Et moi, au printemps 68, j’étais où ?

J’écoute France Inter du matin au soir mais pas du soir au matin ! Son thème cette semaine c’est “On a tous quelque chose en nous de Mai 68”. Et, moi,  j’étais où ?

 

Mon frère Bernard, de 9 ans mon aîné, avait décroché une chambre d’étudiant à la fac de Nanterre à la rentrée 67. Il étudiait alors la philo après avoir passé un an de stage en Allemagne  pour compléter sa formation commerciale après son bac.   Pas doué pour cette carrière, son diplôme obtenu, il avait décidé de reprendre ses études.

La fac de Nanterre avait poussé de terre, tel un champignon, pour désengorger la Sorbonne. Il faut se rappeler qu’elle venait d’ouvrir ( département des lettres et sciences humaines en 1964 puis en 1966 celui du droit) à la place de l’ancien camp de matériel aéronautique de la Folie. Aucune infrastructure n’avait été prévue autour.

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A côté, tout proche se situait  le “bidonville de la honte” qui, dès 1950,  accueillait algériens, marocains et italiens dans le contexte de la crise du logement d’après guerre.  Le démantèlement était souhaité des autorités pour éviter des réactions, qu’on qualifieraient maintenant de communautarisme. Parallèlement, le quartier de la Défense n’était qu’un projet.

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En 1963, la décision était prise de relier la station Auber à Saint-Germain-en-laye en passant par la Folie. Mais, en 67/68, c’est encore en train qu’on reliait Paris Saint-Lazare à la Gare de Nanterre puis il y avait un kilomètre à pied en longeant le bidonville. De Boulogne, où nous habitions, un bus nous déposait pas loin.

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J’avais 12 ans, bientôt 13. J’étais en 5ème. J’étais passée avec un examen en 6ème. J’avais été diagnostiquée dyslexique et dysorthographique. Les soutiens de ma prof de français et de mon orthophoniste me permettront de dépasser les difficultés. Pour Bernard, il était impossible de revenir dans le deux pièces sans confort que nous occupions où la salle à manger lui servait de chambre. Il était content d’avoir décroché une chambre même de 9m2 sans confort dont je ne me rappelle plus exactement l’étage même si, je me souviens très bien, la vue allée vers l’infini…des baraquements insalubres!

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Très vite, la colère s’est installée dans ce lieu où régnait des règles strictes : pas le droit d’aller ouvertement dans le bâtiment des chambres des filles malgré une demande de mixité officielle en février 68.

Rien, strictement R-I-E-N aux alentours sauf le resto U qui permettait de s’y retrouver, uniquement lors des heures d’ouverture, et les restos près du bidonville pour manger couscous et brochettes pas chers!

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Mon frère  s’est créé une conscience devenue très politisée. Il revendiquait,  manifestait contre la guerre du Vietnam, contre les conditions d’enseignement, contre le dénuement et tant d’autres choses… Il confectionnait tracts et affiches avec ses copains.

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La fac de Nanterre occupait le 29 mars 1968

Le mouvement syndical étudiant était entrain de se restructurer. Bernard était devenu anti-impérialiste marxiste puis quelques temps après anarchiste et bien des années plus tard, il succombera au mouvement maoïste de Jean Paul Sartre.

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vagabondagautourdesoi-68-wordpress-24Mais, en mars 1968, c’était à Nanterre où il vit 24 h sur 24 qu’il s’inscrit pour la première fois dans un collectif. Pour lui, c’était la façon de se détacher violemment de l’héritage communiste-résistant de notre père tout en restant sur des valeurs sociales fortes. Atypique dans le paysage social des étudiants à Nanterre,  il s’est retrouvé avec une classe qu’il a du découvrir, la bourgeoisie.

Fils d’un fraiseur de chez Dassault trop tôt évincé de la production, il y avait de la revanche dans l’air !

La fac de Nanterre était connue pour être un laboratoire : les professeurs adoptaient des méthodes participatives (dont le philosophe Paul Ricoeur, Alain Touraine le sociologue, René Rémond le politologue).

Dany Le Rouge était une grande gueule qui intervenait sans filtre à toutes les réunions. Grâce à son charisme, sa gouaille, son aura, il était devenu rapidement une des figures marquantes du mouvement.

