André Derain, la décennie radicale – De 1904 à 1914 –
4 octobre 2017 – 29 janvier 2018
Visite le 21 janvier 2018
Ce peintre a droit à une belle reconnaissance depuis un an. Il est remis au goût du jour par deux expositions parisiennes, celle de “Derain, Balthus et Giacometti, une amitié artistique” au Musée d’Art Moderne Derain, Balthus, Giacometti Une amitié artistique… et celle-ci.
Le Centre Pompidou a choisi de nous montrer cette période de la fin de l’impressionniste avec 70 peintures, de nombreuses sculptures et gravures, des dessins, des céramiques et des photographies. C’est la période de l’éclosion du fauvisme et du cubisme auquel Derain, peintre curieux, érudit et exalté, a contribué.
“Derain est un inventeur, un découvreur, un des esprits perpétuellement curieux et qui ne savent pas tirer parti de leurs inventions; découvreur par vocation, si j’ose dire, par tempérament et non consciemment, Derain ne sait pas, ne peut pas exploiter ce qu’il fait surgir, c’est un aventurier de l’art, le Christophe Colomb de l’art moderne, mais ceux sont les autres qui profitent des continents” – Gertrude Stein, 1930
Cette citation de Gertrude Stein, présentée au début d’exposition, résume le parti pris de la commissaire : Montrer le talent de précurseur de ce peintre mais montrer aussi comment il n’a pas pu capitaliser son talent. Est-ce le doute, peut-être ? L’exposition montre comment le peintre n’explore pas sa découverte. Et, du coup au cours de cette décennie, il apparait comme un découvreur génial qui ne transforme pas ses essais.
Ses compagnons de route, Matisse et Picasso vont au bout de leur recherche et du coup, s’inscrivent comme Maîtres, l’un du fauvisme et l’autre du Cubisme. La dernière peinture de l’exposition interroge car on se demande comment Derain fait pour revenir à une peinture plus “académique”, plus “classique” après avoir tant découvert! Est-ce sa mobilisation à la guerre 14/18 qui lui ai été si difficile?
Les qualités de Derain n’existent qu’au delà du ratage, de l’échec, de la perdition possible. Giacometti – 1957
“Chatou, notre jungle” 1901/1905
Vers l’âge de 15 ans, Derain prend des cours de peintures auprès de peintres de l’époque et visite les musées et expositions. Il découvre les œuvres de Cézanne au Salon d’Automne de 1903. Une amitié le lie avec Vlaminck dès 1900.
Vlaminck est amateur de cyclisme et aussi un peu mauvais garçon. Derain, lui, est un dragueur invétéré et un bon vivant. C’est l’intellectuel du groupe qui s’affiche comme dreyfusard, partisan de Nietzsche et anarchiste de gauche. La peinture, Derain la considère comme “le superlatif de sa vie”. Enthousiasmé pour la rétrospective Van gogh présentée à Paris en 1901, il s’attache à développer la couleur dans ses toiles. Derain loue un atelier sur l’île de Chatou avec Vlaminck. Ils vont peindre ensemble pendant deux ans avant son service militaire.
Derain admire, comme Vlaminck, Toulouse Lautrec et les impressionnistes et se consacre aussi à la photographie où le lien se fait à Chatou avec le fils Renoir (Derain apparaitra en cafetier dans le film “La fille de l’air” de Renoir en 1924).

La photographie est utilisée comme source du travail de peinture: découpe de plans, recherche de la profondeur par un jeu d’ombres et de lumière.

Le bal de Suresnes est peint pendant le service militaire à partir d’une photographie et rend compte de l’ennui en caricaturant l’instant.


“Collioure, l’épreuve du feu” – 1905
Derain rejoint Matisse à Collioure à sa demande : Matisse, plus âgé que lui, le croise au Louvre comme copiste. Derain le vouvoie. Il lui demande d’écrire à ses parents pour l’autoriser à se rendre à Collioure. Il y passe deux mois et peint une trentaine de toiles.

Les deux artistes peignent côte à côte des compositions enlevées, radicales qui les libèrent du néo-impressionniste. Centre Pompidou

Une partie de ces œuvres est exposée au Salon d’Automne de 1905 et sont rejetées : le fauvisme est né!
Matisse va reconnaitre que Derain est supérieur à certain moment à lui. Derain est plus radical, œuvres fulgurantes, il écrit et peint de façon elliptique, rapide mais plus accroché au réel. Matisse essaye de se détacher de Signac.

“Le Fauvisme secoua la tyrannie du Divisionnisme. On ne peut pas vivre dans un ménage trop bien fait, un ménage de tantes de province. Alors on part dans la brousse ; pour se faire des moyens plus simples qui n’étouffent pas l’esprit. Il y a aussi, à ce moment, l’influence de Gauguin et de Van Gogh. Voici les idées d’alors : construction par surfaces colorées. Recherche d’intensité dans la couleur, la matière étant indifférente. Réaction contre la diffusion du ton local dans la lumière. La lumière n’est pas supprimée mais elle se trouve exprimée par un accord des surfaces colorées intensément. » Henri Matisse

L’Estaque – Aout 1906
Derain s’installe à l’Estaque, quartier du bord de mer à Marseille, pour suivre les pas de Cézanne. Il y retrouve Braque.

