Heinz Linge – Jusqu’à la chute

vagabondageautourdesoi.com - Heinz Linge - Heinz Linge a passé dix ans au service d’Hitler en tant que majordome. Auprès de lui dès 1934, à l’âge de vingt et un ans, il jure de le servir jusqu’à la mort et fait partie de l’unité d’élite chargée de sa protection.

Après le suicide de son chef le 30 avril 1945 à 15h45, le commandant SS Heinz Linge met le feu à sa dépouille et celle d’Eva Braun, à l’extérieur du bunker, suivant les ordres d’Hitler. Fait prisonnier pour crimes de guerre par les Soviétiques, il compose un dossier important sur le dictateur pour Staline lui servant certainement de base à cet écrit. Ces mémoires sont publiées par un éditeur néerlandais en juin 1980, peu de temps après sa mort à l’âge de soixante-six ans.

Pour la première fois, les mémoires d’Heinz Linge sont publiées en France. Commentées par l’éclairage de Thierry Lentz, ces pages décrivent l’intimité du chef nazi, sa garde rapprochée, la présence d’Eva Braun, ses attitudes face à son entourage selon les différentes situations et au cours de l’évolution de la seconde guerre mondiale, ses marottes et au fil du temps, son isolement et la dégradation de sa santé.

En deux parties, Heinz Linge rapporte le quotidien d’un homme proche de la cinquantaine tranquille dont on peine à croire qu’il instaure une dictature extrêmement totalitaire, antisémite et xénophobe, de plus responsable de l’extermination de plus de cinq millions de personnes.

Alors…

Ce qui frappe en premier, c’est l’immodestie de cet homme qui se compare à un général du temps de Frédéric Le Grand. Du coup, malgré les années passées, on comprend que pour lui le mythe du « guide » reste intact.

Plusieurs fois, le livre tombe des mains. Comme lorsqu’Eva Braun arrive à ne pas faire fermer les coiffeurs au prétexte que les soldats, de retour du front, aiment voir leur femme bien coiffée !

La nausée n’est jamais loin. Comme lorsque le sort des juifs de Lodz et de Lubin est évoqué. Car, au fil des pages, malgré l’admiration béate et naïve du jeune homme pour l’homme qu’il servit si adroitement, la perversité du personnage transparaît.

Son culte de la vie saine avec son régime végétarien auquel il ne déroge jamais, l’interdiction de fumer en sa présence, ses quatre-vingt-treize remèdes différents journaliers qu’il lui faut absolument prendre, sa demande d’heure incessante et répétée,  son exigence pour sa mission, son hypercontrôle de tous les instants y compris lorsque la maladie de Parkinkson apparaît, etc., tout ceci est la partie visible de l’iceberg de la manipulation et de l’emprise sur lui-même comme sur son entourage qui ira jusqu’au la volonté de dominer le monde.

Car, lorsqu’Heinz Linge passe en revue les différents subalternes (Göring, Hess, Goebbels, Himmler, Speer, Ribbentrop, Lammers, Meissner et Borman), il ne peut s’empêcher de souligner combien Hitler s’amusait des guerres internes en son clan.

Dans la seconde partie, la maladie prend le dessus et l’isolement du chef devient de plus en plus problématique pour l’accomplissement de sa mission, que lui-même, comme le souligne Heinz, définit comme investi d’une mission qui doit conduire à la victoire avec l’appui de la providence !

Ses maux d’estomac récurrents malgré les différentes médications, la manière trop personnelle de s’investir dans la guerre à l’Est puis l’opération Walkyrie, cet attentat raté du 20 juillet 1944, tout ceci annonce bien la chute où Hitler est privé de l’aura qui le nourrissait.

En conclusion,

Difficile de présenter ces mémoires de plus de trois cents pages en quelques lignes !

Cette lecture, aidée des notes très factuelles de Thierry Lentz, est à découvrir pour apporter un éclairage intime sur le monstre du début de notre XXè siècle. D’autres se sont présentés au fil du temps, jamais avec autant d’à-propos que celui-ci.

