Abdourahman A. Waberi –

Dis-moi pour qui j’existe ?

Rentrée littéraire 2022

vagabondageauoutourdesoi.com - ABDOURAMAN A WABERI - Abdourahman A. Waberi m’a offert avec Dis-moi pour quoi j’existe ? un de mes premiers coups de cœur de cette rentrée littéraire 2022. Ce roman parle, bien sûr, de transmission, de cette culture multiple dont est issue cette petite fille, africaine par son père, sicilienne par sa mère et parisienne par sa naissance. Dis-moi pour quoi j’existe ? raconte aussi la maladie inconnue d’une enfant, la terreur de ses parents et l’angoisse devant ce mal que l’on ne connaît pas, avec le retour de ses propres souvenirs lorsque la polio lui a laissé une claudication immuable.

Un brin d’histoire

Aden a sa fille Béa, malade depuis quatre mois. Elle est clouée dans un lit d’hôpital à cause d’un mal inconnu qui l’assiège depuis quatorze semaines. Margherita et lui vivent dans la peur et l’inquiétude. Seulement, on est en septembre, la rentrée dans l’université à Washington DC s’annonce. Pour assurer le lien avec sa fille, Aden décide d’entretenir en plus de toutes les communications modernes une relation épistolaire où chacun relate son quotidien.

Aden, le double d’Abdourahman A. Waberi, ne sait qu’écrire. Alors, il se place à sa table et choisit ses mots avec tendresse, rebondissant aux réponses de sa fille, l’emmenant loin de ce lieu aseptisé qui ne sent que l’ammoniaque et la Bétadine. Il lui offre des mots sucrés qu’on lui ôte dans son alimentation. Il lui envoie des montagnes d’espoir en racontant son propre vécu de la maladie à elle qui ne cesse de crier à l’injustice.

Alors,

Ici, Abdourahman A. Waberi continue à nous parler des personnages que l’on avait découvert dans son précédent roman. Papa La Tige et sa gargouille au cœur du « village des nomades » parce que la grand-mère Cochise a refusé son association pour un bar sur Paris où l’alcool vendu risquait d’envoyer toute la famille trop loin du « paradis d’Allah ».

A travers cette relation épistolaire, Abdourahman A. Waberi s’adresse à chaque lecteur, transmettant un peu de son savoir ancestral et de sa sagesse pour réparer les blessures de la vie. La présence des esprits et les légendes expliquent l’inexplicable et l’impensable par ce savoir primitif. Autant de clés donnés à une fillette dont le lecteur s’empare pour retrouver l’envie de goûter à la vie.

En conclusion,

Ce roman, puissant et sensible, entraîne vers l’intime de l’écrivain. Mais, Abdourahman A. Waberi nous le transpose dans un universel parfait pour aider son lecteur à se réparer des soucis qui nous envahissent tant en ce moment. Un roman d’espoir et de tendresse à accueillir !

Remerciements

à @editionsLattes et @NetGalleyFrance pour #dismoipourquijexiste de @AAWaberi 

Pour aller plus loin

Pourquoi tu danses quand tu marches ? – Abdourahman A. Waberi

Puis quelques extraits

cite-56a4b9b45f9b58b7d0d8877b

J’aime à penser que le temps joue en ma faveur, que chaque génération apporte a l’édifice une attention nouvelle. Que dans l’ensemble mes parents ont fait ce qu’ils pouvaient et qu’il m’appartient de peaufiner l’œuvre commune. J’apprends depuis des années a me rendre plus patient et plus disponible pour mes enfants et mes étudiants. J’apprends à tirer un enseignement à partir du quotidien avec toi et tes frères. Tous les jours je prends la mesure de mon ignorance. Mais j’avance un peu au lieu de raccrocher les gants. Un jour à la fois.

Tu es la, menue dans un grand lit.

Tu te tords de tout ton petit corps.

La douleur doit être insupportable.

Le cou raidi, le visage serré, tu changes à vue d’œil.

Encore une nuit à tenir, me dis-je. Tu vas te relever. Tenir encore.

Demain, tu essaieras de nouveau. Te mettre debout.

Un pas. Puis un autre.

Garder l’équilibre, faire quelques pas.

Et encore,

Nous sommes à trois blocs de la Maison-Blanche occupée, je te cite, par un ogre à demi- fou, un ours à la chevelure orange. Je t’avais dit en rigolant qu’il passait pour le fils naturel d’un orang-outan et de la gardienne d’un zoo new-yorkais. Tu m’avais répondu que ce n’était pas très gentil pour l’orang-outan.

On ne se refait pas à son âge, on n’efface pas d’un coup de gomme les blessures du passé.

Washington est, tu le sais, une ville d’eau qui aspire à prendre le large en se jetant dans l’océan Atlantique.

Lorsque mes petits camarades se dépensaient sur le terrain de foot ou dans un gymnase, je restais à l’écart, sur un banc ou un coussin, à l’autre bout du collège, n’importe ou. Tout me convenait dès lors que personne n’entendait le son de ma voix, qu’aucune main n’essuyait les larmes qui creusaient mes joues. Je restais là, à contempler mon bout de terrain vague. Je connaissais chaque motte de terre, chaque nid-de-poule, chaque tas de pierre. Le paysage de mon enfance est d’abord un terrain vague.

Personne dans ma lignée n’avait ouvert le moindre livre. J’étais le premier de ma famille.