Pour une première fois, la réalité n’est plus la réalité : les touches de couleurs évoquent et suggèrent par effets de simplification et stylisation plus qu’elles ne décrivent. Obsédé par les formes de l’art extra-européen qu’il commence à découvrir, il les reproduit par ces aplats de couleurs.

“Je me sens m’orienter vers quelque chose de meilleur où le pittoresque compterait moins que l’année dernière pour ne soigner que la question peinture. (…)”

“En somme, je ne vois d’avenir que dans la composition parce-que, dans le travail d’après nature, je suis l’esclave de choses si stupides que mon émotion en reçoit un contrecoup.(…)”

“Je crois que le problème est plutôt de grouper les formes dans la lumière, de les harmoniser à la nature dont on dispose.”

A Gauguin, il lui prendra la technique du cloisonné – masses colorées cernées d’un trait noir.
Achevée en 1906, La Danse offre une vision inspirée de Gauguin et des sculptures hindoues et Maori découvertes lors de l’Exposition coloniale à Marseille à l’été 1906.

Derain a lu “L’Enchanteur pourrissant” d’Apollinaire, devenu son ami, paru en 1904. Les trois figures du tableau semblent relier aux trois fées du livre. Mais la figure de droite rappelle aussi l’une des figures du tableau de Delacroix “Femmes d’Alger dans leur appartement”.
Apolinaire et Derain se croisaient dans le train car Apolinaire allait voir sa mère au Vésinet. Pour lui, Derain est le père du cubisme : Il est l’initiateur d’une relecture de l’oeuvre de Cézanne.
Londres – 1906/1907
Peu après, Matisse présente Derain à Vollard. Celui-ci lui achète presque toutes ses œuvres. Il lui recommande d’aller à Londres sur les pas de Monet pour y peindre des vues de la ville. Dans cette ville, il se précipite dans les musées: il voit les primitifs et tous les autres au National Gallery et au British muséum où il découvre l’art extra-européen.
“C’est un art affolant d’expressions. “

Une contradiction traverse l’œuvre de Derain à cette époque : d’un côté, la volonté de synthétiser une culture universelle, puisée dans les musées et dans les livres ; de l’autre, la tentation de la table rase, pour dessiner, peindre et sculpter en sauvage. Le Centre Pompidou

Les peintures sont pour la plupart réalisées à Paris à partir de notes précises consignées dans deux carnets à croquis.
A Cassis à l’été 1907, Derain poursuit le travail commencé à l’Estrade. Matisse vient le voir.
Montmartre – 1909
Derain s’installe à Montmartre. Picasso le découvre et a un véritable coup de foudre amical pour son intelligence et sa culture. Il est très connu et vend alors beaucoup.


Derain a commencé à s’intéresser à l’Art océanien et Africain à Londres au British muséum, c’est lui qui les fera connaître à Vlaminck, Matisse et Picasso en les emmenant les voir au musée à Paris. Il peint un cubisme simple et synthétique. Picasso peindra un cubisme plus déstructuré.


En 1907 sont exposées pour la première fois Les grandes baigneuses de Cézanne au Salon d’Automne. Elle marque considérablement les peintres au début du cubisme.

Dès 1905, Matisse et Derain dialoguent déjà autour de cette œuvre dans de grandes compositions allégoriques dites “décoratives”. A partir de 1907, Derain intensifie sa confrontation avec le thème des baigneuses et entreprend une série passant d’un primitivisme inspiré de Gauguin et de l’art africain à un néobyzantisme cézarien. En 1907, Picasso, proche de Derain intervient dans le dialogue avec les demoiselles d’Avignon. Centre Pompidou



Homme et femme Les jumeaux -1907
Correspondances
Retour au primitivisme – Autour 1910
” Ce qu’il faut, ce serait de rester éternellement jeune, éternellement enfant : on pourrait faire de belles choses toute sa vie. Autrement, quand on se civilise, on devient une machine qui s’adapte très bien à la vie et c’est tout”. André Derain Lettre à Vlaminck – 1907

Il affirme dès 1910, lors d’un voyage à Cadaquès en compagnie de Picasso, son attachement à la représentation du réel et refuse de s’engager dans la voie d’un cubisme analytique. Centre Pompidou

Après 1918
Derain est mobilisé parmi les premiers et sera libéré dans les derniers mois de 1919. Au début, il y a vaguement un certain patriotisme et une volonté de participer à un moment historique mais après il recherche désespérément à échapper à la “boucherie”. La rupture de la première guerre mondiale l’a brisé. Il revient très cynique par rapport à son vécu. La production picturale cesse mais il ne cesse pas d’écrire sur le mouvement. Paul Guillaume l’expose après guerre.
[…] l’art qui vient d’Afrique et celui d’Océanie. Derain lui offre un masque (Derain- Centre Pompidou). Picasso est fasciné par l’introduction de toutes sortes de matières pour les décorer. Il […]