L’usure d’un monde : Une traversée de l’Iran
Prix Nicolas Bouvier
Pour rendre hommage à l’écrivain voyageur qu’il admire tant, François-Henri Désérable décide de se rendre en Iran. Il en ramène un récit de voyage d’autant plus passionnant que ce pays est loin d’attirer les touristes, que son voyage se situe au plus fort des manifestations des femmes contre le port du voile obligatoire et qu’aucun journaliste n’était sur place pour témoigner !
L’usure d’un monde : Une traversée de l’Iran transporte dans un des pays les plus fermés au monde aux vestiges de l’Antiquité méconnus et à l’architecture religieuse grandiose.
L’usage du monde est le récit de voyage de Nicoles Bouvier (1929-1998) écrivain, et Thierry Vernet, peintre, partis en 1953 de Suisse pour rejoindre le Japon en voiture. Le voyage dura quatre ans, mais le livre raconte leurs deux premières années. Publié au départ à compte d’auteur, le livre attira de plus en plus de lecteurs curieux par le type de voyage et les pays traversés. À 23 ans, pour Nicolas Bouvier, ce voyage fut une “respiration”, et un “catalyseur” pour se découvrir.
François-Henri Désérable, lui, est arrivé à Téhéran par avion, le ministère des Affaires étrangères lui déconseillant de maintenir son séjour. Partant sur les traces de Bouvier, il partage les détails, les rencontres et ses observations sur cet Iran et ses merveilles.
Tourisme au pays des Mollahs
L’usure du temps : Une traversée de l’Iran est un petit bijou de découvertes d’un pays que nous ne connaîtrons pas, de personnes que nous ne rencontrerons pas mais dès le livre refermé font désormais partie de notre univers.
Car, comment oublier l’écho de Téhéran, le « Zan, Zendegui, Azadi » (Femme, Vie, Liberté) et la chanson de Shervin Hajipour, mais aussi le mariage temporaire au gré des envies sexuelles (pour les hommes, bien sûr), la vision d’une lapidation racontée lors d’une rencontre et la politesse iranienne, etc.
François-Henri Désérable témoigne aussi d’une révolution, maintenant maîtrisée dans le sang, d’une colère, devenue aujourd’hui plus discrète, mais, la rage ne peut s’étouffer mème si la police des mœurs sévit de nouveau en Iran. Mais, comme les Iraniens ne cessaient de le répéter ” Derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs.”
Avec beaucoup de plaisir, j’ai découvert ce récit de voyage de François-Henri Désérable, qui au-delà du témoignage, invite au plaisir de découvrir et la joie de connaître !
Pour aller plus loin
François-Henri Désérable -Mon Maître et mon vainqueur
Puis quelques extraits
Rien n’était plus faux. Elle avait peut-être gagné le camp d’en face, elle avait peut-être atteint le régime des mollahs, peut-être même que l’ayatollah Khamenei était pris de peur, à la nuit tombée, quand il se glissait sous ses draps pendant que les rues du pays s’embrasaient, mais la peur, on a beau dire, n’avait pas changé de camp.
Seulement, depuis la mort de Mahsa Amini, la peur était mise en sourdine : elle s’effaçait au profit du courage.
C’était le merveilleux écho de Téhéran. C’était la nuit, traversée d’un éclair.
La question du voile est aussi le cache-misère d’un rial qui déjà ne valait pas grand-chose, et qui chaque jour vaut un peu moins que la veille.
Traverser une route à pied en Iran est une aventure périlleuse, dans laquelle on ne s’engage pas sans renouer d’abord avec la religion.
À Qom, ramassez une pierre, lancez-là en l’air : elle retombera sur un turban. Noir, si le mollah est un sayyid, c’est-à-dire s’il descend de la famille du Prophète. Et sinon, blanc. Si votre pierre n’est pas retombée sur un turban, c’est qu’elle a échoué sur un tchador. Ici, pas une femme ne se risquerait à se promener cheveux au vent : votre pierre, on la lui jetterait aussitôt. Toutes portent le tchador, même les filles de cinq ans.
Et encore
On se donne rendez-vous à tel endroit à telle heure ; on fait ensemble un bout de chemin ; on partage les frais. Comme pour le sexe, comme pour l’amour, comme pour le choix des hôtels et des restos, au hasard on a substitué les algorithmes. On appelle cela le progrès. Le programme du progrès : éradiquer l’aléa.
Ce que j’admire le plus, dans L’usure du monde, outre la musicalité de la langue, outre l’érudition jamais tape-à-l’œil, outre le merveilleux qui surgit à chaque page de l’émerveillement du regard, outre la mélancolie mise en sourdine au profit de l’allégresse, de la jubilation sensorielle, de l’étonnement perpétuel, ce que j’admire le plus, c’est peut-être bien cette faculté inouïe qu’à Bouvier de brosser en trois lignes des portraits qui nous touchent.
