… Au paradis
Convaincue que son enfance était une période parfaitement heureuse, Colombe Schneck part à sa recherche dans Mensonges au paradis. Seulement, au fur et à mesure de ses rencontres et de la visite des lieux, la réalité lui revient découvrant des évidences qu’elle avait occultées pour grandir, malgré tout.
Brins d’histoire
De six à vingt ans, Colombe Schneck fréquente à chaque vacance un home d’enfants au milieu de la Suisse, tenu par Karl et Anne-Marie. Ils accueillent des jeunes confiés par des familles fortunées, ou des parents trop occupés par de grandes carrières, moins souvent, des parents aux mesures éducatives défaillantes.
En s’interrogeant sur le vécu des enfants de ses hôtes, Colombe Schneck révèle leurs parcours très chaotiques. Patou, le fils, n’a pas arrêté de monter des entreprises puis de piquer dans la caisse et même d’être emprisonné après. Vava, la fille et l’amie d’enfance de Colombe, inséparables au Home, s’est perdue dans sa souffrance et passe sa vie entre enfermements psychiatriques et réseaux sociaux. Tous deux ont été abandonnés par la bande de copains qui se retrouvait à chaque congé.
Alors Colombe Schneck s’interroge sur leur similitude à pervertir la réalité et s’enfermer dans les mensonges. Avec le lecteur comme témoin, elle mène l’enquête pour découvrir la nature des dénis.
Ce récit emprunte à l’autofiction ses codes. Colombe Schneck plonge son lecteur dans la même capacité de négation du ressenti. Les fenêtres ouvertes toutes les nuits même lorsqu’il gèle. Les randonnées en montagne, peu couverts pour tous, même les plus petits. Etc. Au début, Ces faits ne choquent pas trop tant le style est lyrique et passionné pour cette période heureuse que représente pour Colombe ses séjours.
Puis, les faits, petit à petit reconnus par la narratrice, apparaissent les maltraitances organisées, mais acceptées par tous, sans parler des humiliations subies, que le lecteur reconnaît. Celles de son enfance lui permettront de reconnaître celles subies, plus tard, avec un ex-compagnon.
Colombe Schneck donne les clefs pour expliquer le déni qu’elle a subit. Néanmoins, son récit est troublant de bout en bout.
En conclusion,
Colombe Schneck aborde, d’une façon très nouvelle, cette notion de maltraitance et d’emprise, mais aussi, cette faculté qu’à le cerveau d’occulter la réalité lorsqu’elle est dérangeante et même insupportable. Cette capacité du déni est une notion a compléter par la fiction pour en décrypter tous les mécanismes. Et, ici, l’écrivaine nous y invite facilement.
Mensonges au paradis est un récit court et très personnel, passionnant et dérangeant à la fois, pour décrypter les souvenirs et la possibilité d’en occulter les parties les plus dérangeantes. Colombe Schneck embarque complètement son lecteur et le fait traverser la révélation d’un déni qui s’il n’est pas reconnu revient en paralysant sous d’autres formes. Remarquable !
Remerciements
@editionsgrasset et @NetGalleyFrance pour #Mensongesauparadis de @ColombeSchneck
Puis quelques extraits
Nous avons plus de cinquante ans et nous jouons à ” comme si la vie n’abîmait rien ” .
Mes parents avaient l’intelligence, la conscience et la bonté de savoir qu’ils ne pouvaient être davantage présents dans nos vies. Ils n’étaient pas de mauvais parents. Ils nous aimaient. Il n’y a rien à pardonner.
Je décrivais mes parents, l’appartement, le décor, négligeant la petite fille qui criait la nuit sans être entendue, lisant tout ce qu’elle trouvait, livres de cuisine, annuaires, encyclopédies, manuels de chirurgie aux sanglantes photos, m’y abreuvant comme un chiot assoiffé.
Combien d’années encore et combien de livres pour atteindre la vérité ?
