

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Femme qui pleure -1937

Le tableau ne sort plus d’Espagne depuis 1981. Il était mis en dépôt au MoMA par Picasso lui-même qui ne souhaitait pas que son tableau regagne son pays natal tant que celui-ci serait gouverné par une dictature.

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Une partie du cadre du tableau, déposé au début de l’expo.

Sources :

  • L’art est la matière – Jean de Loisy – France Culture – “Guernica”, l’œuvre monumentale, dénonciation engagée du bombardement de la ville éponyme.
  • La grande table – Olivia Gesbert – France Culture – Guernica au delà du cadre.

Questions pratiques :

vagabondageautourdesoi-guernica-wordpress-1070360Le site ici

 

 

GUERNICA – Musée Picasso

27 mars au 29 juillet 2018

Commissaires : Emilie Bouvard, conservatrice au Musée national Picasso-Paris

et Géraldine Mercier, historienne de l’art.

Partenariat avec le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía

Visite le 24 juillet 2018

 

9 commentaires

  1. Bonjour Matatoune. Je n’aime pas particulièrement Picasso mais j’admire son Guernica et cette exposition m’aurait bien inreressée. Bonne journée

  2. Bonsoir !
    Un très bel article ,c’était un pari de parler d’un tableau sans le montrer .Moi cela m’a convaincu ! Comme quoi .
    Bises bonne soirée

    • Oui, j’étais sceptique ! Mais, ce tableau est tellement universel pour l’art du XXème siècle et l’art tout cours, que l’on peut faire une expo sans lui!

  3. Ce n’est pas un peintre que j’apprécie car il ne correspond pas à ma sensibilité mais j’ai beaucoup entendu parler du musée qui lui est consacré et qui est aussi le reflet d’une époque 😊

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