Pierre Lemaitre – Le silence et …

…la Colère

RENTRÉE LITTÉRAIRE HIVER 2023

vagabondageautourdesoi.com - Pierre Lemaitre - Un mois et demi de l’année 1952 en moins de cinq cent soixante-dix-neuf pages, Pierre Lemaitre publie le quatrième volume de sa saga, sorte de Rougon-Marquart des temps modernes, Le silence et la colère après Le grand monde.

La famille Pelletier est toujours présente, même si l’ensemble du roman se situe beaucoup plus en France. Quatre ans après le décès du plus jeune des fils Pelletier, Etienne, en Indochine, le roman s’ouvre sur Geneviève, la garce, et Jean, son Bouboule de mari, fils aîné des Pelletier avec leur fille, Colette, trois ans et bientôt un autre, en gestation.

Jean a l’idée d’ouvrir un magasin de vêtements qu’on n’appelle pas encore discount. François est entré dans une rédaction qui ressemble beaucoup à France Soir. Hélène, la plus jeune, belle comme un cœur, essaye de suivre son petit chemin de femme libre. Alors, la vie va son cours pendant plus de huit semaines. Seulement, c’est Pierre Lemaitre qui tient la barre !

Alors, l’Inspecteur Palmari, inspiré du nom de l’indicateur dans La patience de Maigret, rappelle les petits collabos qui sévissaient dix ans plus tôt. Mais, comme jamais tout est tout noir et tout blanc chez cet écrivain, le docteur Marelle, autre personnage de Simenon, nous étonnera quelque peu !

Roman social

Aviez-vous entendu parler de la Protection des mineurs et de la natalité ? Moi, absolument pas ! Et, en nous immergeant dans le monde d’avant la loi Veil, le récit de certaines femmes de l’histoire nous invite à mesurer l’inquiétude sinon l’angoisse à la découverte d’un retard de leurs menstrues. Et, c’est le silence qui s’abat sur les femmes qui doivent, seules, faire face au non-désir d’enfant !

En arrière-plan au destin des enfants Pelletier figure la masse du barrage de Chevrigny, directement inspiré de la mise en eau du village historique de Tignes. Cela fait soixante-dix ans que les villageois ont vécu le traumatisme de l’enfouissement de leur passé au nom de la modernité ! Pierre Lemaitre avec son remarquable souci humaniste ressuscite le désarroi, le refus et la colère de ces hommes et ces femmes. Ils ont plié devant la volonté de l’Electricite de France, cachant les aspirations d’un Etat voulant inscrire le pays dans la modernité libérale future. Car,la figure de l’Ingénieur, délégué par l’entreprise, incarne le bulldozer social à l’œuvre dans notre société.

D’ailleurs, la venue du libéralisme est aussi abordée avec la gestion de la nouvelle entreprise de Jean. Elle affiche prix bas sur de grosse quantité à la qualité minimale. En s’inspirant de la saga de la famille Ouaki, Pierre Lemaitre instille les prémices de la société de consommation dont on ne cesse de nous seriner aujourd’hui qu’il faut changer le paradigme.

Mais, là où le talentueux conteur qu’est Pierre Lemaitre exprime tout son talent de romancier social, c’est dans la description du conflit qui oppose les salariées à la direction. Certes, son dénouement fait plaisir, mais là encore, cela annonce le sinistre politique qui actuellement est à l’œuvre.

Roman naturaliste

Dans une interview, Pierre Lemaitre déclare que sa colère l’aide à écrire. Et, dans ce tome, elle est présente dans un narratif si agréable qu’on pourrait passer à côté.

Tout ceci fait oublier les rebondissements et le suspens qui constituent ce volume. Car, si on se doutait dans le précédent qu’il y aurait un tueur en série, Pierre Lemaitre le nomme dans celui-ci en décrivant les débuts de la police scientifique.

On y retrouve aussi l’organisation de la presse et le développement de son pouvoir, les débuts du féministe moderne où le travail est l’outil d’émancipation, l’intervention des personnes en situation de handicap et tant d’autres choses…

Mais, c’est aussi une vraie saga car les personnages interagissent entre eux comme avec ces 20 000 francs qui passent de mains en mains !

En guise de conclusion,

Une mention spéciale est à offrir à Geneviève. Elle recueille ma plus intense antipathie. Elle me tape complètement sur les nerfs. J’en viendrai même à imaginer que son mari l’assassine tellement elle m’insupporte. Et, encore, j’affirmerai qu’il a eu des circonstances atténuantes ! Elle résume par ses réactions tout ce qui déclenche ma propre colère dans les comportements humains. Alors, lorsque dans ce tome, on nomme maltraitance sa relation aux autres, je suis ravie !

Que dire d’autres sinon que l’on attend le prochain avec encore plus d’impatience ! Car, le plaisir de lire est bien au rendez-vous de ce nouveau volume des Trentes Glorieuses de Pierre Lemaitre. Alors pourquoi s’en priver !

