… se tait
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2022
Après son Goncourt de la biographie obtenu l’an dernier, Pauline Dreyfus propose une analyse sévère de la sociologie politique en plongeant son nouveau roman Le Président se tait au cœur du silence de Valéry Giscard d’Estaing mis en cause par l’affaire des diamants dits de Bokassa.
Pendant sept semaines, le Président se tait ! Mais, pendant tous ces jours, Pauline Dreyfus met en scène douze personnages qui vont à leur manière commenter ce silence.
Brins d’histoire …
Juste un petit rappel des faits : Le Canard Enchaîné révèle en octobre 1979 que le Président en poste depuis sept ans aurait reçu, ainsi que des membres de sa famille et à plusieurs reprises, des diamants de grande valeur alors qu’il était Ministre de l’Économie et des Finances.
Ces cadeaux auraient été faits par Jean-Bebel Bokassa, venant d’être renversé par les troupes françaises. Valéry Giscard d’Estaing ne prendra la parole que quarante-neuf jours plus tard et? encore, pour ne pas s’expliquer réellement.
Pauline Dreyfus bâtit son roman entre la révélation et la prise de parole en racontant la sidération, la colère, l’indifférence et même l’acquiescement au travers de douze réactions revendiquées de français ordinaires.
Tous ces personnages, Pauline Dreyfus les trouve dans cette société française qu’on dit vieille, sclérosée et inerte. Il y a une femme de ménage émigrée portugaise qui embauchée pour un extra à l’Ambassade du Portugal voit arriver au cours d’une réception ce bel homme, grand, parfaitement habillé et si aimable. En chuchotant, on lui rappelle de baisser les yeux devant le Président. Elle s’étonnera de ce silence.
On y croise Sylvain et Angèle, deux auvergnats venus ouvrir leur Café Brasserie, rue Saint-Honoré. Mais aussi, Monsieur Roger, un exemple de sérieux attaché aux valeurs de la République, va montrer que rien n’est immuable dans cette société française. Marie, la féministe, ou Régis, le “créateur de turpitudes”, et Sergueï, le dissident passé à l’ouest et d’autres encore.
Douze personnages pour décrire la société française et sa réaction face à ce qu’il faut bien appeler un abus de biens publics, si ces accusations s’avéraient véridiques. Et, on peux penser maintenant qu’elles le sont !
Surtout que, et Pauline Dreyfus insiste, ce président avait été élu car il incarnait la modernité, l’esprit des réformes. Il devait conduire la France sur le chemin de la modernité. Cela vous rappelle quelqu’un ?
Et, de ce fait ancien, quarante neuf ans, sa modernité éclate. Car, c’est le même mécanisme que nous avons observé ces derniers temps où l’arrogance, le sentiment d’être au dessus de tout et de n’avoir de compte à rendre à personne se sont encore magistralement observés.
Une narration parfaitement maîtrisée
Pauline Dreyfus décrit la société par cercles concentriques et forme une représentation fine de cette époque changeante sans que son Président, pourtant si affuté lors de sa campagne, puisse en appréhender les contours.
C’est tout un environnement qu’elle pose par petites touches qui, mises bout à bout, vont clarifier l’ensemble et dépeindre une société en mutation.
Le roman est découpé par chapitres chronologiques mais au fil du roman, la narration ne s’interrompe plus. Selon certains jours, un personnage nouveau auquel on s’attache plus ou moins selon ses affinités.
Celui d’Amédé de la Folinaye est haut en couleurs, par exemple. Chacun apporte un peu de la compréhension de l’époque, ses avancées mais évidemment aussi ses archaïsmes. Des instantanés de vie attirent plus ou moins. Mais, la maîtrise de la narration rend l’ensemble très agréable.
L’adulation qui se transforme au fil du temps en désamour, la politique y est habituée. Un ambitieux sort du bois, saisit l’air du temps, semble répondre aux attentes de ces pairs.
Mais, une fois qu’il est élu, il s’installe dans le pouvoir et oublie qu’il n’est qu’ un citoyen comme un autre uniquement au service de tous ses concitoyens. Non seulement il l’oublie mais en plus, il semble qu’une force presque divine le fait se conduire comme un roi en son royaume ou en représentant d’une république bananière !
