Premier roman pour Philippe Denis, plus habitué à manier le stéthoscope que l’écriture ! Et, pourtant, cet Inventaire familial si personnel et sensible, ouvre vers l’universel puisque, comme il en existe dans toute famille pendant la période trouble du début du XXè siècle, tout silence sera levé, les non-dits révélés et les mensonges contournés pour expliquer un présent et futur à continuer à construire.
Un brin d’histoire
Le décès de leur mère rend les quatre enfants de cette famille irrémédiablement orphelins, puisque leur père a choisi de partir en premier. Et, pourtant, ils n’ont plus l’âge d’être esseulés. Pour l’enterrement, Philippe Denis, dernier de la fratrie, revient dans sa région et plus particulièrement dans sa ville, Bordeaux, ainsi que dans la maison de son enfance, La Louisiane.
Le départ des parents donne des responsabilités aux enfants, nous suggère l’écrivain. Celui de donner sens à la vie de ceux qu’ils ont aimés et chéris. Et, l’âge venant, celui de donner voix à ceux qu’ils ont souvent accompagnés dans les derniers moments, souvent difficiles, de leur vie. Philippe Denis prend le temps dans cet Inventaire familial de décrire leurs présences, leurs engagements et leurs actions tout au long de la période trouble du début du siècle dernier.
De souvenirs en souvenirs, Philippe Denis raconte l’histoire de Christiane et Robert, ses parents, et de leurs parents réciproques pour relier les fils d’un passé qui ne demande qu’à revivre allégé des zones d’ombre et des silences pesants. Combinant le récit et reprenant les lettres échangées, le passé se revit avec émotion.
Du coup, c’est une épopée qui part d’une colonie africaine et fait découvrir un comptoir de commerce tenu par Alphonse, le père de Robert . Sa femme est folle d’opéra et vit à l’occidental dans sa grande maison où elle règne. Au cours d’un voyage commercial à Bordeaux, Alphonse et Robert font la connaissance d’une toute jeune fille à la fraicheur étrange accompagnée de son chien Cabot, un samoyède.
Robert et Christiane semble s’être trouvés, seulement la guerre éclate ! Particulièrement bien documentée, la réalité différente des deux jeunes gens amène une vue élargie de cette période particulière. Les liens s’établissent avec le présent, le vécu de l’auteur et sa famille.
Pour finir,
Inventaire familial est très plaisant à découvrir avec une vraie empathie pour les personnages décrits. Philippe Denis met dans son écriture suffisamment de distance pour que ses réflexions dépassent son histoire personnelle. De plus, le style est parfaitement maitrisé. Pourtant, des chapitres plus nombreux, surtout lors de changement de situations, seraient des respirations bienvenues.
Raconter la vie de ses parents devient de plus en plus habituel, actuellement. Néanmoins, Philippe Denis réussit à nous entraîner dans une saga familiale bienveillante, documentée et très attrayante avec des rebondissements le tout donne les clefs pour expliquer son propre chemin de vie. A découvrir !
Remerciements
à @EdduRocher1 et @NetGalleyFrance pour #Inventairefamilial de #PhilippeDenis
Puis quelques extraits
L’Africain comme la Canadienne trouvèrent soudain des charmes qu’ils n’auraient jamais soupçonnés à Arcachon, son bassin, ses jardins et ses promenades le long de la plage bordée de villas cossues, parfois d’inspiration mauresque, ou à colombages, aux bow-windows britanniques, dans ce style unique de station balnéaire Second Empire, telle la villa L’Alma, témoin de leur rencontre à l’autre extrémité de la jetée de la de cette Chapelle.
Cette façon que les êtres ont de se rappeler à nous…Ces ruses que l’on emploie pour les ramener près de nous…
En 1965, plus de vingt ans après les faits, Germaine a reçu une indemnisation de 500 francs de la part du gouvernement allemand pour la mort de son mari… Se demandant quel usage faire de cet absurde pécule, elle l’a finalement partagé entre ses cinq petits-enfants. Mon premier argent de poche… en compensation du préjudice de la mort d’Alphonse à Buchenwald… dont, sur le coup, je n’ai pas pris l’entière mesure de la valeur symbolique. J’ai évidemment oublié comment j’ ‘ai dépensé cet argent, il a filé en broutilles. Mais avec le recul, je réalise quelle lumineuse idée ma grand-mère avait eue. Quelle merveilleuse réponse à cette insulte ! Sans doute une des façons les plus vivantes, les plus joyeuses même, de célébrer le souvenir de son mari, celle qu’il aurait préférée entre toutes, lui dont la famille n’a évidemment pas récupéré la dépouille.
Et encore d’autres citations
Nous n’étions plus prêts à faire semblant de nous entendre, à défaut de nous aimer.
Une question m’occupait l’esprit depuis des années (…) celle de la responsabilité vis-à-vis des aînés. Qu’avons-nous fait de leurs sacrifices, qu’avons-nous fait de leur héritage ?
