Rien de moi
RENTREE LITTERAIRE 2023
Prix Stanislas Groupama 2023
Julie Heraclès donne une autre voix à la jeune femme photographiée par Robert Capa, le 16 juin 1944, que l’on nomme la “Tondue de Chartres”. En alternant les chapitres qui enchevêtrent le présent de l’arrestation et son passé, une Simone Grivise se raconte et se dévoile, différente de la femme photographiée, dans ce premier roman.
Brins d’histoire
Dans la ville de Chartres, son enfance est assez choyée dans un foyer de commerçants. Sa mère est aigrie par les faillites successives et se réfugie facilement dans l’alcool. Son mari est toujours effacé et subit les invectives incessantes de sa femme. Néanmoins, assez rapidement, Simone découvre que cet homme n’est certainement pas son père. Madeleine, sa sœur, devenue institutrice, est considérée depuis toujours comme la bonne à tout faire de la maison.
Mais la petite Simone bénéficie d’un statut privilégié en intégrant des écoles privées tenues par des religieuses. Pourtant, elle se vit comme une victime, harcelée et dévalorisée. C’est en priant Sainte Bernadette qu’elle découvre la force de se battre. Simone garde une propension à se sentir victime, rejetée, incomprise et toujours mise à l’index.
D’ailleurs lorsque son amie Colette Klein est obligée de fuir les violences antisémites, Simone est incapable d’empathie et vit son départ comme un abandon et même une désertion !
Puis, vint l’adolescence où va s’accélérer toute son histoire!
Simone Grivise très différente de la vraie “Tondue”
Outre que la Simone de Julie Héraclès a une fâcheuse tendance à parler comme une jeune femme d’aujourd’hui, ce n’est pas ce qui m’a le plus dérangée dans ce roman. Néanmoins, dès le début, il est difficile d’adhérer à son propos tant le décalage est prégnant.
L’histoire de Simone Touseau, la vraie “Tondue” de Chartres, a été racontée par des historiens à partir de documents d’archives et de la rencontre des survivants.
Julie Heraclès transforme Simone Touseau, aux positions notoirement fascistes en une Simone Grivise, toujours déçue par les autres, son amour avec Otto, soldat allemand, l’apaisant d’un traumatisme.
Mais, dès 1935, la vraie “Tondue” de Chartres dessine sur des cahiers des svastika (croix gammées). Et, son adhésion au PPF (seul et unique parti nazi français) signifie sa véritable approbation aux valeurs fascistes nazies, et non un compagnonnage de proximité, comme le laisse sous-entendre Julie Héraclès.
Est-ce vraiment important ?
La photo de Robert Capa illustre dans notre inconscient collectif la période trouble de l’épuration à la Libération, ressentie pas l’Extrême droite de l’époque comme une véritable humiliation. Gommer les encagements connus, volontaires et assumés, de Simone Touseau pour servir une Simone Grivise, aigrie, ayant épousé les thèses nazies juste par opportunité et par attirance amoureuse me déplaît fortement !
Et, mettre en avant cette Simone Grivise, c’est à mon sens, estomper pour rendre plus acceptable le parcours de Simone Touseau pour tenter d’effacer les valeurs qu’elle a défendues, revendiquées et mises en pratique dans sa propre ville, selon les recherches des historiens.
C’est aussi mettre en avant, dans notre société du buzz permanent, la Collaboration qui a sévi à une certaine époque. D’ailleurs, en ce sens, le titre est très réussi ! Et comme, l’histoire de Simone Grivise épouse fortement les thèmes actuels (le traumatisme sexuel, le harcèlement, l’abandon, etc.), il est aisé de s’identifier et d’en comprendre son succès.
En résumé
Le roman, Vous ne connaissez rien de moi, est une fiction librement inspirée de la photographie de Robert Capa. Il n’a rien à voir avec la véritable histoire de Simone Touseau, la femme appelée depuis “La Tondue de Chartres”.