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La veille du 22 mars, 300 étudiants saccagent le siège de l’American Express pour revendiquer la victoire du Vietnam sur l’impérialiste américain. Le lendemain, les étudiants décident d’envahir la salle du conseil d’administration pour y tenir la énième réunion qui décidera de l’action à mener. Je crois reconnaître mon frère sur cette photo, mais n’en suis pas sûre!

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vagabondagautourdesoi-68-wordpress-27Là, mes souvenirs se troublent.

Je ne sais si Bernard a fait partie des 142 Enragés.

Un soir, il était venu dîner à la maison. A la fin du repas, il avait dit à ma mère qu’il devait retrouver un copain qui arrivait avec sa voiture à la porte de Saint Cloud. Ils devaient distribuer ce qu’il y avait dans le coffre ?????. Nous avons passé la soirée, et les suivantes, l’oreille collée au transistor pour suivre l’évolution des affrontements. Je me rappelle encore son inquiétude muette…

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En classe, tout d’un coup, il y eu de longues récréations et des profs absents. Et, même il nous arrivait de rire en classe. C’était génial !

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Je me rappelle que ma mère avait récupéré un Paris Match où on voyait mon frère sur les barricades envoyé un projectile sur les CRS, le soir. Je n’ai jamais retrouvé cette photo où on le voyait avec ses lunettes fumées, comme on faisait à l’époque, ses cheveux en brosse et sa gabardine beige sur son pantalon de tergal, le col de sa chemise dépassant de son pull en V. Ai-je rêvé ?

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A l’été, le calme est revenu. Ce fut les grandes vacances et la monotonie de la vie s’est réinstallée!

Bernard a du prendre la route après les événements. Lorsqu’il est revenu pour la rentrée, ses cheveux avaient largement poussés. Et, il portait la barbe et des jeans. Il ne faisait plus de vélo. Il fumait beaucoup.

Je crois qu’il ne sait jamais remis de cette période! Il n’a pas cessé d’y croire mais la réalité est devenue, au fil des jours, de plus en plus trouble. Ma mère disait que c’était dû aux drogues, au LSD, que Bernard n’avait pas manqué d’essayer! Car, mon frère n’est plus là pour me raconter !

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Pour ma génération,  c’est devenu, tout d’un coup, beaucoup plus facile : le mouvement féministe se crée. La libération sexuelle fait exploser tous les carcans. Ce n’est que bien longtemps après, qu’on entendra les mots homosexualité, pédophilie, drogues, etc. Car, le mot d’ordre de l’après 68, c’était liberté et jouissance !

vagabondagautourdesoi-68-wordpress-30.jpg 50 après, on a bien tous un peu de Mai 68 en nous! Mais le grand chambardement promis par cette libération nous a amené jusqu’à un individualisme très éloigné de la société collective qu’on avait rêvé!

 (Certaines photos ont été prises par Gérard Aimé à qui on doit les photos les plus connues du jeune Dany)

 

11 commentaires

    • Mais, une “gamine” peut aussi nous raconter ses “histoires du passé”…Serait ravie de les lire…
      Merci !
      Bonne journée!

  1. Bonjour Écureuil bleu, Donc nous avons presque le même âge…
    Pour les émotions fortes, la mémoire se souvient du lieu, de la couleur des fleurs, etc!
    Cela signifie que tu étais dans une période sereine où ta jeunesse était préservée ! Tu peux raconter des évènements tranquilles de ton vécu mais 68 est certainement passé très loin de ta famille qui a réussi à te protéger!
    Pour moi, j’avais appris trop tôt , que la vie est fragile ! Alors chaque événement rappelant cette fragilité est inscrit dans ma mémoire.
    Très bonne continuation à toi!

  2. moi, je suis née en mai …69! et pourtant je suis une enfant de 68 bien plus que mes parents qui avaient 22 ans à l’époque, qui venaient d’ouvrir un petit commerce, bossaient comme des boeufs sans jamais avoir été jeunes et commettaient l’irréparable en votant…Giscard! J’ai toujours pensé qu’il y avait eu une permutation du temps et un renversement des cycles….

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