Uwe Wittstock – Février 33

L’hiver de la littérature

Rentrée littéraire hiver 2023

vagabondageautourdesoi.com - Uwe Wittstock - Journaliste, critique littéraire et éditeur, Uwe Wittstock publie son premier essai sur la façon dont le pouvoir nazi a muselé les arts en quelques jours, En reprenant le fil chronologique de ce mois si particulier, où la grippe espagnole sévit encore, Février 33 détaille comment le milieu littéraire fut contraint soit de se taire, soit d’émigrer. Et pour ceux, qui malgré tout, n’ont fait ni l’un ni l’autre, fin février 33, la prison et la déportation étaient leur destinée.

Février 33 devait être le mois de la campagne électorale, les élections étaient programmées le dimanche 5 mars. Seulement, Hitler est chancelier et Goering, chef de la police intérieure. Comme le démontre Uwe Wittstock, il a suffi de trente jours, seulement, pour casser ce que l’esprit artistique riche et inventif avait créé, à partir notamment du courant expressionnisme.

À partir d’un déroulé chronologique, Uwe Wittstock présente une galerie de romanciers, scénaristes et auteurs de pièces de théâtre qui ont fait la richesse du milieu artistique du Berlin des années 30.

On suit notamment la famille élargie de Thomas Mann, après avoir reçu le Prix Nobel en 1929. Ses publications sur le danger des régimes fascistes l’obligeront à l’exil. Son frère Heinrich était président de la section Poésie de l’Académie des Arts de Prusse. Contraint de démissionner, il est expulsé rapidement d’Allemagne. Ses deux enfants aînés, Klauss et Katia, déjà bien implanté dans le milieu artistique, devront eux aussi s’exiler.

Ce sont de nombreux artistes que Uwe Wittstaock présente en décrivant des instants de leur vie : Leonhard Franck, écrivain, Berthold Brecht, dramaturge, Käthe Kollwitz, sculptrice, Wilhem Herzog, historien de la littérature allemande, Erich Maria Remarque, écrivain, Vicki Baum, même si son film Grand hôtel triomphe à Berlin, elle ne reviendra jamais, Ödön von Horàth, dont les œuvres furent brûlées, Egon Erwin Kisch, journaliste tchécoslovaque, tant d’autres encore ! Le destin de Carl von Ossietzky, journaliste, éditeur, éditeur du magazine La Scène mondiale est symptomatique. Il voulait rester pour témoigner. Dès le 28 février, il est arrêté. En 1936, il obtient le Prix Nobel pour ses écrits de 1933.

Chaque jour, Uwe Wittstock redonne vie à ce milieu.. Il décrit l’évolution de la mainmise du pouvoir nazi, l’effacement des droits fondamentaux et la puissance de la répression. Il raconte les bassesses, les petits renoncements, les humiliations mal digérées, les espoirs trop longtemps contrecarrés qui vont porter certains artistes vers l’adhésion ou le consentement passif au pouvoir nazi.

Cet essai est passionnant. Non seulement, il décrit ce qu’était ce milieu intellectuel mais le rapide changement à l’œuvre. Ce sont des faits, des situations, des événements qui sont racontés avec une précision documentaire remarquable.

Le plus pesant est ce décompte fait en fin de chapitre pour clore la journée racontée. Au fil des jours, les violences deviennent de plus en plus nombreuses, de plus en plus meurtrières.

L’essai romancé Février 33, l’hiver de la littérature de Uwe Wittstock n’est pas uniquement réservé aux amateurs d’histoire. Il met en relief le milieu littéraire du siècle dernier. Des hommes et des femmes vont nourrir leurs œuvres de l’exil, de l’enfermement et du silence imposé. Toute la littérature du XXè siècle sera influencée par ce mois terrible où la liberté s’est enfuie de l’Allemagne.

Remerciements

@EdtionsGrasset et @NetGalleyFrance pour #fevrier93 de @UweWittstock

Puis quelques extraits

cite-56a4b9b45f9b58b7d0d8877b

Au fond, L’identité de l’homme qui succédera à Schleicher à la chancellerie ne le concerne plus du tout, pas plus que de savoir si ce bal était la dernière danse de la République.

Un critique reprochant à Papen d’avoir livré le pays à un dictateur, il répond: « Que voulez-vous donc ? Dans deux mois, nous aurons tellement coincé Hitler qu’il se mettra à couiner. »

 » Et tout cela va durer beaucoup plus longtemps que vous ne le pensez. Mais chacun d’entre nous peut faire en sorte de ne jamais tendre ne fût-ce que le petit doigt à ceux qui ont désormais le pouvoir.  » Carl von Ossiertzky

Comme si un assassinat était un délit mineur.

En dépit des apparences, le discours d’Hitler ne révèle rien de concret sur son programme. Une mise au contraire sur les métaphores pompeuses et la sonorité de grands mots qui scande comme autant de signaux, quitte à prononcer des phrases dépourvues de sens.

