RENTRÉE LITTÉRAIRE HIVER 2023
“Il n’y a pas d’innocents”, car nous sommes coupables, nous dit en pointillé Constance Debré dans Offenses. Ce cri, où l’écriture est taillée, dépecée de toutes émotions et de tous ressentis, énonce, dénonce même, la partialité du jugement en matière de Justice et la violence comme expérience salvatrice. Pour elle, loin de représenter la justesse, la Justice n’est qu’un mensonge et la brutalité, une conséquence inéluctable pour arrêter le mal-être.
En s’inspirant de son expérience d’avant, celle où elle était “avocat” dit-elle en interview, Constance Debré décrit un fait divers inventé et le procès qui s’ensuit.
Un jeune poignarde sa vieille voisine qu’il avait pourtant l’habitude d’aider en lui faisant ses courses. Parce qu’elle lui réclame l’argent qui ne lui a pas rendu, il ne le supporte pas et se laisse envahir par sa violence qui l’assaille. Dix plaies au couteau. On découvrira le corps baignant dans une mare de sang dans son appartement de sa cité en banlieue.
Constance Debré dissèque la vie du jeune et dévoile la misère sous toutes ses formes. Et elles sont nombreuses. Quelques-unes comme celle de ce jeune, père à 16 ans. Ou celle de la voisine dont le fils habitant de l’autre côté de sa rue et ne vient pas la voir. Il lui fait un signe de tête lorsqu’il la croise dans la rue. Pourtant, l’agresseur est le seul à parler de sa voisine avec attention et empathie.
Du coup, à toutes les misères, la violence, quelle que soit sa nature, est l’élément déclencheur et inéluctable pour que les choses puissent cesser.
Chaque chapitre interroge, dérange ou bouscule. La justice est devenue incohérente avec ses codes et son cérémonial à traiter ce genre de situations. Ainsi, même l’intervention de l’expert psychiatre n’a plus de sens par le prisme que pose Constance Debré. Les témoins se succèdent mais leurs interventions se dénaturent. L’accusé semble persuader qu’il n’y avait pas d’autres issues et même qu’elle devient salutaire.
Du moins, c’est la vision que l’écrivaine impose. Offenses rappelle la responsabilité que nous partageons pour accepter les inégalités. Notre société produit et laisse s’enkyster des situations où la violence est la seule issue. Est-ce la nature humaine ou la société qui engendre ce type de situation ? Constance Debré ne répond pas mais distille une noirceur qui est omniprésente.
Le style et les mots choisis captent avec intensité. Constance Debré condense sa langue, la dépouille, l’épure pour ne garder que le strict minimum.
Offenses est un roman court qui interroge sur la justice et la violence, sur notre société et les injustices qu’elle produit, sur la nature humaine et le bien et le mal. Avec une langue travaillée comme au scalpel, Constance Debré convoque pour partager sa vision, dénonce pour réveiller et interpelle pour bouleverser !
Puis quelques extraits
Il faudrait s’intéresser à tous les actes qui mettent dans un état spécial qui font qu’on arrête de penser.
Vous ne tuerez. Mère de toutes les lois, mesure de toute morale, de tout contrat, de toutes les règles, de tous les codes. Il n’y a pas de contrat qui vaille. Il n’y a pas de loi qui tienne. Vous ne tuerez point et pourquoi pas.
Le rapport a été versé au débat pour que les jurés sachent qu’il juge, pourquoi ils se sont déplacés, ce à quoi on les a convoqués. Qu’il sache bien l’insignifiance du meurtre, l’insignifiance du procès, l’insignifiance de leur condamnation, l’insignifiance du coupable, l’insignifiance de la vieille, la leur aussi d’insignifiance. L’insignifiance de tout.
Tout est abîmé. Tout est abîmé dès la naissance ensuite ça ne fait qu’empirer. Les choses les êtres tout est laid il faut que vous le sachiez.
Il faut que vous le sachiez si vous avez oublié.
Contrairement à ce qu’il prétend le capitalisme ne rémunère pas le risque. C’est pour ça qu’il le délègue, le délègue à ceux qui sont perdants avant d’être vaincus. Le dealer délègue le risque à la nourrice, comme le patron à l’ouvrier, comme le général aux bidasses.. Le système délègue le risque à celui dont la perte ne changera rien.
