Rentrée littéraire 2024
Portrait d’une Femme Politique et Exploratrice

Olivier Guez reprend la figure de la Queen of the Desert, interprétée par Nicole Kidman en 2015 pour nous présenter sa Gertrude Bell dans son nouveau roman, Mesopotamia. Figure d’une femme encore trop oubliée, Gertie, comme la surnomme le Laurence d’Arabie est à la fois « archéologue, exploratrice, écrivaine, femme politique, espionne et diplomate britannique » résume Wikipedia.
À travers le destin hors norme de cette femme, Olivier Guez met en lumière la situation historique de l’époque qui a donné naissance à ce Moyen-Orient, de 1916 à 1922 dont les blessures ne cessent de retentir sur notre monde contemporain.
Des brins d’histoire
Le Canal de Suez est inauguré en 1869 et Bassora, deuxième ville d’Irak après Bagdad, commence à prendre une place importante dès le début du XXè siècle. Sir Percy Cox est alors le chef de l’administration civile en Mésopotamie, occupée par l’armée britannique. Il s’active car il souhaite que l’armée britannique soit la première de tous les Occidentaux à conquérir la Mésopotamie depuis l’empereur romain Trajan. Dès 1908, la Mesopotamie devient le nouveau » jardin d’Eden » et « Jardin d’Allah « .
Gertrude Bell est une archéologue brillantissime. Elle avait 23 ans en 1892, au moment de son premier voyage en Perse. Elle parle couramment, évidemment l’anglais, l’allemand et le perse et son oncle lui propose d’entrer à l’Intelligence service, bastion de l’espionnage anglais. Sous la protection de Sir Cox, elle va déplier ses ailes. Elle fait la connaissance de Thomas Edward Laurence, dit Laurence d’Arabie, au printemps 1911. L’héritière de sixième fortune de Grande Bretagne devient à la fin de son adolescence attirante, mais pas pour son physique.
Délicieux !
Savoureux, la manière dont Olivier Guez décrit la personnalité de Gertrude, tout en finesse et subtilités. Car, elle va prendre sa place au milieu des hommes, aucunement par sa beauté, mais par son intelligence, sa vivacité, sa culture et sa compréhension du monde. Seulement, elle vit dans une époque où une femme est considérée comme illustrant magnifiquement la position d’un homme de pouvoir et son savoir…un objet de promotion en somme !
De plus, j’aime son ton décalé où frise une ironie certes déguisée mais impertinente. Olivier Guez met en lumière cette femme, parfaitement inconnue. Mais il explique aussi la création de ce Moyen-Orient qui est au cœur des préoccupations actuelles. Amie précieuse de Sir Laurence elle est déclarée la femme la plus puissante de Mésopotamie par Fayçal. Alpiniste chevronnée, elle a même donné son nom à un sommet de suisse, La Gertrudspitze. Mais pas d’idées révolutionnaires chez cette bourgeoise qui refuse le mouvement des suffragettes.
Car, Gertrude est, comme la voient ses interlocuteurs selon Olivier Guez, une « vieille fille acariâtre et excentrique, la reine vierge ». Seulement, elle fut la femme de l’ombre qui sut tirer des ficelles géopolitiques aux conséquences importantes. Admise comme « Political officer » elle est rapidement promue « Oriental Secretary ». Un homme saura vraiment convaincre à la fois son cœur et son intelligence, le Major Doughty-Wylie, surnommé Dick, avec, comme l’imagine Olivier Guez, une nuit d’amour si courtois que Gertrude en criera de désir cadenassé ! Prodigieux !
En conclusion,
Avec ses mélanges d’époque, Olivier Guez brise le code chronologique et évite l’ennui. Ce livre est à savourer, à méditer. Il est à reprendre, tant les répercussions des événements racontés résonnent pour notre présent. On ne peut ôter à Olivier Guez sa documentation qui permet de brosser un portrait, certainement très proche de la réalité, tant l’écrivain semble avoir combattu les penchants de l’admirateur passionné. Il n’est nullement question de découvrir une personne que l’on va aimer, mais de comprendre son implication dans cette histoire si complexe du Moyen-Orient.
La Mésopotamie a toujours été le centre de gravité des grands empires cosmopolites du Moyen Orient. Avec Mésopotamia, Olivier Guez relève le défi de décrire son histoire moderne avec le portrait hors du commun de cette aristocrate, férue de culture arabe, qui a côtoyé le pouvoir, pour qu’enfin on n’oublie plus Gertrude Bell.
Remerciements
à #netgalley et @editionsgrasset
Pour aller plus loin
La disparition de Josef Mengele – Olivier Guez
Puis quelques extraits

