Hélène Lenoir – Sous le voile

Rentrée littéraire hiver 2022

vagabondageautourdesoi.com - Hélène Lenoir - Avec Sous le voile, Hélène Lenoir présente le portrait d’une jeune femme qui choisit la vie religieuse au début de la seconde guerre mondiale, puis s’en affranchit pour reconquérir sa liberté et son propre arbitre. Au début du roman, l’écrivaine confie avoir retrouvé le carnet de novice de sa mère qui avait gardé tout au long de sa vie le silence sur son engagement.

Quelques mots de l’histoire …

Originaire de Mortagne dans le Perche, Odile de Lalande était promis au baron du coin pour perpétrer une lignée d’aristocrates. Après ses deux bachots et le début d’une licence pour devenir professeure, elle désire fuir les hommes et suivre  l’envie qui la taraude depuis l’adolescence.

Alors, elle devient Sœur Jeanne Marie de Sion, malgré les réserves de sa famille. Car, elle a découvert cette congrégation au pensionnat mais aussi avec l’exemple de sa tante, elle-même religieuse. La jeune fille affirme ainsi sa détermination à vouer sa vie à la prière. Jeanne fait son noviciat à Marseille, transféré de Paris en raison de la guerre.

Entrée dans la congrégation le 8 septembre 1943 à Paris, Sœur Jeanne doit passer la ligne de démarcation pour rejoindre une communauté basée à Biarritz. Puis deux ans plus tard, la communauté de Grenoble en travaux l’accueille. Il y règne une douce liberté qui sied bien à la jeune femme.

Lors d’un été particulièrement chaud, elle y découvre le plaisir physique qui la transporte, celui d’immerger ses pieds dans un ruisseau d’eau fraîche ! Plaisir simple qu’elle ne peut retrouver sans contredire la Règle !

Au fil des pages,

Hélène Lenoir décrit les privations, les humiliations, les punitions qui construisent le quotidien que les restrictions de la guerre aggravent chaque jour. L’écrivaine raconte parfaitement le rouleau compresseur de la déshumanisation que la supérieure et son assistante de la communauté de Saint-Omer mettent en place sur son corps et son esprit déjà éreintés. Toute individualité est détruite comme l’exige la Règle.

Sous le voile est le récit des manipulations au nom d’une institution, devenant maltraitante. Ne plus penser, ne plus ressentir, combattre même le plus petit penchant qui distingue des autres ou qui peut éloigner soi-disant du but, se consacrer à Dieu.

Le rythme des services de prières (au moins 6 ou 7 par vingt-quatre heures), les conditions précaires de vie, la répétition des tâches, le silence, etc. sont autant d’outils qui détruisent Jeanne au nom de l’élévation de son âme. Et, pourtant, elle n’appartient pas à la congrégation des sœurs converses, femmes pauvres, obligées de travailler du matin au soir pour servir la communauté.

Néanmoins, neuf ans plus tard, Sœur Jeanne redevient une jeune femme de trente ans qui sort du couvent. Le lecteur la suit dans ce grand saut vers l’inconnu.

En conclusion

En plaçant son roman au cœur de l’enfermement puis de la renaissance d’une jeune femme soumise à la volonté d’un Dieu qu’une communauté transforme en bourreau, Hélène Lenoir décortique son lent cheminement vers la conquête de son libre arbitre et l’expression de sa personnalité. C’est bouleversant et poignant, réaliste et malheureusement trop vraisemblable.

La lecture de Sous le voile permet au lecteur de s’immerger dans un univers où la pensée, le désir et même l’envie sont niées au nom de la célébration d’un Dieu qu’on dit amour et miséricorde. Hélène Lenoir raconte ici une autre façon de contraindre les femmes et de leur ôter toutes réflexions propres et actions personnelles !

De plus, ce récit est un bel hommage à la jeune fille qu’était sa mère, déterminée à vivre libre et croyante à la fois ! Un sujet peu traité mais combien nécessaire !

Merci à @NetGalleyFrance et @EditionsGrasset pour la découverte de #Souslevoile de #HeleneLenoir

Pour aller plus loin

La communauté des Filles de Sion fut ouverte pour envisager la conversion des enfants juifs, et leurs parents, au catholicisme. Lors de la seconde guerre mondiale, certaines communautés se sont illustrées en les sauvant de la déportation. Alors, celles-ci furent reconnues comme des Justes. C’est le Concile Vatican II qui allégera les règles des communautés religieuses féminines en permettant notamment à certaines de se vêtir en civil.  Mais, il faudra attendre 2019 pour que des congrégations acceptent le nom respect des vœux d’obéissance pour dénoncer des abus sexuels dont elles ont été victimes !

