Adeline Dieudonné – Reste

Reste d’Adeline Dieudonné est le récit de l’émancipation d’une femme concernant ses schémas habituels de la relation amoureuse entre un homme et une femme.

À partir d’une situation plutôt abominable, la proximité du cadavre de celui qu’elle aime, l’écrivaine, à l’écriture instinctive, parle de représentations que les femmes ont construites au fil du temps et qu’il est nécessaire de rompre pour aborder la reconnaissance de ses envies, désirs et connaître la plénitude.

Avec deux lettres écrites pour la femme de M, la narratrice raconte sa vie de femme passée, son vécu de mère avec sa fille Nina, sa rencontre avec son amant et les huit années où cet amour l’a nourrie. Au cours des jours où la narratrice chemine avec le cadavre de M, elle le vampirise, physiquement et mentalement, pour mieux s’en libérer et le laisser partir.

Il est évident que la manière dont Adeline Dieudonné s’approprie, avec ses mots, un corps qui n’a plus de vie est à la limite du supportable. De façon provocatrice, elle n’exclut aucun détail de l’état de délabrement de ce corps que sa narratrice continue à adorer. Le lecteur, dans la position du voyeur, ne peut qu’assister à cette folie solitaire que certains ont qualifiée d’amour sublime.

En décrivant la douleur qui trouble, le rapport avec la mort est présenté froidement et à distance, comme laver le corps, dormir à ses côtés, etc. en cherchant à émouvoir. Ainsi, j’ai eu l’impression qu’Adeline Dieudonné apprivoisait avec l’écriture le vide de l’être aimé qu’elle avait, semble-t-il, peu vécu.

Mais, au-delà de ces aspects qui qualifient ce récit de thriller, où Adeline Dieudonné souhaite entraîner vers la douleur de l’absence, c’est l’univers de la solitude d’une femme que l’on découvre. Pour la première fois peut-être, elle est enfin seule avec celui qu’elle aime, seule à décider et à faire comme elle veut, quand elle veut. Son amant et sa relation d’amour lui appartiennent alors complètement. De la soumission que la narratrice raconte lors de ses précédentes relations, à la révélation de ses désirs avec M, elle découvre alors la liberté d’aimer. D’autres personnages viennent soutenir cette initiation. Celui de la survivaliste de la forêt est le plus inattendu.

Lorsqu‘Adeline Dieudonné libère la laisse stylistique de la bienséance, du politiquement correct de son élocution, son écrit devient jubilatoire, libérant la colère qu’elle cherche tant, à cacher par les situations révoltantes qu’elle raconte. À quand un roman qui laisserait cette forme d’expression s’épanouir !

Reste de Adeline Dieudonné est un roman en passe de devenir un vrai best-seller, que j’ai eu plaisir à découvrir avec une portée particulière bien au-delà du thriller annoncé !

Puis quelques extraits

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La terreur du silence blasé, du désir sec.

Je ne risque jamais autant que quand je me rappelle la fragilité de la vie, comme s’il était urgent de trouver de la distance, de créer un champ de force.

Et son mec inutile, en train de barboter comme un abruti. Comment faisait-elle pour ne pas le détester ? Elle le détestait, j’en avais la certitude. Elle ne se l’avouait pas encore, c’est tout.

Que je passais d’homme en homme depuis mes dix-huit ans, comme on saute de rocher en rocher de peur de tomber dans l’eau.

On nous vend ça comme les plus belles semaines de notre vie, on appelle ça un « congé », veinardes que nous sommes. Et moi j’y avais cru. J’avais imaginé des journées à ronronner, l’enfant tendrement endormi dans son couffin en osier, le soleil oblique éclaboussant un plaid en cachemire blanc, l’odeur de la lessive fraîche, moi m’abandonnant aux œuvres complètes de Dostoïevski en écoutant Bach. Mon cul.

Les années avec Romain sont des années d’oblitération. Si je voulais en parler avec douceur, je dirais que j’avais dressé un rideau de velours épais à l’intérieur de moi, derrière lequel j’avais caché mes besoins, mes aspirations, ma créativité. Derrière lequel je m’étais effacée. Si je voulais en parler avec plus de dureté j’évoquerai un cachot.

Je ne pense pas qu’on m’ait appris à me taire. Simplement, on ne m’a pas appris à parler. Et on m’a dissuadée d’essayer. J’ai compris très tôt que pour être aimée des hommes il fallait éviter de leur prendre la tête, d’éviter d’être une chieuse, une grande gueule, une mégère.

