Nadia Wassef raconte dans La libraire du Caire son aventure pour la création et le développement d’une librairie dans la capitale de l’Egypte contemporaine, de l’engagement pour les livres jusqu’à sa lente désaffection devant tous les tracas qu’elle a rencontrés, politiques, sociaux mais aussi de management ainsi que ses soucis personnels.
Brins d’histoire
Deux sœurs, Hind et la narratrice, ont le rêve fou de créer un lieu pour vendre des livres, arabes et étrangers, de poche et des beaux livres, des best-sellers aussi bien que des livres rares. Elles s’associent à une de leurs amies, Nihal et trouvent un local dans le quartier de Zamalek en 2003.
Les deux sœurs sont issues de la bourgeoisie copte égyptienne et ont fait leurs études à l’alliance américaine du Caire sur la littérature américaine. Leur amie, elle, est issue de la bourgeoisie musulmane du Caire. De leurs différences, elles feront la diversité de leur librairie.
Diwan est le nom choisi par les trois femmes pour leur librairie. Dans le monde islamique médiéval, ce mot signifie à la fois un divan, un recueil de poésie et l’enregistrement d’un ensemble, comme celui des combattants.
La librairie se veut un lieu de rencontres, un lieu d’échanges et un lieu de vie. Des professeurs venaient y donner leur cours. D’autres venaient regarder les livres avant de les acheter. D’autres encore avaient une activité complètement différente que la lecture…
De la création de l’ISBN égyptien, au café avec ses pâtisseries, elles créent un concept jusqu’alors inconnu en Egypte. Rapidement, le gâteau aux carottes devint célèbre. Mais, sont vendus aussi des films, des jeux pour enfants. Un endroit qui devient rapidement comme un centre culturel privé.
L’aventure prend forme et d’emblée remporte un vif succès. Seulement, l’équilibre semble précaire, le pays change et s’annonce déjà toutes sortes d’entraves. Pourtant, Diwan se développe et ouvre neuf succursales comme à Héliopolis, cinq après l’ouverture de la première.
Un lieu à préserver
Le récit de Nadia Wassef est intéressant à plus d’un titre. D’abord, elle raconte le quotidien d’une libraire entre exigence sur le fond à proposer aux lecteurs, sa passion pour la littérature, mais aussi les tracasseries administratives, et en Egypte, elles sont nombreuses ainsi que ses difficultés dans la gestion du personnel.
Nadia Wassef associe son expérience à la littérature qu’elle propose et même l’élargit aux livres de développement personnel, aux livres de cuisine et même de management.
Mais, le récit décrit aussi une Egypte contemporaine où peu d’Égyptiens peuvent s’offrir un livre. De l’époque de Nasser, où tout était contrôlé, à l’après révolution jusqu’à l’arrivée des Frères Musulmans qui oblige Nadia Wassef à l’exil, c’est le cœur de l’Egypte qui se dévoile.
L’expérience de ces trois femmes à la tête d’une entreprise rassemblait plus d’une centaine d’employés, en lien avec les éditeurs et le milieu intellectuel cairote mais aussi étranger, travaillant avec la censure et les restrictions de toutes sortes. Ce récit est extraordinaire de fougue malgré les difficultés rencontrées. Un message porteur d’espoir pour l’avenir !
La libraire du Caire, traduite en dix langues et bientôt en japonais, décrit dans son quotidien un tiers-lieu où le monde s’expérimente, se pense, et se crée au fil des jours.
Nous le savons depuis la pandémie, une librairie n’est pas un commerce ordinaire, Nadia Wassef le démontre à chaque page. Ses lieux sont à préserver car ce sont nos esprits que l’on protège !
Puis quelques extraits
Diwan était ma lettre d’amour à l’Égypte. Elle fait partie de ma quête de moi-même, du Caire, de mon pays, et l’a alimentée. Et ce livre est ma lettre d’amour à Diwan
Qu’arrive-t-il aux pays qui favorisent les barrages et les autoroutes au détriment de la culture ? La réponse était sous nos yeux. Nos musées s’étaient mués en cimetières , des espaces morts consacrés au triomphe de quelques hommes forts. Nos manuels scolaires se faisaient l’écho de ces mensonges et de ces émissions. Le journaliste était convaincu que seule l’élite se préoccupait désormais de la culture et que les livres étaient superflus pour les gens qui luttaient pour se maintenir au-dessus du seuil de pauvreté. Il n’avait pas tort. Nous n’en avions pas moins le devoir de nous accrocher à notre entreprise et de croire en nos livres. Si nous, égyptiens, devenions étrangers à ce que nous étions, nous ne saurions jamais qui nous pourrions devenir.
(…) nous sommes une librairie où les gens ne dépenseront pas seulement de l’argent, ils y passeront du temps.
En Égypte, les hommes ont la mosquée, le barbier et l’ahwa, le café, où il fume la chicha, joue au backgammon et aux dominos, écoute la radio, regarde la télévision et le monde passer. Les jeunes hommes ont leur club de sport et les femmes leur maison, dont elles sont rarement propriétaires.
Et encore,
Les librairies sont à la fois des lieux privés et publics, où nous nous évadons du monde tout en y participant plus pleinement.
