Pour son premier roman, La promesse, Marie de Lattre propose un récit puissant, émouvant, nécessaire par son caractère universel, sur la puissance de vie d’un enfant de huit ans qui change d’identité, de famille et, grâce au soutien et à l’amour d’un duo, arrive à grandir et à vivre sa vie d’adulte même s’il pense toujours que le pire peut arriver.
Marie de Lattre a consacré deux décennies à remonter l’histoire de la famille de son père. Deux décennies pour révéler un secret. Ces longues années pour aller outre la parole paternelle de taire ses premières années de bonheur. Vingt ans pour oser ouvrir la correspondance de ses deux véritables grands-parents. Mais aussi de longues journées pour interroger la famille, accepter le soutien d’Henri Roussel et Renée, sa femme, afin de reprendre le flambeau transmis par sa mère lors de l’enterrement de son père en osant prononcer le kaddish, affirmant ainsi, au grand jour, l’origine de la famille de son mari défunt. Surtout des longs moments à raconter La promesse faite à des parents emprisonnés à Drancy de s’occuper de leur fils, Jacques, le père de la narratrice.
Dans La promesse, la narratrice décortique le passé de son père et de ses vrais parents mélangeant archives, souvenirs, descriptions de photos, d’objets et surtout de passages recopiés de leur correspondance conservée.
Marie de Lattre redonne vie à l’enfance de son père, recueilli à huit ans par un homme et une femme dont il ne savait rien des liens noués avec ses deux parents. C’est l’histoire de ces amours qui sauve l’enfant !
Tout est lien et pont entre passé et présent dans ce roman, comme l’appartement qui a servi de cache aux parents qui se trouvait dans une rue fréquentée par la narratrice adolescente.
Marie de Lattre décode pour nous les signes, les moments, faisant revivre une pension pleine de vie, le milieu artistique du début du siècle. Reconnus comme des Justes, Pierre et Madeleine ont tenu leur promesse, donner une existence à un enfant qui aurait dû, comme ses parents, mourir en déportation.
La tendresse est le fil conducteur de ce récit. Elle imbibe tous les souvenirs, comme tous les mots trouvés dans les lettres. C’est une qualité du style de Marie de Lattre de la développer tout au long des pages.
Au silence de la génération d’après les horreurs antisémites, voulant à tout prix tourner la page, les petits enfants, comme Marie de Lattre, en ayant vécu avec les multiples cachettes disséminées de-ci de-là pour rassurer, sait le prix que ses ascendants ont payé pour aller de l’avant, malgré tout ! Pour casser la spirale infernale, les mots pansent.
La promesse de Marie de Lattre est un témoignage sur l’héritage apporté par le passé, sa nécessaire connaissance et, malgré les douleurs révélées, son indispensable mise en mots.
Donner une sépulture, même de mots à défaut d’une tombe, pour faire renaître l’amour pour ce fils que ses parents ont choisi, dans l’horreur, de protéger, le confiant à deux personnes aimées, le soin d’en faire un adulte.
Récit certes individuel d’une famille aux émotions contenues sur fond d’universalité et de devoir de mémoire pour ne jamais oublier !
Puis quelques extraits
Cette gêne que j’ai souvent à ne pas habiter mon présent , ce sentiment d’appartenir à un passé que je n’ai pas vécu mais qui me semble parfois aussi familier qu’aujourd’hui.
Ce soir-là, il m’avait donné une seconde identité en me dévoilant la tragédie de son enfance, en faisant revivre le petit garçon juif qu’il avait été, ses parents, son autre nom. Mais cette identité il me l’avait aussi tout de suite reprise en me demandant de la taire, en m’interdisant d’en parler à qui que ce soit. Son passé restait un secret. Et il m’y avait fait entrer, me l’avait offert. Un cadeau étrange, insaisissable.
J’ai trois prénoms, Marie, Madeleine, Frida. Un qui dissimule. Un qui protège. Un qui révèle.
Mais les secrets sont ainsi faits que, lorsqu’on les croit bien protégés, ils se répandent insidieusement sur tout ce qu’ils touchent.
