Rentrée littéraire 2021
Prix Renaudot des Lycéens 2021
Grand Prix des Blogueurs Littéraires #GPBL
N° 4 du Palmarès Livres Hebdo 2021
La carte postale, nouveau roman d’Anne Berest, a bouleversé mon été (et je l’espère, bouleversera la rentrée littéraire !) tant sa narration m’a happée dans le récit dramatique d’une famille. Autour des quatre prénoms Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques, Anne Berest reconstitue l’histoire errante de sa famille maternelle décimée lors de la seconde guerre mondiale En procédant comme une enquête généalogique, elle redonne à ses parents leurs identités et s’inscrit dans une filiation retrouvée.
Au moment où elle se prépare à accoucher, Anne Berest se rappelle la carte postale énigmatique reçue en janvier 2003 mais dont la photographie date d’au moins dix ans. A l’époque, la famille s’est interrogée sur son expéditeur puis ne trouvant pas de réponse, la carte fut oubliée dans un coin. Mais, avant de reprendre l’enquête sur la carte, Léila, sa mère, décide de raconter l’enquête généalogique qu’elle a menée pour tenter de redonner un passé à sa famille.
Car ces prénoms sont ceux de ses grand-parents et de ses jeunes grand-oncle et grande-tante disparus en déportation. Ainsi, c’est l’histoire d’un antisémitisme européen qui nous est relaté poussant une famille russe de 1919 à s’exiler à travers le monde. Après une période en Israël, Ephraïm et Emma choisissent la France pour apporter une terre à leur famille. Seulement, les mesures antisémites et les lois scélérates de Vichy auront raison de ces juifs étrangers qui furent pourchassés et subiront, les premiers l’épuration ethnique que la population française a à la fois encouragé mais aussi, avec les justes, protégé.
Seule survivante, Myriam, grand-mère d’Anne Berest, a tout fait pour essayer d’oublier, quitte à ne plus pouvoir rien en dire, de ce passé trop lourd à partager. Alors, elle s’est interdit de raconter provoquant la colère de sa fille. Celle-ci s’est heurtée à ce mutisme ne pouvant se construire sans recoller les morceaux d’une vie fracassée. Ce qu’elle a fait et qu’elle transmet à sa propre fille au moment où elle va être mère.
Seulement, là où la mère ne peut aller plus loin, Anne Berest reprend le fil de sa filiation en s’interrogeant sur cette carte, son expéditeur, la situation de son envoi et l’intention de cet anonyme qui marque à jamais la mémoire de ces aïeuls effacés de l’Histoire. A partir de cette recherche, c’est aussi l’histoire de la judéité en Europe mais aussi le sillon que creuse encore aujourd’hui un antisémitisme toujours actif.
La carte postale est le récit nécessaire d’un passé qui ne doit s’oublier ! Mais, au lieu d’une simplification trop réductrice que l’émotion convoque souvent, la fiction ici explique le contexte, la situation, la lente maturation d’une idéologie des meurtres de masse pour supprimer de façon subjective une partie de la population. Elle pointe aussi la responsabilité d’un État français qui est devenu plus diligent que les demandeurs nazis en organisant rafles et camps pour servir à l’ennemi sa rétribution mortuaire !
Mais, Anne Berest transforme le statut de victime, tant à l’œuvre dans notre société contemporaine, en acceptation où ceux qui sont morts sont présents à jamais dans le quotidien de ceux qui ne pourront les oublier. Car, Anne Berest démontre la présence de nos morts, leur permanence à vivre à partir du moment où leurs mémoires, leurs combats, leurs souffrances ont été captés au mieux par leur descendance, au pire par d’autres. Aucun mort ne doit être oublié, sinon c’est pire que de perdre la vie, c’est perdre une certaine partie de son identité d’humain !
Incapable de prévoir le parcours de ce roman écrit avec justesse et intelligence mais surtout sans pathos. Ici, Anne Berest raconte comment un mot qui représente une religion pas pratiquée, pas honorée, va bouleverser cinq générations jusqu’à ôter la vie à certains ! Car le révolutionnaire Ephraïm qui avait effacé de sa vie l’asservissement à son dogme religieux d’origine sera quand-même rattrapé comme le dira son arrière-arrière petite fille, car ici, on n’aime pas beaucoup les juifs !
Pour aller plus loin
Merci tellement à @EditionsGrasset et @AnneBerest de m’avoir permis de découvrir ce roman en avant-première.
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Puis quelques extraits
Dans notre famille, les problèmes ne se réglaient pas de cette manière là, on vivait avec les objets comme s’ils avaient le droit à autant d’égards que des êtres humains.
Adolescente, je savais que ces boîtes alignées sur les étagères contenaient lectrices des histoires sombres du passé de notre famille. Elles me faisaient penser à de petits cercueils.
