Rouge Karma
Avec un tel titre, Rouge Karma, Jean-Christophe Grangé renoue, pour la seconde fois, avec un thriller toujours sanglant certes, mais historique, car implanté dans le Paris de mai 68 et aussi au cœur de l’aventure des hippies se heurtant à la réalité de l’Inde qu’aucun n’avait anticipé !
Brins d’histoire
Hervé Jouhanneau, vingt-deux ans à l’allure “à la Duduche”, sans les lunettes est un étudiant, élégant, avec une tache de naissance, pas du tout banale, et des principes inspirés du Che qu’il applique à ses techniques de drague. Chouchouté par une grand-mère, c’est un romantique qui va devenir, en quelques heures, enquêteur confirmé.
La belle Nicole, férue de yoga et fille de grand bourgeois, à la tignasse rousse, aime l’effervescence de ce mois de mai ! Accompagnée de deux autres copines, Isabelle et Cécila, elle, la”Vénus à la tunique”, croque les jours en révoltée des beaux quartiers !
Jean-Louis Mersch, une gueule de plus en plus patibulaire, des cheveux longs qui vont devenir poisseux, est un flic violent, resté déboussoler par ses années algériennes et sa guerre. Addict aux “amphets”, il s’affilie à un adjoint, Bero, et bénéficie d’une parfaite tranquillité pour enquêter sur un meurtre, le premier, d’une étudiante impliquée dans les fameux événements.
Thriller qui allie littérature et noirceur
Les descriptions de scènes de crime, la signature de Jean-Christophe Grangé, agissent comme un tissu d’épouvante qui tombe sur le lecteur, n’occultant aucun détail sordide, au point que le regard survole tous les mots pour se pauser au point et reprendre son souffle. Puis, afin d’en reconstruire le sens, les yeux décryptent de nouveau les signes pour développer l’image qui imprime à jamais le cerveau. Et, cette impression influence l’urgence de l’enquête car, le lecteur en est tout à fait d’accord, cette folie doit s’arrêter !
Jean-Christophe Grangé expliquait à la Grande Librairie qu’il créait l’horreur pour mieux maîtriser ses peurs. Ainsi, ses cauchemars envahissent notre présent. Heureusement, la porte de sortie du lecteur est de se répéter, comme un mantra,”Ceci est une fiction”, “ceci est une fiction”.
Seulement Rouge Karma n’est certainement pas que des violences ! Les descriptions des univers avec les différents décors, la profondeur des personnages, les rebondissements d’une intrigue enchevêtrée font de ce roman policier, un polar noir très littéraire.
Immersion historique
De plus, sur fond de ce mai 68, période d’effervescence et de révolte de jeunes bourgeois, futurs énarques dirigeants du monde d’après, Jean-Christophe Grangé se balade aussi dans le milieu maoïste ainsi que lors de la grande soirée socialiste à Charlety ce qu’il appelle “les jeux olympiques de la gauche” sans oublier la description de la ville de la révolte, Paris.
Avec force détails, Jean-Christophe Grangé immerge le lecteur dans l’univers des chemins asiatiques de ces jeunes venus cherchés l’oubli d’une société où l’éloge du capitalisme devenait la religion de tous. Car, l’immersion dans la Calcutta de l’époque, encore vu comme la ville de la joie, est saisissante. Certes, l’odeur du curry, la foule, le bruit et le chaï sont omniprésents mais ils côtoient les rites ancestraux, les inégalités criantes, “la misère hors la loi, la criminalité des caniveaux” directement inspirés des années de journalisme reporter de ses débuts.
Si l’occident ne cesse d’être séduit par la pratique du yoga, celui que pratique Jean-Christophe Grangé dans Rouge Karma ne fait vraiment pas rêvé. Au contraire, le pays, hanté par des sectes de toutes sortes, laisse un goût d’amertume difficilement soluble.
Puis, après avoir découvert les hibiscus mais aussi les sacrifices rituels, l’Inde cède sa place au plus petit pays qui influence, malgré tout, le monde entier. Car, lorsqu’enfin, on croit que c’est fini, il y a encore la suite !