Chez soi passé minuit, un vieillard dépenaillé qui soliloque sous vos fenêtres dans une langue incompréhensible, c’est un trouble à l’ordre public; en voyage, c’est du dépaysement.
” (…) Si on m’avait dit qu’un jour, je devais utiliser mon propre tapis ( de prière) pour en faire un brancard.”
Derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs.
J’espère seulement vivre assez longtemps pour voir tomber ce régime, pour voir le jour où l’Iran qui a réprimé devra soutenir le regard de l’Iran qu’il aura réprimé.
Si l’on voyage, c’est pas tant pour s’émerveiller d’autres lieux : c’est pour revenir avec des yeux différents.
Et encore, encore
Elle (la République Islamique) entendait réprimer tranquillement, impunément, sans que ces emmerdeurs de gratte-papier n’y trouvent à redire. Résultat, la plupart des informations qui nous parvenaient d’Iran étaient fragmentaires, parcellaires , et surtout : de seconde main. On rapportait ce que d’autres avaient vu. On témoignait pour les témoins.
“Un miroir que l’on promène le long d’un chemin”: c’est la définition du roman par Stendhal. Mais Stendhal s’est trompé. Le miroir que l’on promène le long du chemin, c’est le récit de voyage. On va de ville en ville un miroir à la main : des paysages, des visages s’y reflètent ; on décrit les uns, on écrit les autres.
Sur les dômes des mosquées
Sur les turbans des mollahs
Sur les barreaux des prisons
Sur le drapeau de l’Iran
Sur les cyprès millénaires
Sur les tombes des poètes
Sur les portes des bazars
Sur les dunes du désert
Sur les voiles embrasées
Sur la peur abandonnée
Sur la lutte retrouvée
Et sur l’espoir revenu
Femme
Vie
Liberté
Ici en bref



Du côté des critiques
Du côté des blogs
Questions pratiques

François – Henri Désérable – L’usure D’un monde
Une traversée de l’Iran
Twitter – Instagram
Éditeur : Gallimard
Twitter : @Gallimard Instagram : @editionsgallimard
Parution : 4 mai 2023
EAN : 9782246835332
Lecture : Juillet 2023
Un auteur que j’apprécie, alors pourquoi pas.
Alors, il devrait plaire !
J’avais repéré ce livre. Ta chronique me donne encore plus envie de le lire.
Pour moi, un récit de voyage très réussi que j’ai aimé découvrir !
Je viens de finir ce livre sur l’Iran que j’ai trouvé passionnant entre les allers retours sur le livre de Bouvier et ce qui se passe actuellement en Iran. Un très beau témoignage sur cette lutte des femmes, l’oppression des pasdarans, les descriydes paysages et l’histoire de l’Iran et de la perse.
Oui, moi aussi, je l’ai lu d’une traite. C’est un récit passionnant et très bien écrit où l’humour est présent aussi. J’ai voyagé avec ma tablette ouverte sur les paysages et les monuments qu’il décrit. Que j’aimerais voir le bleu d’Ispahan ? De plus, je n’imaginais pas une telle rage dans tout le pays …Vraiment, un récit à découvrir tout à fait d’accord. As-tu fait une chronique ? Je ne l’ai pas trouvé sur ton blog ?
Bonjour Matatoune. Je le trouverai certainement à la médiathèque. Je ne sais pas grand chose sur l’Iran. Bonne journée
Oui, je pense qu’il sera très demandé. Il est émouvant entre passé et présent. Et quel présent avec cette population qui exprime sa colère.
Mais, on vient d’apprendre que la police des mœurs est de nouveau à l’œuvre alors que pendant la révolte le gouvernement avait prévenu de sa dissolution.
Alors après les gazages des collèges de filles, et autres la répression est encore plus forte
“L’usage du monde” de Nicolas Bouvier est un livre merveilleux. Depuis 1953, tous ces pays ont évidemment beaucoup changé, et pas dans le bon sens.
Ce témoignage sur un pays si fermé m’intéresse beaucoup, je le note. Bonne semaine
Persuadée qu’il devrait te plaire. 🙂
J’avais beaucoup aimé le ton de ce voyage !
Des problèmes avec wordpress, me semble-t-il, m’ont empêchée de signaler la chronique de
Coquecigrues et ima-nu-ages sur ce livre. Le lien ici
https://lorenztradfin.wordpress.com/2023/05/28/lusure-dun-monde/
Merci…. trop sympa.