Je sens au fond de mes tripes la honte, surtout la culpabilité qui macère. Quand j’y pense un seul instant, son volume augmente.

Au plus fort de l’orage, disait Cochise, il y a toujours un écureuil pour nous rassurer. C’est l’écureuil qui vient à nous en exécutant des pas de danse.

Et encore, encore

J’attends un signe d’espoir.

J’attends l’écureuil surgi de l’inconnu.

En attendant j’ai la frousse.

La frousse de ma vie.

Avant de connaitre les cinq piliers de l’islam, nos ancêtres ont longtemps cru que le Ciel était un homme et la Terre une femme. Lorsque le Ciel grondait et qu’il y avait des éclairs, pas de doute, c’est que le Ciel faisait la cour à la Terre. Tôt ou tard, le Ciel allait faire l’amour à la Terre et la pluie n’était rien d’autre que la semence de l’un inondant l’autre. Cette semence touchait la terre pour faire naître les fleurs, les arbres, les fruits, les forêts. A chaque saison de pluies, le Ciel renouvelait sa cour. D’ou leur profonde inquiétude lorsque les vents porteurs de nuages tardaient à arriver. Ils patientaient, patientaient, patientaient. Puis concluaient que le Ciel boudait. Vite un recours ! Les mages du Ciel et de la Terre étaient convoqués. Les faiseurs de pluie sollicités. Notre patronyme, Robleh, porte la marque de cet héritage, Béa. Il ne doit rien aux saints musulmans. Il raconte que nous sommes de la lignée des faiseurs de pluie, ma fille.

Et, encore, encore, encore

Vais-je mourir sans avoir goute l’urine de dromadaire utilisée pour soulager la douleur comme ta grand-mère te l’avait appris ?

Est-ce que c’est ça mourir, papa?

Est-ce que c’est ça?

Papa?

La douleur, la paralysie, la maladie ne sont pas seulement des agressions contre nos défenses, des atteintes contre nos cellules, des limites à notre liberté. Elles sont aussi des portes qui s’ouvrent sur notre intériorité, notre part d’inconnu. Ce sont des clefs pour déchiffrer l’être qui vit dans nos profondeurs et que nous ignorons le plus souvent. Comme après d’âpres discussions avec tes poupées, cachée dans la buanderie. Quand tu sortais de là, tu avais la certitude que tu étais intouchable. Que tu avais plusieurs vies. Et aujourd’hui cette maladie, tu as la certitude de la vaincre, et ce que tu as fait là n’est pas donné à tout le monde. Tu as transformé en or le plomb de la douleur et de la maladie. Tu as puisé précisément dans tes forces souterraines.

La maladie n’est pas une atteinte, une brisure. C’est la voie par laquelle l’être tout entier parvient à s’éveiller à sa vraie nature d’être humain. Certains ont trouvé un mot qui a tout son sens ici. Une fois guéri, l’ancien patient accueille un autre être si semblable. Si différent aussi.

Si écrire c’est dérober du temps à la routine, si écrire c’est tourner le dos à la vie pour la plupart des gens, pour moi c’est tout le contraire. L’écriture est le terreau où mes jours sont plantés, l’humus où la poudre de mes os est jetée. Et le silo ou l’or de mes songes est enfoui. Écrire c’est ouvrir un atelier permanent pour apprendre à vivre, page après page, jour après jour.

Et,pour finir

J’ai conclu que Paris est une merveille pour tous les sens. Un cadeau infini, offert à la satisfaction de ses habitants et de ses hôtes. Paris est un somptueux décor, chatoyant, bigarré, parfumé, érigé pour affirmer l’orgueil d’une vieille nation qui avait mis la main sur une partie de la planète.

En venant au chevet de toi, ma fille alitée, je.me suis retrouvé. Je.me suis recentré. J’ai forci dans l’épreuve. Et, par ricochets, tu t’es retrouvée. Fragile mais entière. Enjouée même.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

vagabondageauoutourdesoi.com - ABDOURAMAN A WABERI -
Un premier extrait
vagabondageauoutourdesoi.com - ABDOURAMAN A WABERI -
Puis un second
vagabondageauoutourdesoi.com - ABDOURAMAN A WABERI -
Puis le dernier

Du côté des autres blogs

Livres d’un jour

Questions pratiques

Abdourahman A. Waberi – Dis-moi pour qui j’existe ?

Twitter : @AAWaberi        Instagram : @abdourahman_waberi

Éditeur : JC Lattès

Twitter :@editionsLattes  Instagram :  @editionslattes

Facebook

Parution : 24 août 2022

EAN : 9782709669443

Lecture : Juillet 2022

Littérature contemporaine

Littérature générale

Auteurs commençant par U, V, W, X, Y, Z

Chroniques littéraires

7 commentaires

  1. j’ai adoré ce livre, un de mes coups de cœur de la rentrée…
    La force du lien entre le père et la fille est bouleversante….
    J’ai retrouvé la magie de l’écriture qui m’avait déjà tant plu dans « Pourquoi tu danses quand tu marches »

    • Oui, il y a une simplicité dans son style à dire les choses les plus quotidiennes mais aussi les plus profondes ! Et, j’ai bcp pensé aussi à son précédent 🙂

    • Non, car la plume de cet écrivain est digne et pas du tout misérabilisme ! Bon week-end !

Répondre à MatatouneAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.