Puis quelques extraits

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« Prenez-moi ! » . On devait le dire doucement en redescendant les degrés de l’autel :  » Prenez-moi !  » et j’ai eu l’impression d’être soulevée par les anges en regagnant ma place, avec ma croix d’ébène suspendue à ma chaîne d’argent, c’était… je n’ai pas de mots pour ça (…).

Un homme, même prêtre, n’aurait pas compris et la Règle nous avait enseigné que notre supérieure était celle à qui nous pouvions- et devions d’ailleurs- confier nos doutes, nos certitudes ou nos tourments.

Les coulpes, c’était une sorte de confession publique, enfin non, pas publique puisqu’on était entre nous dans la salle de communauté. Chaque religieuse baise le sol et fait sa coulpe à genoux, on dit :  » Ma Mère, je m’accuse de mes fautes, afin de m’en humilier et de me corriger », puis on énonce en peu de mots des fautes qui regardent la Règle, la charité, l’obéissance et les fonctions dont on est chargée.

Par exemple qu’on a tourné la tête vers une porte ouverte en passant dans le couloir, oublier de raccommoder l’ourlet de son tablier ou laissé la médaille qui pensait tout au bout de notre chapelet – le long chapelet était accroché par un anneau à notre ceinture, on avait donc la médaille à peu près à la hauteur de la cheville; donc, si en se penchant on l’avait laissée heurter la rambarde de l’escalier par exemple, il fallait s’en accuser les coulpes. Les autres choses, dispositions personnelles ou pêchées sont réservées au confessionnal.

Quelque chose en moi refuse d’avoir tant souffert et tout donné pour rien. Neuf années d’immenses efforts, de renoncements, de luttes, de sacrifices pour rien. Tendue de tout mon être vers la perfection d’une fille de Sion, mais ce n’était pas assez. Trop d’orgueil. Ma bête noire invincible. Réduite à rien.

Et encore …

L’orgueil. Je m’en sens tellement dépouillée à force d’humiliations. Mais on me le reproche encore, comme mon plus grand crime.Incorrigible et irréparable. Il me dit qu’il y a deux manifestations de l’orgueil : l’esprit d’indépendance et l’esprit de critique, le jugement. L’humilité obéissante et l’humilité de charité ne peuvent le combattre efficacement et durablement que si on les exerce avec sincérité. Une fille de Sion, dans l’idéal des pères Fondateurs, renonce totalement à elle même , on vous l’apprend au noviciat. Persuadée que tout ordre vient de Dieu, que toute obéissance remonte jusqu’à Lui, elle se soumet aveuglément et s’abstient de tous jugement.

 » C’est chaque fois la même chose : impossible parce qu’on espère des miracles, fidèle au poste pendant neuf ans, une santé de fer, je n’en doute pas, mais le corps lui tout d’un coup, on a beau le redresser tous les jours à coups de trique, le corps refuse d’obéir, et ce ne sont pas les Rosaires ni la farine d’avoine qui sauront le faire plier, croyez-moi ! »

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Voici le premier extrait
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Puis, un second
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Puis le dernier

Questions pratiques

Hélène Lenoir – Sous le voile

Éditeur : Grasset

Twitter : @EditionsGrasset Instagram : @editionsgrasset

Parution : 12 janvier 2022

EAN : 9782246820918

Lecture : Janvier 2022

Littérature contemporaine

Auteurs commençant par L

Chroniques littéraires

21 commentaires

    • Le récit de ces communautés vivant sur elles-mêmes, de n’importe quelle communauté, religieuse ou non, me parait important ! Les dérives de types sectaires ne sont pas à minimiser. En plus, c’est un bel hommage à une mère !

  1. il doit être intéressant mais, cette fois, j’ai résisté à la tentation l’enfermement, la religion en ce moment on ne fait pas bon ménage ! l’a-t-on jamais fait d’ailleurs?

  2. brrr, pas pour moi, déjà très athée et on sait les sévices dans les orphelinats, faits aussi par des « bonnes soeurs » à l’époque. allez, le ciel est bleu aujourd’hui

    • Oh, je suis athée, tout ce qu’il y a d’athée. Néanmoins, ce récit m’intéressait ayant eu une tante, très proche, religieuse !

    • Oui, comme je le dis après ma chronique, ce n’est qu’en 2019, que le vœux d’obéissance peut être levé en cas d’abus sexuels !? terrible, non … Bon week-end !

  3. Tu me donnes très envie de lire ce livre sur un sujet qui m’intéresse beaucoup, je vais voir s’il est encore disponible. Bonne soirée

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