Pour aller plus loin

Pierre Lemaitre – Le grand monde

Et encore plus loin

Au Revoir – Albert Dupontel –

Couleurs de l’incendie – Pierre Lemaitre

Miroir de nos peines – Pierre Lemaitre

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Puis quelques extraits

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Belle époque où l’on pouvait prolonger les gardes à vue au-delà du délai réglementaire, détourner les lignes téléphoniques généralistes et répondre aux patients en se faisant passer pour les assistants, puiser dans le stock sans fond des dénonciations de voisinage, enfoncer un point dans les différents familiaux, les rivalités professionnelles, les jalousies, et ratisser large, de la matrone à l’herboriste.

C’était peine perdue, tout le monde le savait, il fonctionnait à la manière d’un ressort, vous le lâcher, il se déroule jusqu’au bout.

Il en allait ainsi chez les Pelletier. Émotions, secrets, silences, aveu ces déclarations se succédaient, il y en aurait eu un roman à écrire sur les pensées des uns et des autres. Une vie de famille.

L’avortement était un univers souterrain dont tout le monde connaissait l’existence et dont personne ne parlait ouvertement, l’espace de la honte et de la douleur, de l’angoisse et du risque où se mêlaient des femmes désarmées, des faiseuses d’ange et des médecins avorteurs considérés, par les bonnes âmes, comme des « ennemis de la nation ».

Si l’avortement était une affaire de femmes, sa répression restait principalement une affaire d’hommes.

Et encore

-J’ai beaucoup de peine, mais je veux décider par moi-même, pas accepter… ce que je n’ai pas choisi.

Aussi le recours à l’explosif contre un transformateur de quinze mille volts paraissait-il comme un acte de guerre et pour la première fois depuis des années qu’il tentait de s’opposer au projet, les habitants de chevrigny comprenaient que le vocable de « résistant » dans lequel il s’était conclu pouvait conduire, à l’approche de l’ultime échéance, à des actes de terrorisme.

Notre inconscient nous écoute, la réciproque est rare.

À la destruction s’ajoutait l’humiliation, le mépris.

Ainsi, il n’était pas suffisant que le village disparaisse au regard, il fallait encore, pour que la victoire de l’Administration soit complète, qu’auparavant il s’effondre afin que chacun puisse assister au spectacle de son existence réduite en poussière.

La petite Colette était en danger, chacun maintenant le savait, mais cette menace venant de sa propre mère paraissait si monstrueuse qu’il était impossible de l’aborder de front, c’est ainsi que se forgent les secrets de famille, que se nouent les culpabilités collectives.

Sauf que le capitaine avait reçu des ordres, et personne n’est plus borné qu’un homme en uniforme quand il a reçu des ordres.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Incipit
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Premier extrait
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Puis dernier extrait

Du côté des critiques

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Du côté des blogs

Aude Bouquine

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Pierre Lemaitre – Le silence et la Colère

Éditeur : Éditions Calmann-Lévy  

Twitter :  @calmann_levy  Instagram : @calmann.levy

Parution : 10 janvier 2023

EAN : 9782702183618

Lecture : Janvier 2023

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Chroniques littéraires

18 commentaires

  1. c’est un vrai bonheur de lecture ce roman ( comme les autres du même auteur), j’ai adoré détester l’odieuse Geneviève, et suivre les péripéties de vie de tous les personnages, tous très bien « croqués » . Leurs histoires sont habilement mêlées à l’Histoire. Il y a donc à la fois beaucoup de réalisme et une vraie fantaisie narrative. Pour moi, c’est vraiment de la grande littérature, au sens noble du terme . Bref j’ai A-DO-RE

  2. Bonsoir,
    Je n’ai pas encore pris le temps d’aller le chercher mais c’est prévu et il me tarde de découvrir ce nouvel opus.
    Pour Geneviève, elle avait déjà des allures de poil à gratter dans le premier, ça m’a démangé déjà, après ce que tu en dis !
    Merci de cette belle chronique
    Anne

    • Elle est exécrable dans le second, même si on, et les autres personnages aussi, la connaît bien maintenant 🙂

  3. J attends de le prendre à la bibliothèque pour ce plaisir de lecture d un vrai roman romanesque et comme vous dites naturaliste. Merci de me donner encore plus envie !

    • J’admire votre patience. je suis incapable de différer lorsque l’envie d’un livre se profile 🙂

  4. Pierre Lemaitre est, à mon sens, le plus grand écrivain français encore en vie. Il réconcilie critiques et public, lecteurs. Je n’ai pas encore lu les deux premiers tomes de cette nouvelle trilogie. Mon seul petit bémol c’est la couverture qui est un peu fade. Tu donnes envie avec cette très belle critique. Merci Matatoune 🙂

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