Il formait ce que les critiques d’art appelèrent par la suite l’École de Paris, nom donné au peintres étrangers venus travailler et étudier en France à partir des années 1920. Une grande majorité de ces artistes avait fui leur pays d’origine pour échapper aux lois discriminantes dont il faisait l’objet. Juifs pour la plupart, ils considéraient Paris comme leur terre d’accueil, même si la réalité quotidienne restait violente et antisémite.
Je me demande parfois si toutes ces œuvres ne l’encombrent pas. Si habiter avec elles ne le leste pas. Il a choisi l’art. Et cette part prolongée de notre enfance. Lui aussi vit avec nos morts. Il les chérit et les contemple chaque jour. A chacun son mausolée.
Et encore,
Quelle belle revanche sur la vie que de faire l’amour en haut de ses constructions ( Blockhaus), dont l’intérieur ne s’ouvre que sur une toute petite fenêtre, spécialement conçue en son temps pour y positionner une mitrailleuse ou un canon.
J’ai longtemps pensé que mon père avait besoin d’une vision héroïque de ses parents pour supporter la honte de leur soumission et de leur mort. Pour la supporter intimement et socialement.
Il lui fallait oublier ses origines.
Il obéit, et transforma la mort des siens en une légende splendide.
“Parfois on ne comprend pas pourquoi et comment nous en sommes arrivés-là, mais en général on est dociles et on courbe le dos à tous les événements et même à l’idée de la mort ne m’épouvante plus.”
“On ne vous demande rien que vous ne pouvez pas nous envoyer. L’essentiel est d’être bien portant au moment de la déportation. Il ne faut pas être épuisé avant et pour cela il faut avoir des colis bien faits”.
Je pense à mon père également. À ces lettres qu’il n’a jamais lues. Qu’il n’aurait pas pu lire sans s’abîmer davantage. Je pense à la souffrance qui aurait été la sienne s’il l’avait fait. À son sentiment de culpabilité. Celle de leur avoir survécu. Et le manque d’eux qu’il aurait ressenti. Aux souvenirs qui seraient revenus, inévitablement. Des images fugaces, des odeurs, des bruits. Il ne l’aurait pas supporté. Il n’avait pas d’autre choix, pour vivre, que d’oublier d’où il venait. D’étouffer ces voix intérieures.
Moi non plus je n’ai pas le choix. Je dois redonner vie à ses mots oubliés. Et dire à mon père, même s’il n’est plus là pour l’entendre, combien ses parents se sont inquiétés pour lui. Qu’enfermés à Drancy ils se sont torturés, impuissant, à l’idée qu’il puisse subir leur sort. Et qu’ils ont confié à Pierre et à Madeleine la lourde tâche de le protéger, puis celle de les remplacer.
“N’oublie pas l’enfant.”
Que d’objets silencieux ont accompagné mon enfance.
Ici en bref



Du côté des critiques
Questions pratiques

Marie de Lattre – La promesse
Éditeur : Editions Robert Laffont
Twitter : @Robert_Laffont Instagram :@robert_laffont
Parution : 5 janvier 2023
EAN : 9782221267059
Lecture : Mai 2023
Merci pour cette découverte.
Un premier roman n où l’ecrivaine, une pro de l’édition donne bcp d’elle-même !
La tendresse comme fil conducteur, cela me donne envie de lire ce livre.
Certainement un beau livre… les extraits sont émouvants.
Oui, c’est une quête de vérité très émouvante.
Ce livre me tente beaucoup. Je le note. Bon dimanche
J’ai bcp aimé suivre de chapitres en chapitres les sujets traités avec ce mélange de souvenirs personnels et du passé.
Une quête de vérité et de famille qui a l’air terriblement touchante et libératrice. Merci pour ton avis.
Oui, c’est le récit de deux decenies de recherches, de rencontres et d’interrogations. Un travail incroyable de mémoire !
Bonjour Matatoune. Je note le titre de ce roman qui doit être émouvant et devrait me plaire. Bonne journée
Oui, il n’y a aucun pathos mais bcp de tendresse dans ses lignes. Bonne semaine !
💜