Les termes qu’il emploie de lui paraissent jamais assez grandioses: respect, salubrité, peuple, entité ethnique, populaire, communauté du peuple, et revenant toujours et constamment: allemand, allemand, allemand.

Le populisme qu’est Hitler brosse à l’intention de son auditoire le tableau fantasmatique d’une  » communauté du peuple  » organique dans laquelle toutes les nuances et toutes les individualités se dissolvent au sein de collectifs monolithiques comme « le » paysan allemand et « le » travailleur allemand, ou en concepts indéfinissables, comme  » la » culture allemande et « les » grands hommes de l’histoire allemande.

Mais lorsque Cohn lui déconseille une fois encore, de manière très pressante, tout report de son départ, Herzog comprend que l’apparition des deux mouchards annonce un danger bien réel. Sa décision est prise aussitôt : même s’il donne l’impression de partir en catastrophe, il montera dans le train de nuit pour la France.

Et encore,

Manifestement, le policier n’est pas un nazi, il semble avoir de bonnes intentions à son égard. Il l’avertit : dès le lendemain, les autorités doivent lui retirer son passeport et une fois que ce sera fait, il ne pourra pas quitter l’Allemagne. Manifestement, les nouveaux maîtres du ministère de l’Intérieur ne veulent en aucun cas le laisser filer, ils veulent être sûrs qu’ils pourront l’arrêter à tout moment lorsqu’ils le jugeront nécessaire.

Comme beaucoup de ceux qui ont le sentiment d’avoir été laissés-pour-compte dans le passé ou d’avoir échoué face à des concurrents juifs, il sympathise avec les antisémites qui viennent d’arriver au pouvoir.

Mais tous les articles montrent le peu de cas que font les politiciens nationaux-socialistes des droits fondamentaux, seize jours après l’accession d’Hitler au pouvoir.

Il est difficile de formuler plus clairement un ordre d’ouvrir le feu. Ce décret transforme pratiquement toute personne n’appartenant pas à une organisation nationaliste en gibier à battre . Mieux vaut que la police tire une fois de trop que trop peu. Goering en assume personnellement la responsabilité. Il détache la police de ses ancrages légaux et en fait une brigade de guerre civile.

Pour certaines des personnes présentes, cette réception chez Bernhard sera jusqu’à nouvel ordre leur dernière fête à Berlin. Ils ont fait leurs bagages et ont pris leur billet de train. Ils supposent qu’ils ne devront passer qu’une brève période à l’étranger : il ne devrait quand même pas s’écouler beaucoup de temps avant qu’Hitler ait fait le sien. Mais la situation actuelle offre trop peu de visibilité : mieux vaut aller voir ailleurs.

Trente jours seulement après avoir prêté serment comme chancelier du Reich, Hitler a donc créé le socle légal de son pouvoir illimité. Il n’aura plus besoin que de la loi des pleins pouvoirs, promulguer quelques petites semaines plus tard, pour rendre le parlement définitivement superflu.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

vagabondageautourdesoi.com - Uwe Wittstock -
Incipit
vagabondageautourdesoi.com - Uwe Wittstock -
Un extrait
vagabondageautourdesoi.com - Uwe Wittstock -
Un autre extrait

Questions pratiques

vagabondageautourdesoi.com - Uwe Wittstock -

Uwe Wittstock – Février 33, l’hiver de la littérature

Traduit par Olivier Mannoni

Blog

Twitter : @UweWittestock Instagram : #uwewittstock

Éditeur : Grasset

Twitter : @editionsgrasset Instagram : @editionsgrasset

Facebook

Parution : 18 janvier 2023

EAN : 9782246831693

Lecture : Février 2023

Littérature contemporaine

Essais

Auteurs commençant par U, V, W, X, Y, Z

Chroniques littéraires

11 commentaires

    • Je pense que c’est un essai romancé à découvrir, tu as raison ! Bonne continuation

  1. Les artistes et écrivains allemands de cette période sont particulièrement brillants et ce livre est sûrement passionnant ! Heureusement la plupart d’entre eux se sont exilés à l’étranger…

    • Oui, mais du coup, je pense que leurs œuvres sont devenues toutes autres, comme celles de Thomas Mann !

  2. Je l ai demandé à la dernière MC sur Babéllo mais je recevrai un livre sur Marie Antoinette, pas vraiment la même époque. Je vais donc aussi le demander sur NG. Bonne soirée

    • J’avoue que Marie Antoinette m’intersse pas trop. Je serais curieuse de lire ta chronique 🙂 Bonne soirée

  3. Très tentée par ce récit qui complèterait bien Femmes bourreaux sur les femmes et le nazisme qui m’a passionné. Si il était moins épais je m’y lancerais tout de suite.

Répondre à laboucheaoreilleAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.