Pour conclure,
Impossible de lâcher celui-ci avant le mot fin, car, dans Rouge Karma, c’est l’écriture qui conduit au nirvana l Oubliez les dignes Sadhous, ceux de Jean-Christophe Grangé n’ont rien à voir avec des saints hommes… Et, pas sûr, que votre prochain voyage vous amène à rencontrer les vaches sacrées. Tant pis, si vous ne vous enfermez pas pour le lire, vous ne pourrez pas passer à côté de sa prochaine adaptation cinématographique 🙂
Puis quelques extraits
Après l’accouchement, il avait disparu en laissant à Jean-Louis un nom de famille comme on plaque une étiquette sur un article invendu.
Un AVC de cruauté et de sadisme.
La seule raison de toutes ces violences était… la violence elle-même. Un besoin de casser, de piétiner, de mettre à bas un monde qui les étouffait…
Le Général avait sans doute des qualités — sa carrière en attestait – mais il avait aussi des mauvaises habitudes, comme celle de faire régler les problèmes les plus épineux d’une manière radicale, au bout d’un silencieux, dans la plus stricte illégalité.
En ce mois de mai, les morts étaient bien les seuls à ne pas faire grève…
Cette fois, ses sanglots étaient là, comme apaisés. Des larmes lourdes de sel, sans sursaut ni agitation. Des larmes silencieuses, pures, qui n’avaient pas d’autres raisons qu’elles-mêmes Les perles nacrées d’un chapelet brisé sur un sol de marbre…
Quel emploi ? Flic, bien sûr. Filez-moi une arme et je retrouverai ma dignité.
Tels étaient les établis – plus royalistes que le roi, plus ouvriers que les ouvriers eux-mêmes.
L’inde, c’était ce grand bonhomme étincelant dans sa grande tunique, dont la peau bistre rayonnait comme de l’argile trempée de pluie.
Il existe une infinite de yogas…Les Occidentaux pensent qu’il s’agit d’une de gymnastique, mais c’est avant tout une philosophie, une ascèse…Réduire le yoga à de simples mouvements, c’est considérer la prière comme un simple exercice d’élocution.
Et encore,
Une machine à tuer, quelque part dans le monde étudiant de mai 68, s’était mise en marche. Plus rien ne pouvait l’arrêter à part lui, Mersch.
La mort, oui. Mais la mort chez les vivants, non. En ce sens, l’Algérie était une époque bénie. Un cadavre, quelques papiers à signer, un cercueil dans l’avion. Point barre.
– Une secte, c’est toujours le développement de la pathologie d’un gourou. Une infection mentale qui se multiplie, se propage. Sans le savoir, les disciples sont des sortes de cellules cancéreuses, vous voyez ?
L’Asie qui, vu de Paris, de Berlin ou de Chicago, scintillait de mille-feu, s’avérait être, une fois sur place, une machine à broyer les âmes, une terre assoiffée de chair humaine, prompte à absorber ces fragiles chercheurs d’au-delà.
L’inde vous prend toujours par surprise et en ce sens, plus rien n’y est surprenant.
Ici en bref



Questions pratiques
Jean-Christophe Grangé – Rouge Karma
Éditeur : Albin Michel
Twitter : @AlbinMichel Instagram :@editionsalbinmichel
Parution : 3 mai 2023
EAN : 9782226439444
Lecture : Mai 2023
Un auteur qui ne m’a pas encore déçu (même si je n’ai pas lu tout ses romans).
Non, tu as raison …Toujours aussi bien écrit 🙂
Bonjour Matatoune. J’avais lu de bonnes critiques de ce roman d’un auteur que j’apprécie et tu viens les confirmer. Je le lirai rapidement. Bonne journée
Oui, c’est une belle fresque du printemps 68 avec évidemment des crimes horribles ! J’attendrais ton avis avec impatience. Bonne soirée
Tous ces bouquins sont toujours bons donc celui-ci n’échappe pas a la règle je verrais pour plus tard merci. Bisous bonne journée
Oui, toujours très réussi. Bonne soirée
Merci Mata pour cette belle critique 🙏
Je vais le lire.
Bonne soirée 📘
J’ai adoré son précédent polar historique. Je mets celui-ci en haut de mes prochains achats. Ton enthousiasme est contagieux. Bonne semaine
❤️❤️