Le déjeuner des barricades – Pauline Dreyfus

vagabondageautourdesoi-lecture-wordpress-_09_24_11_Pro.jpgLe 22 mai 1968 est la pire journée de la période de Mai 68. C’est cette journée que Pauline Dreyfus décide de raconter mais dans le palace Meurice à deux pas des barricades mais sur la rive droite. Mais, la veille, les employés  ont décidé de s’autogérer : « Personne n’avait songé que l’autogestion rendait autant prisonnier que libre ». De plus, ce jour là doit se dérouler le repas de remise du prix Nimier (un gros chèque pour un jeune écrivain prometteur: Patrick Modiano, cette année là! ). Le prix est organisé par Florence  Gould depuis 1962. Comme Paris est bloqué, les personnes invitées ne pourront être présentes. Du coup, Mme Gould aura la géniale idée d’inviter les résidents de l’hôtel: Salvador et Gala Dali, entre autres et un notaire de province venu mourir dans ce palace.

Juste un arrêt sur ce personnage de notaire, Aristide Aubusson. Pour moi, ce personnage  incarne le lecteur, le mortel de service qui, par sa passion, côtoie les immortels que sont les personnages de roman inspirés de personnes réels, comme ceux-ci ou des héros  de pure fiction. Je me suis retrouvée dans sa description : sa chambre située sous les toits sans ascenseur, comme lorsque j’accompagnais ma mère dans l’hôtel particulier de 3 étages situé sur Boulogne quartier Auteuil quand elle en faisait le ménage et que, témoin épisodique de ce monde, je jouais des heures durant à la riche princesse! Aristide Aubusson va côtoyer un monde dont il n’aurait jamais imaginé son existence et va pouvoir échanger son ressenti au jeune auteur pour lui communiquer un événement qui deviendra beaucoup plus tard objet de roman, Dora Bruder. La boucle est bouclée!

Je ne connaissais pas, Mme Gould, appelée Madame Racine, du nom du personnage sur les billets de banque qu’elle distribue à chacun. « Cette idée redonne le sourire à Florence, qui ignore ces détails sinistres (…) mais sait déceler à une paire de chaussures fatiguées et au frétillement devant un rectangle homologué par la Banque de France, le besoin. Il est réconfortant de savoir qu’on fait le bien autour de soi. »

J’avais oublié Dietrich von Choltiz, devenu personnage de fiction dans Paris brûle-t-il ? ou Diplomatie: « Lui qui a rasé Sébastopol, qui a en partie détruit Rotterdam, ce militaire admirablement noté, ce militaire admirablement noté, ce soldat dont la hiérarchie n’a jamais douté, ce général qu’on sait dépourvu d’États d’âme, ce Dietrich von Choltiz va,chose inouïe, désobéir ».

Je ne savais pas le passé de collabos des invités et de la patronne. « Ce grand garçon veut se souvenir de tout quand eux voudraient , au contraire, oublier. Pourquoi s’acharne-t-il à gratter une plaie qui a l’air de cicatriser enfin? « 

J’ai reconnu cette classe sociale, soucieuse d’étiquette et de respect des valeurs, qui pendant une journée entière va continuer à faire vivre l’ordre social établi malgré son envie de révolution.

Et, puis, il y a le  le romancier, celui qui manie les mots pour créer des histoires. Attachant, beau, jeune, lunaire! Il n’a que vingt-deux ans et pourtant il devine que les bons lecteurs sont rares; et qu’on ne perd jamais son temps à épuiser leur curiosité. Oh, le terrible aveu!

Ce roman est truculent tant il dépeint justement cette mini société figée dans son unité de lieu et de temps alors qu’à l’extérieur, le monde est violent et incertain. N’est-ce pas ce que procure la littérature pour nous, lecteur, juste une bulle d’air dans un ciel de tempête. J’ai souri, souvent! En bref, j’ai aimé! Et, puis, de toutes façons, je rêve encore de prendre un goûter dans un palace, car pour le diner ou la nuit, c’est inenvisageable!

 

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