En guerre – Stéphane Brizé

En guerre – Stéphane Brizé

Sortie : 16 mai 2018

8 nominations au Festival de Cannes 2018
Vincent Lindon, Mélanie Rover, Jacques Borderie, David Rey, Olivier Lemaire

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La fermeture de l’usine Perrin malgré les bénéfices annoncés provoquent la colère des salariés qui décident de s’engager dans un bras de fer avec leur direction pour sauver leur outil de travail.

Les chaînes en continu couvrent l’événement. C’est ainsi que commence le film de Stéphane Brizé. Puis, caméra à l’épaule, le réalisateur montre, au plus près des visages et des corps,  l’évolution de cette négociation : doutes, avancées, reculades, division du front unitaire, espoirs, joie, fatigues, colère etc. Il rassemble à côté de Vincent Lindon (La loi du marché) de « vrais » salariés. Réalisé en seulement 21 jours, l’urgence et la tension sont palpables en usant de ralentis et d’une musique mettant au paroxysme ce que l’écran montre.

Beaucoup d’avis ont déjà salué tout l’intérêt d’aller voir ce film! Alors, lorsque j’ai retrouvé écrit dans un blog ce que je pensais, je me suis demandée ce que j’allais pouvoir ajouter de plus dans la mienne. Très gentiment, Smadj m’a conseillée de revenir à mes émotions! La chronique qui meurt et ne se rend pas!  

Mes émotions ont été nombreuses tant le film renvoie à des réalités connues.

Pour rappel, il y a quelques temps et sur nos écrans l’usine Whirpool, si médiatiquement connue pendant cette dernière campagne d’élection.  L’usine a fermé définitivement le jeudi 31 mai 2018 après dix-huit mois de lutte syndicale.

Il y a eu aussi l’affaire dite de la « chemise arrachée » à Air France en 2015 où un gouvernement social démocrate a donné l’autorisation de judiciariser un débordement ce qui a permis d’invoquer la violence en réunion. Quatre d’entre eux ont été condamnés en Cour d’Appel ce 23 mai 2018 à des peines de trois à quatre mois de prison avec sursis et 500 € demandés à huit autres prévenus accusés de dégradations.

Donc, le film En guerre est une fiction sur une réalité que nous connaissons bien puisqu’elle inonde nos écrans, entre un reportage sur l’anniversaire de la Reine d’Angleterre et la naissance d’oursons dans une région française ! Malgré nous, voyeur multi médiatisé, nous sommes comme anéantis devant tant d’informations. Du coup, l’émotion brute submerge la capacité de chacun à réfléchir et la « loi de celui qui dit » fait opinion pour le plus grand nombre!

En montrant des individus derrière les images d’infos en continu, Stéphane Brizé nous force à prendre position.

Je me suis dandinée sur mon siège devant les jeunes cadres qui ressemblent tellement à ceux qu’on nous présente actuellement, toujours « très propre sur eux », mais débitant un langage sans vie avec une hargne si dense qu’elle me transforme en furie, d’un coup, dans ma cuisine !

Je me suis surprise à avoir de l’empathie pour ce patron d’un autre âge, lui aussi complétement dépassé par des injonctions auxquelles il ne croit plus. Pourtant, il fera le job coûte que coûte, espérant même être remercié un peu plus tard avec un beau pactole!

J’ai eu envie de leur crier d’écouter ce cadre qui leur expliquait de rester unis.

J’ai eu mal aux tripes dans ces scènes de ralentis où on envoie les CRS pour faire sortir les manifestants ou casser un piquet de grève.

Je me suis pris à espérer à une nouvelle internationale syndicale : Salariés de tous pays, unissez-vous ?

Et, puis, il y a ce politique qui en fin de carrière se voit être médiateur d’un conflit où il n’y peut strictement rien.  Mais en terme d’images, cela peut devenir catastrophique si jamais ça dérape ! J’ai compris combien il est facile de ne plus croire en rien et de penser que voter ou pas, c’est pareil !

J’ai été énervée, souvent, devant l’entêtement et la naïveté du personnage qu’interprète Vincent Lindon ! Qu’attendait-il à vouloir à tout prix rencontrer le directeur monde ? Le fossé qui les sépare est un abîme qu’une table de négociation ne pourra jamais combler! Croire à notre époque qu’une parole puisse être tenue car elle a été prononcée et qu’on y a cru ! Franchement, le syndicat CGT n’est pas présenté à son avantage !

Cet acteur me fait penser à Renaud dans Germinal, qui, à l’époque, s’était complétement pris au jeu de son rôle. J’ai eu beaucoup de mal à croire à son authenticité et à son engagement  pour la cause populaire. Par contre, il sait parfaitement se fondre dans son personnage quitte à oublier complétement qui il est.

Ce que nous présente Stéphane Brizé dans En guerre est un constat assez terrible mais nécessaire. Il nous donne une lecture du monde qui nous entoure avec un regard désabusé qui n’attend rien, qui ne donne aucune solution, qui fait voir uniquement pour faire comprendre. L’impact médiatique de la scène finale fait basculer le fond. Mais, est-ce une victoire ? Alors, que faire ? Juste gardez les yeux ouverts, on risque d’en avoir bien besoin !

Juin 2018