Pierre Lemaitre – Le grand monde

Rentrée littéraire hiver 2022

vagabondageautourdesoi.com Le feuilleton captivant de cette rentrée littéraire est présenté par Pierre Lemaitre avec Le grand monde mêlant fresque sociale, historique et politique lors de l’après seconde guerre mondiale. Les tickets de rationnement étaient encore d’actualité. Il faut attendre deux ans pour avoir une voiture. Les logements quand on avait la chance d’en avoir un n’avaient pas de confort. La France s’embourbait déjà en Indochine…

La famille Pelletier habite à Beyrouth, précisément Avenue des Français, proche de l’entreprise de savonnerie où les deux parents travaillent sans relâche depuis plus de trente ans. D’ailleurs, les bénéfices sont là puisque les manufactures de Tripoli et d’Alep ont été rachetées.

Louis et Angèle forment un couple souvent attentif l’un vers l’autre, même si Angèle est un condensé d’idées reçues, tributaire de sa vision très économique du monde par manque de curiosité et d’ouverture. Quatre enfants presque tous adultes forment leur famille. Et de mars 48 à novembre 48, Pierre Lemaitre nous fait pénétrer dans leur intimité.

La fratrie Pelletier

De Beyrouth à Paris en passant par Saïgon, six petits mois dans la vie de cette famille ! Et, quelle famille …

Jean, l’aîné, la trentaine, a toujours été maladroit, lourdaud et même replet. Sa ressemblance avec Ribouldingue des Pieds Niklelés lui vaut depuis, presque toujours, le surnom de Bouboule. Son père le pensait capable de reprendre l’entreprise familiale principale. Seulement, comme la moindre décision le met dans une angoisse terrible, son expérience a été un fiasco complet !

Sa femme Geneviève qui passait pour laide à côté de ses sœurs magnifiques souriait trop et tout le temps. Fille d’un receveur des Postes, elle pensait les dépasser au niveau social en faisant un beau mariage. Certes, Jean l’a emmenée vivre à Paris, toujours la ville lumière après cette guerre difficile. Mais, leur statut actuel ne leur permet en aucune façon de fréquenter les milieux pour lesquels elle souhaitait appartenir. Alors, évidemment, ça crée quelques rancœurs ! Il faut aussi ajouter qu’elle aime s’agenouiller aux pieds des hommes !

Ah, ce personnage manipulateur prêt à tout pour arriver à ses fins ! C’est peut-être le seul personnage qui n’évolue pas, qui reste pareil à elle-même, méchante, acerbe et vénale. Mais, je soupçonne Pierre Lemaitre de bien l’aimer, comme nous d’ailleurs. Je parie que bientôt on entendra « Faut qu’elle arrête de faire sa Geneviève !  » pour décrire les réactions d’un sosie de Mme Pelletier Jean.

François, le plus brillant de la famille, vient à Paris pour préparer l’ENS, du moins c’est ce qu’il dit à ses parents ! Car, sa passion, c’est le journalisme. Et, avec lui, le lecteur découvre France Soir, crée en 1945. Oh, pardon, le Journal du Soir et son patron qui ressemble étrangement à Pierre Lazareff, celui avec ses lunettes sur le front dans le générique de Cinq colonnes à la une.

Puis vient Étienne, le plus beau des fils. Il part dans un pays de conflit, en Indochine, rejoindre un certain Raymond « grand gaillard au regard doux » devenu légionnaire après avoir été instituteur. Seulement, Saïgon, ex-perle de l’Extrême-Orient, est une ville corrompue. Pierre Lemaitre plonge son roman au cœur de l’affaire des piastres, ce scandale financier et politique de la Quatrième République.

Et puis, vient Hélène, jeune fille de dix-neuf ans. Née cinq ans après Étienne, elle incarne l’émancipation féminine qui est en train de s’écrire dans cette période encore troublée. Et, c’est de sa liberté qu’elle entend développer à fond en cette période.

Une saga addictive

Ceci est le début, tranquille, de l’intrigue, car après, ça s’emballe : Un vent de petite folie vient comme lors d’une tempête de sable déposé un soupçon d’absurdité sur chacun. Pierre Lemaitre maîtrise parfaitement ces moments d’émotion qu’il pervertit à un moment ou un autre en poussant son lecteur vers son émotion contraire, comme un pied de nez à la vie et au destin.

Pierre Lemaitre possède vraiment l’art de la narration. Ses personnages semblent évoluer à leur gré tout au long du récit. En alternant de chapitres en chapitres la focale sur chaque personnage, le suspens est réel et les pages se tournent presque toutes seules. En ajoutant de la criminalité bien dosée, le cinquième pouvoir de la presse qui s’impose en cette période, un gourou aux allures de Punk exotique et la torture dans ce pays en guerre, Le grand monde recrée la période du début des trente glorieuses.

Mais, ce qui n’est jamais loin dans cette écriture si généreuse, c’est le point de vue social. Ainsi, le lecteur croise les mineurs de Firminy, des matériaux spoliés aux entreprises juives, des violences policières, et tant d’autres encore. Car, Pierre Lemaitre défend toujours le petit, l’exploité, celui qui n’est rien et n’a rien !

En conclusion,

Un premier tome que déjà tout le monde s’arrache et trois autres suivants annoncés vont couvrir ce temps particulier des trente glorieuses. Avec la famille Pelletier et ces six membres, Pierre Lemaitre a de quoi nous faire voyager dans leur monde mais aussi dans leur intimité. Car, Le grand monde est particulièrement réussi pour rendre addict n’importe lequel de ses lecteurs.