Car, cet homme que décrit Heinz Linge, aimable, rayonnant et charmant, a rencontré des hommes qui ont cru à son délire, à sa paranoïa destructrice, et lui ont donné une scène, un avenir qui n’a amené que destruction, haine, mort et souffrance indicible.

Toujours être sur ses gardes par rapport à la folie d’un homme qui sait si bien épouser les nuances de son temps, les mirages de l’envie et de la vengeance, les promesses d’un renouveau et la simplification du monde !

Remerciements

Pour Marlène des @editionsPerrin pour #Jusquàlachute de #HeinzLinge et @ThierryLeinz

Puis quelques extraits

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Dans cette fonction, je devais me tenir en permanence auprès de lui et l’accompagner chaque fois qu’il quittait sa résidence – dont la bonne tenue était par ailleurs placée sous ma responsabilité. J’avais sous mes ordres, dans cette fonction, les serviteurs, les ordonnances de table, les intendants et tout ce qui le touchait personnellement.

À la question que je me posais souvent de savoir la raison qui forçait chacun à se soumettre à lui, je n’ai jamais eu de réponse.

Comment aurais-je pu ne pas tenir Hitler pour un génie irremplaçable en voyant et en entendant tous les jours avec quel respect et quelle dévotion sans bornes les grands du Rech – et pas seulement eux le vénéraient.

Hitler déclarait souvent que si la Providence ne l’avait pas destiné à être le Führer du peuple allemand, il serait assurément devenu un créateur de pointe dans le domaine de la construction, ce qui – comme il se plaisait à le souligner – lui aurait épargné les ennuis et les soucis auxquels il se trouvait à présent constamment confronté.

Ses pensées et ses actes ( et non le coût) tournaient seulement autour de l’architecture qui devait pour lui jouer un rôle central dans la politique culturelle, servir aussi de symbole pour la vitalité de Nouvel Empire allemand, à des fins de propagande naturellement, et faire apparaître le IIIe Reich comme le règne de la reconstruction nationale.

(…) je ne pouvais donc pas nourrir de telles ambitions et Hitler avait assurément d’autres idées que Frédéric Le Grand à cet égard, mais j’étais toujours convaincu que grâce au Führer, je pourrais marcher d’un pas assuré dans la vie et vivre sans trop de soucis le reste de mes jours, une fois quitté mon service.

Par exemple, tout en s’intéressant au pied foulé d’une secrétaire comme un père veillant sur son enfant, il ne manifestait parallèlement aucun sentiment lorsqu’il ordonnait des actions qui devaient avoir des milliers de morts comme conséquence.

Et encore,

Il voyait dans le tabac une «vengeance de l’homme noir  » contre l’homme blanc qui lui avait « apporté l’eau-de-vie » et causer de terribles dommages.

Un Führer marié ou attaché de quelques façons à une femme – Hitler le disait en tout cas souvent – aurait dû renoncer à une partie de sa clientèle politique féminine.

 » J’utilise les crayons rouges lorsque je prends des notes sur un ennemi, les verts s’il s’agit de quelqu’un avec qui je suis lié d’amitié, et les Bleus lorsque je sens qu’il est préférable d’être prudent. »

Même les chefs militaires – normalement habitué à des heures très clair et concis – devaient parfois passer une ou deux heures d’explication, sans savoir vraiment, au bout du compte, quelles étaient les intentions du Führer.

Quand on connaissait Hitler, on savait aussi qu’il encourageait les rivalités ou du moins qu’il les tolérait parce qu’il voulait savoir qui s’imposeraient finalement.

Des personnes capables mais dotées d’une volonté vacillante, de nerfs fragiles et de peu de résistance avaient normalement peu de chance de finir en haut du tableau.

Je savais qu’après 1933 beaucoup de gens avaient été envoyés en camp de concentration – mais il était alors établi pour moi qu’il s’agissait uniquement d’adversaire politique du nazisme et de criminels de droit commun.

Il n’avait qu’un principe dirimant : « la fin justifie les moyens. »

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Incipit
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Un extrait: Les discours
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Puis un autre,
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Et, le dernier.