La Perse et la guérite des Indes, une porte d’entrée plus acceptible que les sommets escarpés de l’hindou-Kouch et de l’Afghanistan.
» En Europe nous avons été des ramasse-miettes et des esclaves, en Asie nous serons des seigneurs » a écrit de Dosteïevski : Les Britanniques en sont persuadés, les Russes veulent asservir tout le continent.
En sa présence, c’est comme si son corps se réinventait. Elle n’a jamais connu pareil émotion, ni cette chaleur languissante qui la taraude au réveil ce matin. Mais elle n’ose s’explorer, une jeune femme ne s’aventure pas dans ces régions-là.
Un manque de grâce, de sensualité. Son visage et sa charpente un peu lourdaude avaient quelque chose de masculin. Son nez saillant et ses doigts, dont elle avait longtemps rongé les ongles, l’inhibaient : Gertrude n’était pas jolie. Mais pas vilaine non plus ; Et elle avait de la conversation, trop, sans doute, au goût de ces messieurs.
Et encore,
Sa belle-mère lui a inculqué que la chair, « l’animal », est dégoutant pour une femme. Une Anglaise doit œuvrer pour la civilisation et l’humanité comme la reine Victoria, bonne mère et honnête femme, et non se laissait porter au gré de ses envies. Gertrude n’a jamais oublié la communication d’un professeur de médecine dans un amphithéâtre bondé d’Oxford. Il énonçait que les femmes n’avaient pas de libido et que seules les putains et les sorcières éprouvaient du désir, « une sur dix, pas plus », tableau à l’appui en ajustant son lorgnon. Gertrude s’alarme, culpabilise, ne trouve pas de repos.
Il faudra patienter un siècle ou deux, peut-être un millénaire. L’Éden, Sumer, Babylone : régénérer le berceau des cilines des civils, des civilisations, n’est pas une aventure coloniale comme une autre. C’est une entreprise de rédemption, prométhéenne et sacrée, l’apothéose du projet impérial, qui justifie la guerre, les morts, les sacrifices consentis. L’épopée n’est pas achevée. « Nous sommes vraiment un peuple remarquable. Nous sauvons de la destruction des nations opprimées, Et leur donnant sans compter, améliorerons laborieusement leurs conditions sanitaires, et éduquons leurs enfants, en respectant leur foi… Il en va ainsi sous le drapeau britannique. Ne me demandez pas
Et puis
Il regrette que son gouvernement ne le suive pas comme il s’était engagé à le faire. Une confédération d’Etats arabes autonomes ou indépendants supervisée par la Grande-Bretagne eût été « la solution la plus habile ». Elle aurait été porteuse d’avenir : Le monde a dépassé le stade de l’impérialisme, et il aurait voulu épargner cette tare à l’Angleterre et à la France, dit-il d’un ton tout bas, marquant mal son amertume.
Londres penchait initialement pour un Kurdistan indépendant, mais les deux administrateurs ont su convaincre leurs interlocuteurs : le pétrole du nord est indispensable à l’empire; les montagnes kurdes seront précieuses pour défendre les plaines du centre et du sud; elles servent de base arrière aux forces anticommuniste russe et des nouvelles républiques indépendantes du Caucase ; elles ouvrent des voix de communication avec la Perse, le Caucase et l’Anatolie le sort restent en suspens, la route terrestre des Indes sera mieux protégée.
Et encore, encore,
C’est dans leurs déserts qu’elle a rencontré ses pareils, les nomades, des hommes insensibles à l’effort et inaccessibles, romantiques, rebelles et conservateurs : les Bédouins.
« Le paternalisme ne fonctionnera pas dans cette partie du monde. On ne peut diriger les Arabes sur les critères de l’Inde ; les musulmans ne se laisseront pas dominer indéfiniment par les chrétiens sans réagir ».
Et encore, encore, encore
Que faire des Kurdes ? L’autonomie leur a été promise au lendemain de la guerre. Churchill et Laurence y sont favorables. La création d’un État tampon entre les Turcs et les Arabes leur éviterait d’être opprimés dans la nouvelle entité irakienne : les Arabes et les Kurdes n’ont jamais fait bon ménage. La faction mésopotamienne s’y oppose. Cox veut un État unitaire. Miss Bell opine du chef, et chausse son pince-nez d’institutrice pour faire la leçon à ses collègues : la région nord est essentielle à l’avenir du pays. Les sols y sont fertiles er gorgés de pétrole. Les Kurdes sont sunnites. Ils réduiront l’emprise démographique des chiites sur la population.
Elle rappelle que la délégation britannique à la conférence de Paris avait accepté l’inclusion du Kurdistan au nouveau royaume. Puis elle lit à haute voix une citation de Procope de Césarée qu’elle a notée sur une fiche à l’encre violette : « les plaines de Mésopotamie s’évasant dans les immenses bassins du Tigre et de l’Euphrate fournissent peu de jalons frontaliers incontestables, qu’il s’agisse de rivières, lacs ou montagnes. Tout gain territorial reste vulnérable à moins de s’appuyer sur l’annexion d’une gigantesque étendue » : pour que l’Irak soit viable, il doit réunir les trois provinces.
Et encore
Elle est très optimiste. « je suis convaincu que les Kurdes seront impatients de rejoindre le gouvernement arabe d’ici 6 mois. » Les émissaires prennent des notes en silence. Churchill est impressionné. Le sort définitif des Kurdes ne sera pas arrêté au Caire. Mais les vues de Gertrude l’emporteront. Les Kurdes n’auront ni État ni autonomie au sein de la nation irakienne.
Elle sourit, son père a fait une faute de pas. Il est la chaleur du monde, son éternel ange gardien, et sa venue parachève une semaine merveilleuse. Elle a obtenu tout ce qu’elle voulait, son favori sur le trône, un territoire adéquat, et l’assurance que la couronne s’engagera pour longtemps en Irak, ce patchwork donc dont elle assemble et raccommode les pièces de toutes ses forces depuis cinq ans.
Ils viennent de fonder le Moyen-Orient moderne, en une semaine, » le temps qu’il a fallu à Dieu pour créer l’univers « .
Ici en bref