Au Home, on n’est heureux que pendant la saison des vacances scolaires.
Karl est Dieu et toi une boule disloquée.
(…) le mensonge, celui que vous croyez contrôler, vous permet de vivre tranquillement dans un monde à votre parfaite mesure, vos paroles s’inclinant instantanément selon votre ambition quand la réalité vous déçoit. Mentir, écrire, mêler ma vie à un monde rêvé, les confondre devant ma citadelle.
Et encore,
” Il faut beaucoup de mémoire pour se séparer du passé .” Deleuze , extrait du chapitre “Enfances son abécédaire avec Claire Parnet.
Je suis à ma place préférée, celle de l’auteur d’un roman qui se termine bien.
Je suis soulagée qu’il ait aussi une histoire à me confesser. Je ne suis donc pas la seule à me courber sous le mauvais drapeau de la honte, et avoir du mal à accepter de ne pas être banalement humaine.
Cela m’aurait soulagée d’avoir une cause à défendre, de débarquer, user de ma volonté, la sauver. Mais il n’y a pas de mal que je puisse anéantir par le pouvoir de mon désir ni de secret Suisse a révélé et à combattre. Il n’y a pas à chercher dans un coffre-fort, dans un traumatisme enfui, un crime sexuel, la domination, le palace de L., le Saint, les pensionnaires
Et encore, encore
Mais la beauté des paysages n’est que la beauté des paysages et mon goût du “bien”, du “beau” qui arriverait logiquement après les épreuves, une énigme a révélé au lecteur à la fin, une forme héroïque, satisfaisante, se heurte à la vérité. Le romanesque, où le malheur se transformerait automatiquement en bonheur, une trompe. Le romanesque tel que je le cherche est le premier mensonge. J’en ai besoin pour vivre. J’aime être crédule, me persuader que la solitude mène à l’amour, la pauvreté à la fortune, la destruction à la séparation. Dans le monde réel, cela arrive parfois.
Le secours ne peut être que réel et arrivera, s’il arrive, sans le faire exprès et le plus probablement, il ne sera pas de mon fait.
Ici en bref



Du côté des critiques
Questions pratiques
Colombe Schneck – Mensonges au paradis
Twitter : @ColombeSchneck -Instagram : @colombeschneck
Éditeur : Grasset
Twitter : @editionsgrasset Instagram : @editionsgrasset
Parution : 8 mars 2023
EAN : 9782246828051
Lecture : Mars 2023
Bonjour Matatoune. Je ne suis pas trop tentée par ce thème de la maltraitance trop récurrent depuis quelques temps. Bonne journée
Oui, mais c’est surtout les facultés d’oublis que l’esprit met en place pour garder un bon souvenir. Bonne soirée
Le précédent livre que j’ai lu de l’auteure remonte à loin et m’avait déçu. Mais ce que tu dis de celui-ci me tente.
Moi aussi, j’avais été très nuancée sur certains précédents. Mais celui-ci m’a plu 🙂
Déni ou oubli purement ou simplement des *tendres années* protège, j’en sais quelque chose…Bisous bon dimanche
Oui, le déni est l’étape d’après l’oubli et c’est juste cela amène une dénégation alors que souvent on n’en a pas conscience . Merci pour cette précision qui était nécessaire. Bonne soirée
Un sujet à la mode apparemment, mais qui ne me tente pas. Bon dimanche
Alors, bonne soirée et bon début de semaine 🙂
J’aime l’idée que la littérature et l’écriture et plus généralement l’art parviennent à capter et recréer le réel, nous faire l’analyser… je le note.
Oui, je me rapproche de cette conception.
C’est intéressant le sujet du déni. Mais cette écrivaine-journaliste ne me tente pas tellement. J’ai peur que son style ne soit pas très littéraire et plutôt journalistique justement.
Colombe Scneck concentre son écriture ici sur son vécu et ses ressentis passées et présents, c’est du journalisme littéraire, je pense.