Polina Panassenko – Tenir sa langue

Rentrée littéraire 2022

Prix Fémina des lycéens 2022

vagabondageautourdesoi.com - Polina PanassenkoTenir sa langue, premier roman de Polina Panassenko, raconte son exil de sa Russie natale à la banlieue Stéphanoise,  à hauteur d’enfant. Le roman détaille notamment son acquisition de la langue lors de son intégration dans l’école de la République.

Brins d’histoire

Le point de départ du roman est le souhait de la narratrice de pouvoir utiliser son vrai prénom, Polinia, sur ses papiers administratifs et dans les démarches officielles qu’elle est amenée à poursuivre.

Car, l’administration, dans sa grande bonté (sic), lui a imposé la version française de son prénom en la baptisant Pauline.

Ce détail, à lui seul, révèle la violence du système. Et, parce qu’il faudra aller en appel, écrire un argumentaire pour faire infléchir une procureure, le lecteur mesure combien l’humanité a abandonné la justice.

On croyait qu’un vieux réac avait inventé une polémique pour faire le buzz en demandant à chacun de franciser son prénom. En fait, on découvre que cela existe et que la justice a déjà statué en argumentant qu’il faut faire des concessions pour devenir français. Quelle honte !

Parallèlement à cette quête, la narratrice de Polina Panassenko raconte son cheminement pour apprendre le français.

Elle décrit les sons, les odeurs mais surtout les images qui défilent dans sa tête lors de son arrivée à Saint-Étienne. Le magasin devient Kasino. Le repas que les voisins accueillant proposent devient Raklète et la maternelle qui l’accueille, un bloc noir où il faut dire tout le temps « Salut, Hibou !  » car « ça va » se traduit par l’animal en russe.

A tous les mots, la mère rajoute Tchik pour adoucir. Mais, les mots français s’échappent vides de sens ou au contraire, apportant absurdité et incompréhension.

Tenir sa langue de Polina Panassenko ne peut se raconter car elle y parle d’une langue que lentement se laisse approcher sans avoir à oublier celle de son grand-père, de sa famille et de son passé.

En conclusion,

Lorsque la poésie affleure de ce texte, Polina Panassenko, et avec elle ses semblables, triomphe devant notre suffisance. Et, ce texte où la colère n’est jamais loin, reste présent bien après avoir refermé le livre.

Premier roman très personnel, Tenir sa langue de Polina Panassenko raconte la langue de l’exil mais aussi de l’importance de la langue maternelle. Cette recréation est alors un renouveau de l’une et de l’autre. Beaucoup aimé !

Puis quelques extraits

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Une protestation silencieuse doit savoir être visible.

Moi aussi j’aimerais dire quelque chose. Participer. Il faut jouer sur le contraste. Ils sont forts d’être grands, je le serai d’être petite. J’œuvre les yeux, je lève les sourcils, je dis: C’est ici que nous allons habiter? C’est joli, on pourra quand même mettre un petit banc pour dormir ? Rires, attendrissement, caresse sur les cheveux. La tension retombe. Mission accomplie.

Plus de mots. Que des sons. La bouche de l’immense femme adulte en produit de toutes sortes.

D’ici là, je ne vais plus regarder leurs bouches. Je ne vais plus écouter les sons qu’elles font. Je vais attendre que ma mère revienne. Qu’elle revienne et qu’avec elle reviennent tous les mots.

J’ai fixé la ligne et le ciel jusqu’à ce que le bleu me suce les yeux.

Et encore,

La Muraille de Chine c’est un immeuble sublime. On dirait un immeuble russe. Un immeuble immigré.

C’est drôle de faire un exposé sur la sociologie des prénoms et de ne surtout pas parler des siens. C’est exactement ce qu’on a fait.

Elle a raison mon avocate. N’importe qui aurait pu se noyer. Est-ce que pour n’importe qui on aurait parlé de dette? Ah oui, dis l’avocate, mais ça, c’est un peu le cas de tous les émigrés, non ?

Ma mère aussi vieille sur mon russe comme sur le dernier œuf du coucou migrateur. Ma langue et son nid. Ma bouche, la cavité qu’il abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m’amène de nouveaux mots, vérifie l’état de ceux qui sont déjà là, s’assure qu’on n’en perd pas en route. Elle surveille l’équilibre de la population globale. Le flux migratoire : les entrées et les sorties des mots russes et français. Gardienne d’un vaste territoire dans les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue , elle veille au poste frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les Russes, parfois même copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrapes. En général, ils se piégeaient eux-mêmes. Il suffit que je convoque un mot russe et qu’un français accoure en même temps que lui. Vu! Ma mère les saisit et les décortique comme les crevettes surgelées d’Ochane-Santr’Dieu.

Et encore, encore

Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. Ce n’est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins.

À la fin d’année, je passe de Polina à Poline. J’adopte un e en feuille de vigne. Polonais à la maison. Police à l’école. Dedans, dehors, dedans, dehors.

L’accent c’est ma langue maternelle.

On déroule encore des rubans de mots mais dans tout ce qu’on dit il y a surtout ce qu’on ne dit pas, celle dont on ne parle pas, celle que la langue évite.

On a fait des rubans de mots dans le vide.

J’ai l’impression d’avoir fait rentrer mon nom dan le dictionnaire.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Premier extrait
vagabondageautourdesoi.com - Polina Panassenko-
2nd extrait
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Puis dernier

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Polina Panassenko – Tenir sa langue

Instagram : @polina_panassenko

Éditeur : Éditions de l’Olivier

Twitter : @EdLolivier Instagram : @editionsdelolivier

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Parution : 19 août 2022

EAN : 9782823619591

Lecture : Novembre 2022

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20 commentaires

    • Moi non plus ! Polina n’est pas dans le calendrier … et en plus, un officier d’état civil obtus 🙂

  1. Tu me donnes envie de découvrir ce livre, sur un sujet peu courant. On ne se rend pas toujours compte de la complexiié de notre langue pour les allophones.Bonne journée

  2. « Aie » (je cire en français – pour qu’on n’entend pas que je suis allemand…). Pas encore lu, mais sur ma liste, les sujets traités me touchent bcp.

    • J’aurais vraiment alors beaucoup de plaisir à lire votre retour. Ce livre m’a étonnée par la justesse de son propos. A voir si le ressenti d’une russe peut-être à rapprocher d’un allemand 🙂

  3. Bonjour,
    J’ai également beaucoup aimé ce récit très personnel qui met la langue au cœur du chemin de cette jeune femme.
    Merci de cette belle chronique
    Anne

    • J’ai vraiment été subjuguée par ce texte. Pour la première fois, j’ai approché le malaise ressenti par un enfant qui découvre une langue certes étrangère mais qu’au dehors, tout le monde parle 🙂

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