Julie Héraclès présente une forme édulcorée, certes bien écrite, même si la manière de raconter sa Simone semble peu crédible. Seulement, son parti pris, en donnant à l’héroïne une nouvelle vie romancée, banalise le vécu des collaborationnistes de la seconde guerre mondiale, ce qui est regrettable !
Remerciements
à @editionsLattes et @NetGalleyFrance pour #Vousneconnaissezriendemoi de #julieheracles
Puis quelques extraits
Ce qu’il ne sait pas, c’est que pour moi, embochée, ce n’est pas une injure. Il y a eu un moment , dans ma vie, où je me suis sentie plus allemande que française. Il y a même un jour où j’ai vibré en voyant le peuple allemand acclamer son Führer. L’Allemagne allait engendrer un monde nouveau, j’en suis persuadée. Tout ça c’est vrai. Tout ça, j’y ai cru. Même si c’est loin, maintenant. Je ne suis plus la même. À présent, j’ai trouvé d’autres raisons de vivre.
Ça me fait du bien d’imaginer le pire. L’imaginer, c’est comme l’empêcher d’exister.
Ici en bref




Du côté des critiques
Du côté des blogs
D’autres avis que le mien ici
Horizonsdepatricia – Au fil des livres – petite_etoile_livresque
Questions pratiques
Julie Héraclès – Vous ne connaissez rien de moi
X – Instagram @julie.heracles
Éditeur : JC Lattès
Twitter :@editionsLattes Instagram : @editionslattes
Parution : 23 août 2023
EAN : 9782709671301
Lecture : Août 2023
Comme tout le monde je connais la photo, je suis donc curieuse de découvrir ce roman qui se passe dans la ville que j’habite. Très rapidement je suis happée par ce récit très vivant, et je dévore en 2 jours ce roman très bien construit, très bien écrit.
L’auteur invente une vie à la tondue de Chartres, sans complaisance, sans orientation, sans jugement de valeur sur le comportement du personnage ( forcément puisque c’est la narratrice).
C’est une oeuvre romanesque, une invention ( basée sur des faits connus), et à mon sens, il faut se détacher du jugement sur Simone, pour apprécier le roman.
Beaucoup de romans ont pour personnage principal un homme ou une femme dont on réprouve le comportement.
La raison pour laquelle, selon moi, le roman est réussi, c’est parce qu’ il donne à voir une femme d’apparence banale, dont la vie bascule du côté du Mal. Comme Lucien Lacombe dans le film de Louis Malle, qui deviendra collabo faute d’avoir pu intégrer la Résistance. Et ce roman permet de nous interroger sur nous même : en période troublée, de quel côté aurions nous penché ?
D’abord remerciements sincères pour cet avis argumenté ! Et justement, pour moi, on ne bascule pas par hasard dans le mal !
Cette thèse, répandue pour excuser après coup toute responsabilité de ses actes, je n’y adhère pas !
A moins d’avoir un flingue sur la tempe (au propre et au figuré), je sais que je n’irai jamais dénoncé mon voisin !
Je rejette cette banalisation du mal ( évidemment, ce n’est pas moi qui ait inventé cette expression 😉).
Bien sûr, c’est une œuvre de fiction ! Et l’auteure à toute la liberté d’écrire ce qu’elle veut. Et, c’est vrai, c’est bien écrit, bien construit et plaisant à lire!
Et justement, pour toutes ces raisons, restons vigilants !
Oui, Simone peut tout à fait trouver en Otto, l’amour, la protection dont elle a besoin pour se relever de son traumatisme.
Seulement, ici, cette Simone, par la photo de Capa, représente dans l’imaginaire collectif la Collaboration.
Que Julie Héraclès raconte l’histoire de Simone Grivise sans faire référence à cette photo, je n’aurais pas eu la même réaction.
Seulement, elle pose comme préalable à son roman, cette photo qui a une histoire forte pour tous les français, et les autres. Et elle plaque un portrait de femme où justement on imagine une femme ordinaire qui est entrée en admiration des nazis, par hasard !
