Robert Nicolaï – Les expériences très ordinaires du jeune Franck

Après avoir écrit des essais hypersérieux, consacrés à la langue orale, Robert Nicolaï se lance dans le roman en racontant la jeunesse de Franck, enfant né après la guerre qui, en ce début du vingtième et unième siècle, peut être considéré comme un représentant de la génération dite des boomers.

Quelques mots de l’histoire :

Sa jeunesse commence par une enfance bercée, pendant ses deux premières années, par l’amour exclusif de sa mère. Fille célibataire après la guerre, elle acquiert une liberté par son travail consciencieux. Puis, vint le mariage avec Michel qui la respectabilise. Presque juste après est venu un petit frère.

Cette tranquillité espérée est pourtant devenue aussi sa prison. Qu’avait-elle à effacer ainsi, encore et encore ? Car, se développe chez elle, une dépression qui ne s’identifie pas. Elle se manifeste par un trouble du comportement concernant la propreté.

Aucune tâche, aucune poussière, aucun désordre ne devait venir perturber le regard des autres. Ne jamais laisser échapper le modèle de femme exemplaire et de bonne mère qu’elle souhaitait donner. Sauf, que cette femme fragile va se heurter à l’incompréhension de l’enfant. Alors, sa manière d’alerter fut de créer, souvent gentiment, les moyens de  dévier des attentes de sa mère, de la réveiller de son enfermement, comme pour lui montrer ses propres failles. Ce qui, il faut bien l’avouer, fut pour cette femme insupportable ! Elle n’aura de cesse de retirer à l’enfant puis à l’adolescent tout regard bienveillant !

Pourtant, comme un ultime cadeau qu’elle lui transmet, lui vient ce goût pour le dessin, l’aquarelle et la poésie qui l’accompagnera tout au long de sa vie. Robert Nicolaï raconte l’adolescence réfractaire à l’école, l’apprentissage militaire dans la Marine, les brimades et les punitions, la rébellion toujours présente y compris jusqu’au voyage initiatique vers l’Orient, sur la route des Hippies. Ce voyage est organisé presque sous un coup de tête après avoir réussi son entrée à l’université, sans avoir été reçu au bachot.

Un roman autobiographique

Dès la quatrième de couverture, le genre est annoncé ! C’est une autobiographie mais avec un procédé particulier puisque Robert Nicolaï ne dit pas “Je”. Il s’énonce par Franck. Cette position est commode. Selon son envie, elle lui permet de raconter mais au bord du chemin, en regardant son personnage évolué !

Néanmoins, j’ai adoré cette plongée, presque sociologique dans la France qui se relève de la guerre. Dans cette société corsetée, la jeunesse va n’avoir de cesse de trouver une autre voie, une autre place, que celle qu’on veut lui assigner. Néanmoins, se reconstruisant, cette France a besoin de sang neuf. Ce fut cette chance que les Baby Boomers ont saisi, même si certains se sont perdus sur les routes de Katmandou.

Qui aurait imaginé que derrière le sérieux universitaire, spécialiste des langues Songhaï, méridionales et septentrionales, d’Afrique se cachait ce garçon rétif aux règles au point de ne cesser de les contourner, volant par de petits larcins y compris à sa mère, ou ce jeune homme avec sa chemise trop large découvrant les terres de l’Iran puis de l’Afghanistan en faisant du stop ?

En chapitres courts, Robert Nicolaï dresse le portrait ordinaire de la jeunesse d’un boomer, cette génération qui a bouleversé tout un ordre social, politique et même économique de la France d’après-guerre ! C’est un passé pas si lointain que l’on retrouve raconté sans nostalgie mais avec poésie et humour ! A découvrir !

Remerciements à Robert Nicolaï qui a su que je serais touchée par l’histoire de Franck.

Puis quelques extraits

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L’on apprend beaucoup sans que rien ne soit raconté, sans que rien ne soit jamais explicité. Franck apprend donc sans apprendre.

Pourquoi constitue-t-elle au grenier de telles réserves de pâtes, huile, sucre, farine, savon ?…Un stock qu’il lui faut réguler et renouveler constamment.
Par précaution. Sans doute lui faut-il calmer sa hantise d’un imprévisible retour des restrictions.

Ainsi, ce n’est pas la richesse ou la réussite sociale que Marthe retient comme ambition primordiale pour l’éducation de son enfant, mais cette rectitude morale qu’elle ne reconnaît pas à son père.

Une collection c’est toujours une fuite en avant.

Au bout du compte, il s’adonnera à ce jeu des larcins par simple habitude, sans même penser à d’autres fins que de mettre à l’épreuve son goût du risque.

Pour une vie d’étudiant, va-t-il cesser de se penser poète et artiste ? Se placer dans la course et dans le peloton pour gravir les degrés d’une échelle sociale, ou bien décidera-t-il de dédaigner cette voie pour, orgueilleusement, avec toute sa superbe, être lui-même à sa façon ? Est-il envisageable de concilier les deux ? (…) C’est à lui d’en décider. Crucialement. Et cette fois, il n’est pas sous contrainte.

En fait, c’est dans un no man’s Land qu’il circule. Il est ailleurs. Il est à côté de lui-même. Il voyage et se regarde voyageant. Il regarde. Il se regarde, il s’interroge. Il est très exactement à côté de lui-même.

Son voyage c’est en lui-même qu’il le porte.

Je n’ai pas pris de notes depuis une éternité. Peut-être parce que j’ai fini par comprendre que l’écriture est un très mauvais moyen de communion et de communication. …

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

vagabondageautourdesoi.com - Robert Nicolaï
Un premier extrait
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Puis un second
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Puis le dernier

Questions pratiques

Robert Nicolaï – Les expériences très ordinaires de Franck

Éditeur : Éditions Borromées

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Parution : 1 novembre 2021

EAN : 9791096852246

Lecture : Janvier 2022

Littérature contemporaine

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Chroniques littéraires

9 commentaires

  1. Le résumé de l’histoire est très alléchant ! Je suis d’une génération plus tardive mais j’ai toujours bien aimé cette époque des hippies et de la contestation politique. Ça pourrait me plaire.

    • En plus, c’est un écrivain qui utilise aussi la poésie. J’en cite ici un passage :
      Écrire, pensa-t-il.
      S’écrire ? Se dit-il.
      Afficher ? M’afficher ? S’afficher ?
      Qui donc est-on pour s’afficher ?
      Et sans vergogne, pensa-t-il.
      Et pour qui ? Et pour quoi ?
      La règle, la convention ?
      La joie, l’insoumission ?
      La vie, l’acceptation ?
      Quelles images choisir, se demanda-t-il.
      Les imposer ! À qui les imposer ?
      Et de quel droit ?
      Et pourquoi faire ? Pour dire quoi ?
      🙂

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