En conclusion,
Le Président se tait est construit comme une sorte de jeu de l’oie enroulé autour du mutisme de Valéry Giscard D’Estaing pendant sept semaines qu’un discours de moins de cinq minutes viendra rompre, sans renouer la confiance avec ses concitoyens. ! Douze protagonistes vont dresser par leur tranche de vie le kaléidoscope de la société de l’époque. Pauline Dreyfus excelle dans cet art où chaque impression se joint à l’ensemble pour en dépeindre la complexité. Une valeur sûre !
Remerciements
à @editionsgrasset et @NetgalleyFrance pour #LePresidentsetait de #PaulineDreyfus
Pour aller plus loin
Le déjeuner des barricades – Pauline Dreyfus
Puis quelques extraits
Le militantisme est une prison comme les autres.
Tout enfant Jésus, même au XXe siècle, suscite des vocations de rois mages : de généreux mécènes s’étaient bousculés, chèque en blanc à la main, bonne conscience en bandoulière.
Inventeur de pêchés, créateur de turpitudes accélérateur de procédures, Régis ne savait pas très bien comment définir son métier lorsque ses amis, plus classiquement caser dans des banques ou des sociétés industrielles, lui demandaient en quoi consistait son activité.
Dans l’écheveau des vies où la passion, l’amour et même la tendresse sont aussi mortelles que ceux qui les éprouvent, il se sentait utile.
Les mots, les mots qui résolvaient des situations les plus inextricables, les mots qui éclaircissaient les ciels les plus noirs, les mots avaient disparu.
On a élu un technocrate qui vénérait le progrès, l’Amérique, les ordinateurs et les trains à grande vitesse et on se retrouve avec un gentleman-farmer.
Cet entêtement à refuser le débat me fait penser à ces gens affligés d’une verrue sur le nez. Il ne pense qu’à elle mais sont persuadés que tout le monde s’en fiche. Or elle fait loucher leurs interlocuteurs.
L’histoire, la grande comme la petite, était tragique : découvrir cette évidence, ou qu’on soit, n’était pas le moment le plus plaisant de l’existence.
La liberté, c’est celle de parler mais c’est aussi celle de se taire.
C’est un crime sans cadavre, cette affaire
Ici en bref



Du côté des critiques
Questions pratiques
Pauline Dreyfus – Le Président se tait
Éditeur : Grasset
Twitter : @editionsgrasset Instagram : @editionsgraasset
Parution : 17 août 2022
EAN : 9782246825784
Lecture : Août 2022
Une lecture qui ne m’aurait pas tentée, mais finalement, pourquoi pas.
Pauline Dreyfus utilise, me semble-t-il, depuis plusieurs romans ce procédé et elle le maîtrise parfaitement !
Bonjour Matatoune, je te souhaite un excellent mois de septembre et pleins de petits bonheurs.
Mes amitiés ♥
Merci Denise ! Mais je m’aperçois que cela fait longtemps que je n’ai reçu tes petits mots charmants de poésie … Peut-être me suis-je désabonnée … Je vais pallier à tout cela 🙂
Matatoune, j’avais mis mon blog en pause.
Bonne journée
Oui, je ne m’en souvenais plus 🙂
je me rappelle bien de l’histoire des diamants de Bokassa ce serait peut-être une bonne expérience de se replonger dans cette époque mais tout ce qui touche autour de la politique m’inspire peu depuis quelques temps 🙂
j’espère que mon commentaire va passer, j’ai eu des problèmes avec wordpress depuis 15 jours 🙂
Oui, ton commentaire passe normalement. Pauline Dreyfus a bcp de talent pour croquer par petites touches une situation, une ambiance… Une valeur sûre 🙂
Bonsoir Matatoune. Ce roman devrait me plaire. J’aime les puzzles et les kaléidoscopes. Nonne soirée
Pauline Dreyfus a un talent sûr pour monter les différentes scénettes pour brosser l’essence d’une époque à partir d’un événement donné. Bon dimanche 🙂
pas ma tasse de thé, je passe (sans jeu de mot)
Oh, joli, quand-même 🙂
Encore un livre que tu me donnes envie de découvrir. Ça va nous rajeunir. Bonne soirée
Oui va rajeunir sauf pour le miroir 🙂