RENTREE LITTERAIRE 2023
Abandonnant le registre de l’intime, Sorj Chalandon renoue avec l’histoire du destin d’un enfant qui, au gré des circonstances de la vie, va transformer sa colère et sa rage aux poings toujours fermés en engagement pour la liberté.
Sorj Chalandon choisit de raconter l’histoire de la colonie pénitentiaire de Belle-ïle. Le mot colonie, à Haute-Boulogne, on accueille des mineurs. Et celui de pénitentiaire, car c’est uniquement ceux qui sont sortis des rails parce qu’ils avaient trop faim, ou alors trop bêtes ou encore trop saouls, ou comme La Teigne, trop amoureux !
Car jules Bonneau, dit La Teigne, y est arrivé le 16 mai 1927. Il en sortira à 20 ans, comme par hasard, sans préméditation, juste par une opportunité qu’il aura pu saisir. Son nom sera le seul dont l’histoire gardera le souvenir comme celui qui ne fut jamais retrouvé !
C’est cette histoire à la Jean Valjean que propose Sorj Chalandon. Imaginez, il y a à peine cent ans, on enfermait les enfants, voleurs de pommes, ou ceux dont le seul crime était d’être abandonné de tous. Dans L’Enragé, il imagine que le hasard de rencontres aimantes peut infléchir un destin de “vaurien” pourtant tout tracé.
Le 27 août 1934, 56 enfants de Haute-Boulogne s’enfuient. Tous seront repris, sauf un, La Teigne ! Heureusement, à la faveur d’événements que même la quatrième de couverture ne dévoile pas, le destin de La Teigne va changer. Et, sous nos yeux, le jeune nourrit par sa colère, commence, petit à petit, à faire confiance à ceux qui vont le chérir et l’entourer.
Le début du récit gène, dérange et met mal à l’aise, devant de telles violences faites aux enfants, ainsi que les punitions utilisées et l’injustice pratiquée. M’est venue l’idée que je ne pourrais pas continuer ma lecture, tant j’en ai été déstabilisée !
Mais, avec ce roman à la première personne, comme à son habitude, Sorj Chalandon renoue avec les grandes fresques historiques en mettant la vie d’une personne au centre d’un système répréhensible et inhumain.
Seulement, la présence aimante peut-elle effacer les traces indélébiles de la violence ! Les conséquences d’une telle oppression sont ineffaçables pour Sorj Chalandon. Et, même si son héros bénéficie d’opportunités constructrices, il reste, et restera, marqué par la violence qu’il a subie. C’est un diagnostic terriblement amer que l’écrivain présente, loin de ce principe de résilience qui lève toute culpabilité de ceux qui savaient…
Que faut-il faire alors lorsque l’on sait ? À l’image de Jacques Prévert, jeune poète à l’époque, il faut dénoncer ! Et, le poème Chasse à l’enfant en démontre le cri qui permettra, avec la campagne de presse, de s’interroger sur le sort de ces enfants prisonniers. Sorj Chalandon met en scène cette dénonciation qui permettra une amélioration des conditions de vie des enfants.
À côté des matons et leurs familles, vivaient à Belle-île des marins pécheurs dont on découvre à la fois toute l’âpreté de leur métier, mais aussi leurs us et coutumes, un métier d’hommes à la solidarité indéfectible. Les rites de fin de pêche, de vie à bord y sont décrits avec minutie permettant une immersion très fine de ce milieu rude que rien ne semble changer.
Mais, même si Belle-île n’est reliée au continent que par la liaison de Quiberon, les remous de la société française d’avant seconde guerre mondiale s’y développent comme partout. En décrivant l’opposition entre l’extrême droite, terriblement active, et la gauche habituelle et radicale, implantées au sein d’une famille, Sorj Chalandon, non seulement, décrit parfaitement les tiraillements de la société de l’époque, mais fait aussi un clin d’œil à la nôtre ! De même, pour les faiseurs d’anges, des femmes engagées au côté d’autres femmes !
Dans la veine humaniste qui anime toute son œuvre, et après ses derniers romans plus personnels, Sorj Chalandon revient à ce qu’il sait le mieux faire, dresser une épopée historique devenant romanesque, dans sa façon de combler les vides. Ainsi, en décrivant une révolte contre un ordre établi, injuste et inhumain, le journaliste écrivain redonne vie à un lieu oublié, pourtant symbole d’une liberté happée, celle de l’enfance emprisonnée.
Remerciements
@editionsgrasset pour #LEnrage de @sorj_chalandon
Puis quelques extraits
Notre troupe de vauriens semble une armée vaincue.
Pour nous inculquer le sentiment de l’honneur ils nous redressent à coups de triques et de talons boueux.
Je suis né sans proche, sans parents ni amis. Ni les baisers d’une mère, ni les ordres d’un père. Pas non plus d’enfants à mes côtés, de copains à l’école, de camarades de jeux. A peine un voleur de pelles, un compagnon de fugue, un incendiaire, quelques garçons rendus mauvais. À la colonie, je me suis isolé. Je n’ai voulu aucun autre que moi dans les parages. Seul, Bonneau. Seule, La Teihne. Encaisser les coups, les rendre, tenir jusqu’à demain et surtout, ne pas se mêler de la souffrance des autres. Ne pas la provoquer, ne pas l’apaiser non plus. .