(…) à quelques exceptions près, les Égyptiens écrivent rarement des romans se déroulant dans l’Égypte antique. Le colonialisme commence par nous couper de notre passé, puis il nous oblige à nous tourner vers les colonisateurs pour le connaître.
Nous sommes devenus victimes de nos pyramides : l’idée que nous les avons construites est une pilule qui nous fait du bien, nous l’avons pendant que nos maisons s’effondrent autour de nous.
Personne ne lit un texte de la même façon.
On peut comparer la lecture au voyage. Nous nous rendons dans des contrées lointaines pour comprendre la diversité. Se faisant, nous nous rencontrons nous-même, c’est le filtre par lequel passe l’expérience, comme à travers l’objectif d’un appareil photo.
(…) notre rejet du code de la route est une sorte de désobéissance civile, de même que la créativité de nos rapports pas avec la bureaucratie.
Une évidence s’imposait : la survie de Diwan dépendait de compromis sur nos idéaux.
Pour la majorité de la population, même un livre de poche était un luxe presque inabordable. La plupart des Égyptiens avaient du mal à se nourrir, se vêtir, se loger, s’éduquer, se soigner. S’il restait un peu d’argent, il ne les dépensait pas en livres.
Et encore, encore
Les réformes de Nasser avaient mis sous séquestre les entreprises, promettant au peuple la propriété collective. Des entreprises prospères s’étaient mués bureaucraties inefficaces, encombrées de personnes persuadées de n’avoir que peu de moyens, voir aucun pouvoir. Après son élection en 1970, S’adapte, tentant de sauver l’économie chancelante, institua l’INFIRAH, littéralement ,” l’ouverture”, une politique de la porte ouverte pour attirer les investisseurs privés surtout étrangers. Son successeur, le président au Moibarak,, amorça un programme de privatisations destiné à dénationaliser nombre de sociétés dont la valeur avait diminué en raison d’une mauvaise gestion et de la corruption.
Les outils concrets ne servaient à rien dans notre paysage dépourvu de pragmatisme, ou inch’Allah, bokra, maalesh semblait être la seule litanie des bureaucrates répondant aux requêtes:” si Dieu le veut»,« demain», “tant pis». Sans compter la dimension du genre. Les auteurs, les hommes d’affaires, les entrepreneurs déroulaient sans jamais se demander si ce monde leur appartenait, alors qu’il m’arrivait de ne pas me sentir à ma place, fut-ce dans ma librairie.
« Comment un homme cherchant à franchiser une entreprise créée et gérée par des femmes les trouve-il en même temps indignes d’une simple poignée de main ? »
Une révolution est un cataclysme. Les émotions sont exacerbées. Le mécontentement et l’espoir fleurissent côte à côte. D’anciennes lignes de faille se facturent. Rien n’est ordonné. Rien n’est clair.
Dans un autre contexte, j’aurais ravalé ma salive et enduré le silence. Un ou deux mandats, puis il s’en irait. Ce n’est malheureusement pas le mode de fonctionnement des dirigeants égyptiens. Ils n’abdiquent que sous pression, celle de la main de Dieu ou de la botte de l’homme. Je redoutais des décennies de gouvernement islamiste. J’avais conscience de mon impuissance à changer l’inéluctable. Une fois de plus, je n’avais de contrôle que sur moi-même. Je planifiai mon exode.
Ici en bref



Du côté des critiques
Le Monde –
Questions pratiques

Nadia Wassef – La libraire du Caire
Traduction : Sylvie Schneiter
Twitter : @nadiawassef Instagram :@nadia_the_bibliophile
Éditeur : Éditions Stock
Twitter : @EditionsStock Instagram : @editionsstock
Parution : 26 avril 2023
EAN : 9782234090552
Lecture : Mai 2023
Merci pour cette découverte. Très envie de le lire.
J’ai aimé me plonger dans les contradictions à la fois d’une amoureuse des mots, d’une entreprise dirigée par des femmes et le pari de la culture dans un pays dont la population n’avait pas, et n’a pas encore les moyens, de se payer un livre 😉
Bonjour Matatoune. Ce livre doit être passionnant et je le lirai sans doute. Bonne journée
Oui, c’est le récit d’une expérience hors du commun de la collaboration de trois femmes engagées pour la culture ! Bon week-end 🙂
Bonjour. Je crois comprendre que ce récit est inspiré d’une histoire vraie et je trouve cela très beau. La littérature et la culture contre les fanatismes. Ces femmes sont très courageuses.
Oui, c’est bien l’objectif de la culture, former des esprits libres et en capacité de discuter les dogmes. Bon week-end 🙂
Il a tout pour me plaire. Et en plus il est en poche….
Alors, peut-être au plaisir de lirecton avis 😉
♥️♥️♥️ merci de nous faire découvrir ce livre, vive la lecture !
Ah, oui, et la lecture sans les libraires est un plaisir bien fade 😉
J’espère que tu as passé de bonnes vacances. Je retrouve ton blog avec plaisir et le livre dont tu parles fait envie. c’est important de préserver les leiux culturels face à l’obscurantisme. Bonne journée
Oui, vacances agréables et bientôt des retours ! Oui, ce livre se lit comme un roman et en plus, c’est un symbole important, encore actuellement !