Du côté des critiques
Du côté des blogs
Questions pratiques

Olivier Guez – Mesopotamia
X: @olivierguez – Instagram : @guezoli
Éditeur : Grasset
X : @editionsgrasset Instagram : @editionsgrasset
Parution : 21 août 2024
EAN : 9782246818953
Lecture : Juillet 2024

https://netsdevoyages.car.blog/2017/04/29/gertrud-bell-archeologue-aventuriere-agent-secret-christel-mouchard/
Pas si inconnue que cela : j’avais bien aimé la biographie de Christel Mouchard.
Ce personnage m’intéresse je note Mesopotamia
Je serai curieuse d’avoir ton retour après lecture de celui-ci car je pense que des deux portraits sont brossés différemment, du moins à la lecture de ta chronique …
Olivier Guez semble plus critique et analyse plus son implication géopolitique dans la construction du Moyen-Orient ! A suivre donc !
@Matatoune : je viens de retrouver dans ma liseuse Queen of the Desert : the extraordinary Life of Gertrud Bell de Georgina Howell que j’avais téléchargé en même temps que le Christel Mouchard. Je vais peut être aller faire un tour avant d’acheter le Guez
Très bien ! J’aurais plaisir à lire tes retours !
C’est un roman que j’avais repéré et qui a l’air passionnant !
Je le recommande ! Merci d’être passée ici 😉
Un roman qui me fait envie, je vais voir s’il est encore disponible. Bon week end
Un vrai roman historique qui redonne 7ne visibilité à une femme oubliée !
Bonjour Matatoune. Ta chronique me donne envie d’en savoir plus sur cette Gertrude Bell. Bonne journée
Une femme assez particulière, en effet ! Bon week-end 😉
merci pour la présentation. Bisous bonne journée
Un roman à découvrir sur une feuille.le hors-norme oubliée de l histoire !
Bon week-end 😉
Voilà un livre pour moi.
Alors, j’attend la chronique 😉