Je voulais que mes galoches laissent dans sa terre l’empreinte de ma rage.
Après avoir charrié sur sable, cassé ses cailloux, craint son mur et ses vagues, j’ai aimé cette île et sa beauté tragique.
Revoir ces hommes m’a rappelé que je leur appartenais . J’avais échappé à leurs griffes mais j’étais encore à portée de matraque.
– Comme l’a écrit Jean Cocteau : Un secret à toujours la forme d’une oreille.
– Un poème pour moi, c’est un écrit qui dénonce.
Et encore,
“Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux,
Tout autour de l’île, il y a de l’eau.”
Jacques Prévert. 1934
“Qu’est-ce que c’est que ces hurlements !:
C’est la meute des honnêtes gens
qui fait la chasse à l’enfant. “
Jacques Prévert. 1934
Ma France, tu vois, c’est un pêcheur breton, une infirmière, un communiste, un frère basque et un garde champêtre de Mayenne.
Ici en bref



Du côté des blogs
Ma voix au chapitre – Mes promenades culturelles 2 – Charlotte parlotte –
Questions pratiques

Sorj Chalandon – L’Enragé
Twitter : @sorj_chalandon – Instagram @sorjchalandon
Éditeur : Grasset
Twitter : @editionsgrasset Instagram : @editionsgrasset
Parution : 16 août 2023
EAN : 9782246834670
Lecture : Juillet 2023
La première partie du roman qui se passe dans la colonie pénitentiaire, est particulièrement difficile à lire, en raison de son côté réaliste. La suite est plus facile. Le roman porte bien son titre. L’histoire de ce gamin dont le seul tort est d’avoir été abandonné par sa famille, est particulièrement poignante et on comprend comment le malheur, la souffrance et les injustices vont faire de ce garçon sensible, un véritable enragé. On oublie alors de condamner ses actes les plus répréhensibles. Un grand roman écrit avec les tripes !
Oui, j’ai vraiment eu, moi aussi, bcp de plaisir à découvrir celui-ci. C’est un roman coup de cœur que j’encourage à découvrir car oui, il est écrit avec les tripes et c’est vraiment ce qu’on aime chez cet écrivain, sa sensibilité, sa tendresse humaniste et son souci de réparer l’injustice.
Je serai très satisfaite qu’il puisse recevoir un prix! Ce serait mérité !
Le style trop journalistique de l’auteur me rebute à chaque fois.
Moi, je suis une inconditionnelle! Alors…Seulement, là, il décrit ce qu’on faisait aux enfants qui, plus par manque de soins et d’attention se retrouvaient au bagne en France. Sous prétexte de les rééduquer, on les maltraitait ! Et le fait de suivre le seul survivant d’une mutinerie dans sa reinsertion permet de s’immerger dans l’époque et le milieu des sardiniers.
Un auteur que je laisse de côté depuis plusieurs romans, notamment depuis qu’il s’est concentré sur sa propre histoire. Je crains son excès de lyrisme qui m’agace, mais tu n’en parles pas …
Ah, je crois que Sorj Chalandon est un irrémédiable humaniste, alors, son lyrisme ne me gêne pas. Mais, ici, comme le roman met en lumière Jules La Teigne, il s’attache à mettre en mots cette époque, pas si lointaine, quand-même, où on emprisonnait les enfants pour rien. Ici, le lyrisme est présent dans la situation qui permet à ce jeune de combattre la rage qui l’anime et la description du microcosme de l’île. Je crois que Sorj Chalandon est revenu à son écriture de ses débuts!
Alors, du coup, pourquoi pas … Je le feuillèterai en librairie …
A suivre, peut-être 😉
Bonjour Matatoune. J’apprécie moi aussi cet auteur et ce roman me tente. Je le chercherai à la médiathèque. Bonne journée
Franchement, il devrait y être vite, s’il n’est pas déjà pris 😉
Ce livre me rapelle ‘le gosse’ de V.Olmi déjà centré sur un penitentier d’enfants.
Je n’avais pas voulu le lire, pensant ne pouvoir supporter la description des sevices faits aux enfants, bien que j’aime l’écriture de cette ecrivaine.
Donc, je ne peux comparer.
La description de ce bagne pour enfants tient dans la première partie et c’est vrai que cela m’à été pénible.
Mais Sorj Chalandon sait raconter la vie dans les petits détails du microcosme qu’il choisit.
Un roman coup de cœur. ❤️
Tout à fait, premier coup de cœur de cette rentrée. Mais comme j’ai le cœur comme une marguerite, je crains qu’il y en ait d’autres 🙃
Pareil pour moi, j’avoue. 😀😘
Très beau poème de Prévert. J’ignorais qu’il faisait référence à cette colonie pénitentiaire. Intéressant.
Moi non plus, je l’ai appris ici ! Et ça correspond bien à ce qu’a été toute sa vie ce poète, un lanceur d’alerte à sa manière 😉
💜❣️
Un retour à des thèmes plus habituels de cet écrivain dont j’aime tellement l’écriture 😉
Il est aussi dans ma pal. Je compte ne pas l y laisser moisir, j apprécie beaucoup cet auteur. Bonne journée
Alors, tu devrais vivre un bon moment de lecture ! Du moins, je te le souhaite sincèrement ! Bonne journée 😉