…de Falloujah
Feurat Alani, journaliste, présente son premier roman Je me souviens de Falloujah qui lui permet avec un style maîtrisé et agréable de rendre compte de l’exil, de l’émigration politique et de la situation en France pour les immigrés. En reprenant l’histoire de son pays d’origine, l’Irak, au travers l’histoire d’un père, le narrateur, son fils, raconte son rapport à ce pays qu’il connaît peu et à ce père, aimé et étrange à la fois.
Il s’appelle Rami, né le 25 janvier 1944 à Falloujah. Il a quitté l’Irak en 1972. Il avait vingt-neuf ans à son arrivée à Paris. À 75 ans, la maladie l’a envahi et avec elle, la mémoire est partie. Un océan venu du passé est englouti d’un coup dans cette chambre 219. Son fils, Euphrate, décide de lui raconter son passé, car Rami a toujours déclaré “je te raconterai plus tard”.
L’originalité de ce roman de Feurat Alani se situe dans la manière que le fils a de raconter son histoire pour mieux appréhender celle de son père. Et, Euphrate trouvera à la fin la réponse à la question qui obsède son père avec ce trou énorme dans ses souvenirs: “Ai-je réussi ma vie ? “.
Le roman de Feurat Alani fait partie de ce mouvement littéraire des enfants qui veulent redonner la parole à ces hommes et ces femmes qui ont tout quitté pour s’inventer autre part. Ces enfants, formés à l’école républicaine, ont vécu l’absence de mots, la mélancolie du regard, l’ailleurs impossible à recréer ici mais présent dans les jours sombres, les corps courbés par le travail acharné et la fatigue incommensurable de vouloir ne jamais échouer.
Sauf qu’ici, c’est un roman pas un témoignage. Scotchée par ce récit et ses retours en arrière le lecteur suit aussi l’histoire avec un grand H de l’Irak Mais, évidemment, c’est un hommage discret et tendre à ce père, vendeur de cartes postales au bas de la Tour Eiffel, alors qu’Euphrate lui invente des métiers prestigieux sur la fiche du professeur en début d’année.
Les dialogues d’amour pudiques de Feurat Alani entre un père et son fils, et inversement, recouvrent l’origine d’un exil politique qui n’a pu se dire mais s’exprime pour nous.
Une belle écriture, un sujet sensible mais indispensable, en résumé, un excellent moment de lecture !
Remerciements
à @editionsLattes et @NetGalleyFrance pour #JemesouviensdeFalloujah de #FeuratAlani
Puis quelques extraits
L’identité est un long voyage solitaire. Chaque voyageur porte une valise. C’est une valise que tu ne vois pas. Elle est invisible, mais elle est là. Au cours de ton existence, cette valise va se remplir de rencontres, de souvenirs, d’expériences, bonnes et mauvaises. Pour qu’elle ne soit pas trop lourde et pour que tu puisses avancer, tu devras enlever certaines choses inutiles et garder les plus importantes. Il faudra faire le tri car, face au poids des mots, des rencontres, de l’adversité, de l’amour et de la haine, tes victoires et des défaites, les épaules du voyageur se voûtent. L’identité, mon fils, est un long périple. À toi de le rendre le plus léger et le plus droit possible. Sache qu’on n’est pas. On devient.
L’histoire d’un homme. L’espoir d’un fils, La transmission. La mémoire.
À Falloujah, on avait l’habitude de faire appel à des pleureuses, des louves vêtues de noir, pour hurler à la place des autres, préservant ainsi la pudeur de ceux qui souffrent en silence.
Ne sois pas comme les autres. Ne te contente pas de ce qu’on te dit d’être. Essaie de faire ce que tu ne sais pas faire. Essaie d’aller là où on ne t’attend pas. Être normal, ce n’est pas vouloir être comme les autres. C’est seulement faire ce que tu sais faire. C’est ne pas prendre de risques.
L’Irak, ma fils ce n’est pas seulement un pays. L’Irak, c’est la société du murmure. C’est un pays où on ne peut pas survivre sans mentir.
Et encore,
Personne ne choisit son lieu de naissance. La vue commençait toujours par une injustice.
Au pays du murmure, tu dois murmurer.
Longtemps j’ai cru que cette discrétion était une faiblesse. J’ai ensuite compris qu’elle était une force à la lisière d’une colère ancienne, celle des exilés. Cette colère sourde pouvait éclater à tout moment chez mes parents, et cette discrétion dont ils faisaient preuve n’était que le rempart d’une rage contenue sur le bout de la langue.
On devint des proies au centre d’une arène.
On peut être cruel quand on est adolescent. On croit savoir, on ne veut pas écouter, on ne veut pas comprendre, on juge sur pièces et condamne sans preuve.
Je songeais à son existence d’avant l’oubli et à ses années où nous avions évité les discussions, ces années où nous laissions parler le silence.
– On n’est pas censé prendre en photo les événements malheureux d’une vie, m’avait-il dit un jour. Voilà pourquoi tout le monde sourit sur les photos.
Et encore, encore
Recréer un sentiment de déjà-vu pour réveiller des souvenirs, un exercice aussi fascinant que périlleux car, malgré toutes les bonnes volontés, n’était-ce pas prendre le risque de tordre sa mémoire et de mentir ?
L’exil n’efface jamais le passé.
Les photos ne disent jamais toute la vérité. En figeant le temps, elles immortalisent un sourire, ancrent un souvenir mais ne livrent pas les mensonges ou les secrets. On pense connaître nos proches mais on ne perçoit pas leurs zones d’ombre, ni les voiles occultant, ni les murmures, ni les oublis.
La mémoire est un mensonge qui marche du bon côté de la vérité, et les mots n’exposent qu’une représentation des faits.
J’ai compris que, plutôt que de laisser le temps filer vers le néant, il faut le retenir, l’inscrire dans la mémoire, l’écrire et le parler, en faire peut-être ce qu’il y a de plus beau dans cette existence. Vivre éternellement à travers celui qui se souvient.
Ici en bref



Du côté des critiques
Du côté des blogs
Questions pratiques
Feurat Alani – Je me souviens de Falloujah
Instagram : @feurat
Éditeur : JC Lattès
Twitter :@editionsLattes Instagram : @editionslattes
Parution : 1er mars 2023
EAN : 9782709671248
Lecture : Mars 2023
Je trouve les extraits très bien écrits et attrayants. J’aimerais avoir le temps de le lire… Peut être un jour.
Et, oui, peut-être … Un récit bien écrit qui retrace aussi un pays ravagé par l’autoritarisme, puis l’impérialisme et pour finir la guerre 🙂
je note aussi, bon dimanche!
Au plaisir de découvrir ton avis, peut-être !
Bonjour Matatoune. Je le lirai peut-être mais pas en priorité. Bonne journée
C’est important de suivre son intuition et plus particulièrement pour la lecture !
Exactement comme Pat212! Je bisse .
Oui, je pense qu’il est à découvrir avec l’histoire de l’Irak que nous connaissons peu de l’intérieur !
Tu me donnes envie de découvrir ce livre. Je le note. Bon week-end
Oui c’est un récit émouvant et bien écrit. Bonne soirée !