On nous demande d’être fragile et menue De ne pas prendre trop de place. On nous demande d’être des biches et j’ai toujours été un poney.

Et encore,

Trente kilos de différence, ce n’est rien. Ça n’est pas un sanglier, c’est juste un homme. Et moi je ne suis pas une biche. Mais depuis toujours on m’a répété que les hommes sont plus forts, dangereux. Les femmes sont les victimes, les hommes les agresseurs. Et moi je n’ai pas osé vérifier.

Si ce n’est pas grave, c’est qu’il ne s’est rien passé. S’il ne s’est rien passé, le sanglier n’existe pas. C’est fou le pouvoir que j’ai. Si je décide qu’il ne m’a pas violée, le viol n’a pas eu lieu. C’est magique. Pas de douleur, donc pas de victime, donc pas de crime. Circulez.

En m’interrogeant continuellement sur mes besoins, il m’avait appris à m’y intéresser, à les autoriser. À m’autoriser. Il me laissait de l’espace sans laisser de vide. Je me suis solidifiée à son contact, un noyau s’est formé au centre de la matière molle.

Et encore, encore

On ne peut pas tout avoir, fille sexy en short, socialement, c’est énorme, déménagements gratuits, examens oraux réussis, contrôles techniques finger inzenoze, promotions canapé, époux milliardaires – » d’ailleurs un jour tu me quitteras pour un plus riche » : n’oublions jamais la nature vénale de la fille sexy en short.

Et le  » Attends, j’ai envie de prendre mon temps » n’a pas trop la côte en ce moment. Peut-être que ça viendra. Peut-être qu’on gagnera cette liberté-là aussi.

On a donc fait l’amour pour la première fois, un peu partauds, inquiets. J’ai rentré le ventre, espéré que l’éclairage ne dénoncerait pas mon penchant pour la crème caramel, que je n’aurais pas l’air trop délurée, ni trop peu, que je présenterai la juste quantité de poils, de chair, d’enthousiasme. Comment on jouit dans tout ça ?

Je ne crains pas les hommes, je prends mon propre penchant pour la subordination.

Évacuer la mort comme tirer la chasse.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

vagabondageautourdesoi;com - Adèle Dieudonné -
Incipit
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Un extrait
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Puis le dernier

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Adeline Dieudonné – Reste

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Parution : 6 avril 2023

EAN : 9782378803544

Lecture : Avril 2023

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25 commentaires

    • Je suis dubitative face à cette écriture instinctive ! Se laisser aller sans introspection sur ses écrits est un peu difficile à envisager, pour moi, mais le lecteur n’est pas obligé de faire pareil. Alors pour moi, ce roman est bien là prise de conscience d’une femme de 45/50 ans sur sa condition de femmes. 😉

    • Non, pas dur mais étrange et particulier, oui. Mais c’est aussi la marque de l’écrivaine qui décrit toujours des univers troubles ! Bonne soirée 🙂

  1. Je n’ai jamais eu envie de lire ses livres et ce n’est pas ce roman qui va me faire changer d’avis, ça a l’air franchement sinistre et malsain. Bonne journée

    • Sinistre, oui. Pour l’écrivaine c’est l’amour fou qui pousse sa narratrice a garder l’homme qu’elle aimait pour elle repoussant au fil des jours le moment de s’en séparer. C’est particulier, c’est vrai 🙂 Bonne soirée !

  2. Bonjour Matatoune. J’ai lu et apprécié « La vraie vie » mais celui-ci ne me tente pas si l’héroïne vit à côté d’un cadavre. Bonne journée

    • Pour l’écrivaine c’est l’éloge de l’amour puisqu’elle n’accepte pas pendant quelques jours que d’autres le touche et garde ce corps pour elle seule. Un amour particulier. Bonne soirée 🙂

    • C’est vrai que les descriptions de ce cadavre sont difficiles. On présente cette histoire comme une histoire d’amour, ce qui n’a pas été mon ressenti !

    • C’est mon premier. J’avais été frappée lors de la parution de ses précédents par sa façon très détachée d’en parler. Et, maintenant que j’ai lu celui-ci et après l’avoir vu le présenter à la grande librairie, je suis très étonnée par son écriture instinctive et le peu d’introspection sur celle-ci. Étrange, quand même 🙂

      • je ne l’ai pas entendue à la grande librairie, je vais voir si c’est possible en replay. Je l’avais rencontrée chez l’éditeur lors de la parution du premier roman, du coup difficile de dire comment elle abordait son travail, une premier roman est toujours quelque chose de compliqué j’imagine

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