Pour aller plus loin

Au Revoir – Albert Dupontel –

Couleurs de l’incendie – Pierre Lemaitre

Miroir de nos peines – Pierre Lemaitre

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Puis quelques extraits

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Si tu expliques trois fois un truc à quelqu’un et qu’il ne comprend pas, c’est un imbécile. Mais si, à la fin, il est certain de l’avoir compris mieux que toi, alors, tu as affaire à un con.

Jean était puceau comme on ne l’est pas.

A la Légion, tant qu’elles n’étaient pas ostensibles, les relations entre hommes n’étaient pas condamnées et réprimées comme on aurait pu le penser. Dans l’escouade, il y avait quelques couples, tout le monde le savait, personne ne le voyait, la camaraderie prenait le dessus sur la morale parce que, en Indochine, c’est ce qu’on vous disait dés votre arrivée, sans la solidarité, aucun corps expéditionnaire ne pouvait tenir plus de quelques semaines.

Une secte, ça tient du culte, de la bande armée, de la mafia, du gang et, du coup, ça ratisse large, ça devient une vraie puissance.

Cette guerre ne peut être gagnée. Le gouvernement le sait, tout le monde le sait. En attendant on fait comme si

Il était de ces hommes qui sont plus heureux de faire peur aux femmes quand ils peuvent aussi leur faire mal.

– On ne peut rien y faire ?
– Si. On se conduit en fonctionnaire : on fait chier. On chipote, on tatillonne,on ergoter, on chicane. Je vous l’ai dit : on gagne du temps.

C’était un homme d’une trentaine d’années, disposant de peu d’expérience en matière criminelle et que le jeu complexe des nominations, des tours de garde, des effectifs restreints et des manques de moyens avait catapulté à la tête de cette affaire parce qu’il était le seul présent au parquet le dimanche du drame.

Et encore,

(…) elle n’avait jamais suffisamment de mouchoirs, on avait venir de lui tendre une serviette de bain.

« Il y a des dizaines de Viêts devant vous. Vous ne les voyez pas, ils sont sous l’eau, ils peuvent résister des heures des heures comme ça.

Grâce à la guerre, les Français trafiquaient de la piastre. Les sociétés, le capitalisme local profitaient de ce trafic pour s’enrichir, pour se gaver, mais il y avait mis.
Le Viêt-Minh était parvenu à entrer dans le système.
À profiter du trafic de la piastre pour s’équiper.
Ça voulait dire une chose, une seule, terrible, d’une importance tragique.
Dans la guerre qui les opposait, La France, sans le savoir, finançaient le Viêt-Minh.

Le courrier anonyme était une source inépuisable, d’informations, réelles ou supposées, mais, depuis la Libération, il était arrivé suffisamment de Lettres qui s’étaient révélées utile pour que le Comité y prête une certaine attention.

 » On prend un trait chez celui-ci, un trait chez cet autre; on l’emprunte à un ami de toujours, ou à quelqu’un à peine entrevu sur le quai d’une gare, en attendant un train. L’emprunte même parfois une phrase, une idée à un fait divers de journal. Voilà la manière d’écrire un roman ;il n’y en a pas d’autres. » H.G. Wells cité par Pierre Lemaitre dans sa dette de reconnaissance !

C’est à ce moment que son patron lui tendit ?e verre de whisky, l’équivalent américain du mouchoir, que François refusa d’un geste, il avait peut que ça le fasse vomir, il ne manquerait plus que ça.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Un petit extrait
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Puis, un second petit extrait
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Puis, un dernier petit extrait

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Pierre Lemaitre – Le grand monde

Éditeur : Éditions Calmann-Lévy  

Twitter :  @calmann_levy  Instagram : @calmann.levy

Parution : 25 janvier 2022

EAN : 9782702180815

Lecture : Janvier 2022

Littérature contemporaine

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Chroniques littéraires

31 commentaires

  1. J’ai adoré ce roman foisonnant de personnages très bien « croqués ». On est scotchés au récit pendant les 3/4 du roman, on découvre ahuris un lien vers d’autres personnages mais chut, ne divulgons pas le secret . Un grand roman addictif comme les romans de la trilogie « les enfants du désastre ».

    • Alors, tu devrais être satisfaite, en tout cas je l’espère car, à mon avis, il est encore mieux que les 3 précédents 🙂

  2. J’ai vu beaucoup de pub pour ce livre. Il a l’air vraiment génial, je le mets sur la liste des livres à acheter. Bon am

  3. J’avais lu les deux premiers de la précédente saga et j’avais adoré le film de Dupontel mais pas eu envie de lire le troisième opus….. Moi les sagas 🙁 à part de rares exceptions. J’ai entendu sur France Inter ce matin Nicolas Demorand qui évoquait une saga de 5 romans….. Pour l’instant trop à lire dans ma PAL et pas envie de céder au charme de ce roman et de m’embarquer pour une lecture de longue haleine 🙂

    • Oh, de toutes façons, il faut à peu près un an et demi à deux ans pour écrire le prochain..Donc, on a un peu de temps 🙂

  4. merci pour cette belle chronique… J’hésitais un peu(peur de comparer avec « au-revoir là-haut » sûrement et quelques avis mitigés dans la presse, mais je ne vais pas hésiter longtemps c’est certain 🙂

    • C’est autre chose que Au revoir là-haut. En plus, moi j’ai les images de Dupontel qui me hantent ! Pierre Lemaitre a su se renouveler en prenant six et même sept personnages et y consacrent à chacun un chapitre sur ces 6 mois d’étude. Du coup, on le lit vraiment facilement !

    • Oui, il est peut-être même mieux que les précédents avec ces chapitres qui alternent les personnages. Bonne soirée !

  5. C’est un écrivain que j’envisage de lire depuis longtemps et j’aurais bien envie de m’y mettre prochainement, soit avec ce roman-ci soit avec un de ses précédents romans…

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