Mon fils , écoute moi, des que tu sentiras le miel se poser sur tes lèvres, demande-toi : de quoi, de qui suis-je l’esclave.
La langue est un labyrinthe dans lequel la mémoire se perd .
Mieux vaut être un sage en enfer qu’ un imbécile au paradis.
J’avais atteint cet âge où une force vous pousse à regarder en arrière, parce que l’ horizon de votre passé est désormais plus vaste et mystérieux que celui qui vous attend avant.
Ma grand-mère, seule survivante après la guerre, n’est plus jamais entré dans une synagogue. Dieu était mort dans les camps de la mort.
L’État français dit aux juifs: vos familles ne sont pas mortes assassinées par notre faute. Elles ne sont …pas rentrées.
-Jodoriowsky dit, je le cité: ” Nous trouvons dans l’arbre ( généalogique) des endroits traumatisés, non digérés, qui cherchent indéfiniment à se soulager. De ces endroits sont lancés des flèches vers les générations futures. Ce qui n’a pas pu être résolu devra être répété et atteindre quelqu’un d’autre, une cible située une ou plusieurs générations plus loin. ”
(Proverbe yiddish) Le véritable ami n’est pas celui qui sèche tes larmes. C’est celui qui n’en fait pas couler.
Ici en bref



Fragments audio
Questions pratiques
Anne Berest – La carte postale
Éditeur : Grasset
Twitter : @EditionsGrasset Instagram : @editionsgrasset
Parution : 18 août 2021
EAN : 9782246820499
Lecture : Août 2021
Un bel hommage aux personnes disparues de sa famille, très littéraire, très digne, très émouvant aussi. J’avais beaucoup aimé en le lisant, l’an dernier.
(Un petit bémol cependant, je n’avais pas bien vu l’intérêt de s’appesantir sur le détail de ses recherches, et cet aparté dans le récit, casse un peu le rythme).
J’avais eu le sentiment que Anne Berest avait trouvé le ton juste pour raconter l’histoire de sa famille.
Férue moi aussi de généalogie, je n’ai pas eu la même réserve, au contraire 🙂
[…] Anne Berest – La carte Postale […]
[…] en parlent également: Eve, Matatoune, Mélie, Emi lit, Isabelle, Elora, Nina, Lili, Muriel, Willy, Madlemans, Moonpalaace, Books Moods […]
Un joli billet ! Il faut que je me le procure ce livre
Je suis ravie d’apprendre qu’elle a été choisie comme N° 4 du Palmarès Livres Hebdo 2021. J’espère qu’il y en aura d’autres malgré la descente en règle de Camille Laurens dans Le Monde 🙂
je viens de le terminer (terminer ma chronique serait plus juste, car j’ai eu besoin de réfléchir pour la poster!
c’est un coup de coeur, tout est bien dans ce livre, jamais de pathos, une évocation pleine de pudeur des atrocités, le désir d’oublier, et toute l’histoire de la famille avec ses exils successifs 🙂
Oui, un grand roman et une maîtrise littéraire exemplaire !
Anne Berest a mené une conférence à voir sur Youtube ou sur facebook du mémorial, interviewée par Catherine Eliacheff, pédopsychiatre
Très impatiente de le lire, et cette chronique me donne encore plus envie.
Très réussi pour moi !)
Repéré, celui-ci. Le sujet m’intéresse au plus au point et je fais confiance à la plume d’Anne Berest pour le reste.
j’attends ton avis avec impatience car je l’ai trouvé très réussi !
Ce livre a l’air vraiment bien, je vais le demander aussi s’il passe sur Netgalley .
Oui il y est ! A découvrir ! Bonne soirée 🙂
J’ai beaucoup aimé leur récit à quatre mains, Gabriel, je vais lire celui ci en espérant l’aimer tout autant !
j’attends ton avis alors 🙂
Bonjour Matatoune. Très belle chronique qui me donne envie de lire ce roman ! Bonne journée
Oui celui-ci est très réussi ! Bonne soirée
PS: je viens de voir que tu as demandé les mêmes que moi …
j’hésite pour “son fils” et “Brassens”…. j’attends ton avis 🙂
Brassens , j’ai bcp aimé mais ma chronique ne paraitra qu’au moment de sa parution, le 8 septembre ! Mais, Brassens est dans mon panthéon de la chanson!
il m’intéresse je l’ai demandé sur NetGalley on croise les doigts…
j’ai pu avoir celui de Claire Berest “Artifices” couverture et thème étaient trop tentants pour que j’essaie de résister 🙂
J’ai bcp aimé, vraiment ! Bien construit, bien écrit sans pathos, des faits pour redonner vie à des oubliés de l’Histoire mais aussi de leur famille ! Oui, je vais commençais Artifices … A suivre !