Du côté des critiques

Géo

Questions pratiques

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Heinz Linge – Jusqu’à la chute

Annotations : Thierry Lentz

Traduction : Denis-Armand Canal

Twitter : @ThierryLentz

Éditeur : Perrin

Twitter : @EditionsPerrin  Instagram : @editions.perrin

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Parution : 23 mars 2023

EAN : 9782262096199

Lecture : Mars 2023

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16 commentaires

  1. Thierry Lentz est un historien brillant. Il avait aussi écrit le diable sur la montagne à propos des séjours de plus en plus long d’Hitler au Berghoff. Je pense que je lirais ce livre de Heinz Linge, avec le recul nécessaire car bien souvent ces hommes nuancent leurs rôles auprès d’Hitler et son entourage. Il y a quelques années j’ai lu les mémoires d’un des gardes du corps d’Hitler, Bernd Freytag von Loringhoven. Il faut faire le tri du vrai du faux.

    • Oui tout à fait d ‘accord, il faut bien connaître la période ce qui n’est pas encore mon cas. pour démêler le vrai du faux. En tout cas, ici,
      le témoignage vient de quelqu’un de l’entourage proche. Étonnant quand même !

      • Le livre de Klarsfeld sur la traque des nazis montre cette duplicité d’hommes qui ont tendance à expliquer leur « modeste » rôle : il ne savait pas, il ne faisait qu’obéir, ou comment réécrire l’histoire. C’est une constante dans les ouvrages écrits par des généraux, officiers de la Wehrmacht qui ont bâtis le mythe d’une Wehrmacht différente de la SS et ne participant pas aux crimes. On sait que tout cela est faux. Les erreurs stratégiques militaires, l’acquiescement aux directives génocidaires du régime nazi, tout était la faute du dictateur. La falsification de l’histoire a duré longtemps. Une nouvelle génération d’historiens a soulevées ces zones d’ombres. Toujours passionnant d’échanger histoire avec toi. Beau weekend Matatoune 😉🙂✨

        • Ici, ce n’est pas le cas ! Le majordome ne nie rien, mais en décrivant un homme presque ordinaire, on doit se « pincer » pour se rappeler la nature de ses actions. Cette technique de défense des ex-nazis, je suis d’accord, ont permis à bcp d’échapper à leurs responsabilités. On ne peut nier qu e la société allemande apres guerre, et ailleurs, par exemple aux Usa pour la conquête spatiale, à été « infiltree » par ses ex-nazis qui ont joué la carte du  » moi pas responsables » , Et comme tu le dit, la nouvelle génération d’historiens avait les coudées plus  » franches » pour énoncer la vérité historique.
          Je vais me plonger dans Réactions françaises : Enquête sur l’extrême droite littéraire de François Krug et en parlerai bientôt .
          Merci à toi de passer ici régulièrement et de déposer tes commentaires si encourageants. Bonne continuation

    • Un récit qui met très mal à l’aise, mais nécessaire si on s’intéresse à cette période!

    • C’est la vision de son majordome et c’est vrai qu’il raconte une personne préoccupée, obsédée plus tôt, par sa santé et aimant l’ordre attisant les uns contre les autres, mais passe sous silence ses fureurs, sa paranoïa, son antisémitisme, etc…

    • Difficile de dire que cette lecture est enrichissante vu le sujet, pourtant c’est la réalité !

    • Je crois que ce témoignage est à découvrir pour essayer encore et encore de tenter de comprendre ce qui s’est passé 😉

    • Ça se lit facilement! Au contraire, quelquefois, il faut se pincer pour se dire qu’il parle d’un homme qui a été monstrueux avec ses semblables !

  2. Un document historique certainement passionnant quand on cherche à en savoir plus sur cette période sombre de l’histoire européenne… J’avoue préférer lire des fictions. Merci de cette présentation !

    • La fiction quelquefois dépasse en vérité la réalité, c’est vrai ! Mais, j’avoue trouver vraiment passionnant ce récit de son intimité !

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