Vous pouvez bien me juger, me condamner, me mettre à l’écart, moi et ceux qui sont comme moi, me mettre toujours plus à l’écart, vous racontez que le mal c’est moi, mais le mal c’est vous pas moins que moi.
Ceux qui s’en vont c’est dans une autre banlieue. C’est ce qu’a fait le frère exemplaire, celui qui travaille, celui que les juges aiment, on peut quand on veut. Remplir les rayons, ranger les produits la nuit sous les néons. Ceux de la grande distribution pour la grande consommation. Celle qui fait les milliardaires sur le dos des pauvres. Celle qui pourrit les corps les âmes les paysages à coups de mauvaise bouffe et de laideur, celle qui prend le fric de ceux qui n’en ont pas.
Ici en bref



Du côté des critiques
Le Monde –
Du côté des blogs
Topobiblioteca – Les chroniques de Koryfée –
Questions pratiques
Constance Debré – Offences
Éditeur : Flammarion
Twitter : @Ed_Flammarion Instagram : @flammarionlivres
Parution : 1er février 2023
EAN : 9782080286147
Lecture : Février 2023
Pas attirée par cette vision du monde. Je passe ! Bonne journée !
C’est vrai que c’est plutôt noir. Mais, ce qui m’a plu c’est son style ! Un vrai plaisir 🙂
Le début de ta chronique m’a immédiatement fait penser à La chute de Camus, un de mes livres de chevet. Du coup j’ai très envie de le lire, je le note. C’est vrai qu’il y a une violence omniprésente dans la société, même si ça ne va pas jusqu’au meurtre, heureusement..Bon dimanche
Moi j’ai pensé à L’Etranger ! J’ai été fascinée par son écriture. Un expérience particulière ! Bon début de semaine
La justice ne fais plus son travail alors que la police arrête des criminels elle, les relâches comment dès lors croire en elle. Après on s’étonne que la violence augmente c’est normal quand on se sait intouchable, ou presque. Aucune misère ne peut excuser un meurtre! Gros bisous doux weekend, ( je me repose un peu en venant voir vos blogs)
Et, bien bon repos Renée 🙂
Toujours aussi cash – je ne le lirai seulement s’il fait partie des 10 livres candidats au Livre Inter 2023….
Est-ce que tu essayes d’être juré ? C’est Foenkinos l’auteur accompagnateur cette année. Nom était déjà sélectionné dans les 10 livres inter de l’an dernier. À voir 🙂
Hello, je pense éventuellement re-postuler cette année. Au total j’ai essayé 3 fois. Après la 2e tentative – il y a onze ans – nous avons, avec un petit groupe d’amis, crée “Le Shadow-Cabinet Inter” et lisons (une petite douzaine de lecteurs/-trices) les 10 livres de la sélection Inter et élisons “nôtre” Prix Inter et sommes bien entendu contents si le (“vrai”) prix correspond à “notre” lauréat… ce qui était quand-même déjà 9 (neuf !!!) fois le cas… et je te dis que c’est vraiment, vraiment magnifique de s’écharper autour des 10 livres et d’affûter les arguments. Sachant que notre cercle est assez homogène en termes de situation socio-culturelle…. et davantage féminin que le jury parisien (24 et parité H/F) …
Bravo ! Difficile pour moi de lire des livres qui ne m’intéressent pas vraiment. Je deviens rapidement comme la mauvaise élève au fond de la classe, boudant devant son livre 🙂 Du coup, je ne suis la bonne personne pour devenir jurée !
Oui parfois c’est dure….je suis également dans le jury du Prix Caillé pour les traducteurs en début de carrière. … sur une quinzaine de candidats il n’y a toujours que 3 à 5 qui sont ‘potables’….du vrai sacerdote…
Bonjour Matatoune. Après avoir lu ta chronique et les extraits je ne crois pas que j’apprécierais ce livre. Rien pour moi ne justifie un assassinat, surtout pas un mot de travers. Bonne journée
Pour l’écrivaine non plus ! Mais, elle alerte sur notre responsabilité face à la violence . En tout cas, bon week-end 🙂