Les capot des camps d’extermination ont pris cet axe de défense à leur procès. Depuis, on sait combien c’était faux !
Les thèses de l’extrême droite se répandent dans notre société à bas bruit jusqu’à un ancien président qui banalise l’extrême droite.
La boîte de Pandore s’est ouverte, que pouvons faire pour la refermer !
Ce n’est pas ce genre de fiction qui peut nous y aider !
Mais, merci encore pour votre avis !
Échanger sur nos ressentis nous fait à tous avancer dans notre réflexion et c’est bien ce que nous allons chercher dans la littérature, le plaisir d’essayer de comprendre le monde et nous-mêmes toujours un peu plus!
Excellente continuation et au plaisir de vous revoir ici !
Merci Matatoune pour cette chronique. Ce livre ne m’aurait sans doute pas plu non plus, vérité historique tronquée et complaisance pour les “valeurs” fascisantes. Mais la photo de Capa ne me plaît pas non plus, enfin ce qu’elle montre à savoir une “justice” de la rue expéditive et triomphante et surtout humiliante.
C’est vrai. Surtout qu’on sait maintenant que ce fut le déchaînement de quelques heures avant l’arrivée des américains qui ne voulait absolument pas être mêlés à ce type de comportement. Les quelques résistants qui y ont participé ont été rappelés rapidement pour défendre les lignes contre l’armée allemandes en déroute. En fait, ce fut un déchaînement des foules, surtout des femmes. Je suis frappée par leurs regards, leurs bouches qui doivent crier des injures ou peut-être cracher. Et cette croix gravée sur le front, quelle horreur ! Non, cette photo décrit la haine, comme tu dis, sans qu’ on attende que la justice s’en mêle. Mais, il fallait montrer pour que l’histoire n’oublie pas ces comportements ! Merci d’être passé ici 😉
Bonsoir Matatoune. Je ne crois pas que ce roman me plairait d’après ce que tu en dis. Bonne soirée et bisous
oublié de signer . Agnès
aa67
Merci !
Bel éclaircissement Matatoune pour un roman que j’ai failli acquérir et qui ne serait pas non plus dans l’idée que je me fais des romans historiques. Le prix de Nancy m’étonne par rapport à ce total changement de fond opéré par l’autrice
Moi aussi ! Mais ce livre a tout pour plaire à notre époque :
un soupçon d’interdit ( écrire sur une photo aussi connue),
un soupçon de foutre en l’air la bienséance ( prendre le contre-pied, en donnant une image attachante de cette femme),
reprendre des thèmes qui font l’actualité ( comme le harcèlement scolaire , le traumatisme du viol, )
Et le tour est joué…on se met à admirer une femme qui a ouvertement, en réalité, soutenue et mise en pratique (par des dénonciations) des thèses fascistes.
C’est grave d’édulcorer la triste réalité des thèses de l’extrême-droite qui a tant de succès en ce moment dans toute l’Europe. En plus c’est dommage de présenter le discours d’une femme des années 1940 comme celui de nos contemporaines. Donc un roman à éviter. Bon week end
Oui, cette lecture m’a énervée 😒.
Lorsqu’un livre ne me plaît pas, je ne chronique pas ! C’est ma règle !
Mais, là, le buzz médiatique qui montait et ce prix où des personnes dont j’ai apprécié le travail le récompensent, …
Bon dimanche 😉
Un parti-pris littéraire assumé.
Oui, mais, du coup, notre liberté de lecteur est de s’interroger sur le pourquoi et à quelle fin ? A voir lors des interviews !
Bonjour Matatoune ! Je vois que ce livre ne vous a pas plu et je pense qu’il ne me plairait pas non plus. Quand on falsifie la réalité historique ça ne vaut pas la peine.
C’est évidemment la liberté du créateur, mais je déplore ce type de liberté qui annule le vrai engagement fasciste de la vraie Simone, pour en faire un rapprochement de proximité. Surtout actuellement, où ces theses trouvent de nouveau écho en Europe et en France aussi !