Lourde responsabilité pour le jeune couple, comme pour tous les autres mariés de cette période, que d’incarner les aspirations au bonheur de toute une nation. On ne leur en demandait pas tant, même si, tandis que le pays pansait ses plaies encore à vif, la moindre réjouissance cristallisait les espoirs d’un monde apaisé.
Le foyer de l’avenue Malesherbes comptait cinq cartes et l’on retrouve bien là le génie français de l’administration Ji(enfant de 3 à 6 ans) pour Marc, J2 (enfant de 6 à 13 ans) pour Luc, J3 (adolescent de 13 à 21 ans) pour Christiane, A (consommateur de 21 à 70 ans, ne se livrant pas à des travaux de force ou agricoles) pour Mireille et V (consommateur de plus de 70 ans) pour Éliane, chacune de ces cartes donnant droit à un certain nombre de tickets par produit qu’il fallait payer en monnaie sonnante et trébuchante. Le rationnement visait une répartition équitable des produits, indépendamment des moyens financiers, allègrement contournée par le marché noir et le système D.
Et encore, encore
Ces révélations brutales étaient préférables à la nuit noire de l’ignorance : la vérité permet de tourner la page, alors que l’ ignorance et le doute sont une prison aux murs infranchissables.
Inutile d’être sur la ligne de front pour être admirable de courage. En région parisienne aussi, comme partout dans la France occupée, il en fallait une bonne dose, ne fût-ce que pour faire face aux pénuries, à l’omniprésence d’un occupant de plus en plus nerveux, à la lassitude… Mais de ce courage du quotidien, il est rarement question, parce qu’il n’a rien de spectaculaire nulle action d’éclat, nul fait d’armes héroïques, (…)
Tous ces convives à table avec nous qui nous observaient manger dans leur vaisselle, sous l’éclairage dispensé par leurs lustres, leurs lampes et leurs appliques. Et ces pendules et ces cartels que mon père remontait pour mesurer un temps que nous ignorions à deux vitesses, celle des vivants et celle, beaucoup plus lente, des disparus.
Et nous avions de la peine pour elle parce que son expression, sa diction, ses mots, tout en elle révélait cette immense détresse que toute sa vie elle avait combattue en vain puisqu’elle ressurgissait avec une telle violence.
Et encore, encore, et encore,
Cette façon que toute sa vie il a eue de me faire confiance… sans jamais s’immiscer ni poser de questions. Sans doute parce qu’il me souhaitait cette liberté qu’il chérissait tant et dont trop souvent il avait du se sentir prive.
N’est-ce pas dans cette impossibilité de réparer, d’améliorer ce qui aurait pu l’être, que réside une partie de l’étendue du chagrin après la mort d’un être aimé ?
Ne pas subir. Ne pas subir un avenir, des codes, sociaux, bourgeois ou moraux, comme ceux qui avaient empoisonné l’existence de ma mère. Ces deux précédents si proches m’avaient définitivement vacciné. Derrière la façade heureuse que mes parents présentaient, j’avais pressenti des souffrances ou des frustrations qui assombrissaient le tableau d’ensemble.
Soudain, dans ce banal cabinet médical, toute l’histoire s’éclairait. La clef tournait enfin dans la serrure, cette serrure que j’avais depuis longtemps renoncé à forcer.
A cet égard, il me semble qu’un progrès a été fait, que notre génération a été libérée d’un poids, ce poids des secrets qui ravine les familles et influence les comportements sans qu’on en ait même conscience.
Mais, cet aspect mis à part, il m’est souvent arrivé de me demander si nous avons été à la hauteur, de leur amour, de leur foi en l’avenir, de leur sacrifice, de leurs concessions, de l’héritage qu’ils nous ont légué, cet héritage impalpable et essentiel qui conditionne notre façon de voir le monde, nos comportements, nos décisions et nos actes.
Ici en bref


Questions pratiques
Philippe Denis – Inventaire familial
Éditeur : Les éditions du Rocher
Twitter : @EdduRocher1 – Instagram : @editions_du_rocher
Parution : 6 avril 2022
EAN : 9782268107042
Lecture : Avril 2022
Littérature contemporaine
Auteurs commençant par D
Chroniques littéraires
oui un livre tentant, la photo de couverture est belle et c’est bien d’encourager les premiers romans
Oui, la photo est très réussie !
Je n’ai jamais lu sa poésie. Ce roman me tente plus.
Un premier roman réussi !
Ce livre a l air vraiment très intéressant, je le note. J aime bien ce type de chronique. Bonne soirée
J’ai passé un excellent moment de lecture Bonne soirée !
Bonne idée que cette histoire vraie d’une famille proche de nous ! Merci pour cette découverte Matatoune 🌞
Très agréable à lire !
Oui, une envie de se raconter !
En général je ne lis pas de chroniques familiales. Mais celle ci a l’air assez intéressante. Au moins ça reflète une vérité historique et des faits réels. Bonne journée Matatoune !
Oui, j’aime assez ces sagas familiales fondées sur une vérité historique peut-être un peu améliorée par de la fiction mais le fond reste vrai !