Ann Marks – Vivian Maier révélée

Enquête sur une femme libre

vagabondageautourdesoi.com - Ann Marks Il faut vraiment remercier les éditions Despire d’avoir fait paraitre en France l’imposant travail généalogique d’Ann Marks sur Vivian Maier déjà publié en 2019 aux États -Unis sous le titre Vivian Maier Developped.

Ann Marks, retraitée de postes à responsabilité dans des grosses entreprises, consacre son temps à la généalogie. Pendant six ans, elle étudie à peu près les 140 000 clichés de Vivian Maier, ses films super 8 et 16 mm et tous ses enregistrements qui constituent l’œuvre de cette artiste. Elle analyse son arbre généalogique, ses effets personnels, ses carnets, et livre l’histoire de son passé et de sa famille. Ainsi, elle reconstruit la vie de cette femme terriblement discrète, fort , décidée à dépasser ses failles pour vivre libre et affirmer son talent contre vents et marées.

Depuis la découverte de ses photographies en 2007, l’engouement pour cette Mary Popping photographe, comme elle a été surnommée, fascine !  Gaëlle Josse s’en ai inspiré pour publier sa biographie romancée « Une femme en contre-jour » . Ses photographies furent découvertes par hasard en 2017 par John Maloof, jeune agent immobilier. (Voir Vivian Maier). Il a hérité de cette foule d’objets dont Vivian Maier n’a su se séparer.  L’exposition du Musée du Luxembourg présente actuellement une partie de son œuvre (découverte à venir sur le blog).

Mais, il me semblait absolument nécessaire de découvrir le travail de Ann Marks pour donner réalité à une femme particulière qui, grâce à ses photographies, a su capter avec sensibilité son époque et affirmer ses convictions modernes d’une société qu’elle souhaite progressiste et égalitaire.

Comme un pont entre l’Europe et l’Amérique, entre New-York et Chicago, Ann Marks raconte la force d’une femme, sa culture, ses ambitions et ses envies. Mais, parce que la vie n’est jamais simple, elle raconte aussi le poids d’un passé, d’amour et de désamour familiales, des aides reçues, des ponts qu’il a fallu couper, effacer pour continuer à affirmer son indépendance au prix de sa carrière peut-être …

Ann Marks réalise un travail de généalogie, d’entretiens et de recherches qu’elle raconte dans Vivian Maier révélée. C’est passionnant ! Ça se lit comme une enquête policière extrêmement documentée. Du coup, l’étude de ses photos prend d’autres dimensions. Le langage photographique de Vivian Maier commence ainsi à être décodé.  Dévoré et complétement conquise !

Puis quelques extraits.

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Mais contrairement à beaucoup, qui ont vu là un mystère insoluble, j’y ai vu des blancs qu’il fallait remplir et j’ai éprouvé le besoin irrépressible de dérouler le fil de cette histoire fascinante.

La maladie mentale et le rôle qu’elle a joué dans son histoire familiale constituent à l’évidence un chapitre crucial de sa vie, un élément jusqu’à présent largement ignoré ou écarté, jugé sans intérêt, comme si le reconnaître stigmatiserait ou entacherait son talent. Il est unique ,mais c’est par le prisme de ses expériences d’enfance ou sa structure psychologique que nous pouvions comprendre ses motivations, ses actions, en lien avec son œuvre.

Les Hautes-Alpes ayant, contre toute attente, produit deux photographes remarquables ( Jeanne Bertrand et Maier) les Champsauriens n’auront de cesse de chercher des connexions entre elles ; or Vivian n’a que quatre ans à l’époque où elle vit avec Jeanne, celle-ci ne peut donc être considérée comme une influence. La photographie s’est en réalité transmise par Marie( mère de Vivian), qui à ce moment-là entre en possession d’un appareil, une innovation pourtant réservée aux plus aisés.

Dès le départ, Vivian travaille avec assiduité à l’apprentissage du métier et elle se lie avec Amédée Simon, qui possède l’unique boutique de photo de Saint Bonnet.

Telle une photojournaliste, elle couvre ses rencontres de manière très factuelle, traitant son sujet du début à la fin.

C’est ici ( dans le Champsaur) que naissent les prémices de son style photographique, un style objectif qui cherche à capturer la réalité de la condition humaine dans une absence absolue de jugement.

Peu importe que Vivian ait pu grandir dans la pauvreté, le syndrome d’accumulation ne résulte pas de manques matériels , mais de privations émotionnelles.

Ses photos deviennent les victimes de sa pulsion grandissante d’accumulation grandissante.

Son nom a été associé à celui de grands maîtres de la Street photography- Bérénice Abbott, Lisette Model et Robert Franck- , mais les experts n’ont pas encore tranché et reste à savoir où ils placeront Vivian Maier parmi les canons de l’histoire de la photographie.

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Vivian Maier et son frère Karl (Carl)

Et puis encore

Faisant preuve d’une grande résilience, elle a surmontée tous les obstacles qui se trouvait sur son chemin. Jusque tard dans sa vie, elle s’est montrée optimiste, pragmatique, engagée et bien informée, vivant toujours comme bon lui semblait.

Au moment de sa première arrestation, Carl prétend même ignorer le nom de sa sœur. Il paraît incroyable que Vivian ait vécu parmi les siens sans que jamais personne note sa présence. Quelques années plus tard, sa mère l’abandonner à pour de bon .

Il lui suffit en général d’une unique prise de vue , approche qui deviendra sa marque de fabrique.

A en croire John Maloof, lors de son entretien avec sa future employeurs Nancy Gensburg, Vivian ne présente aucune référence, alors qu’elle a travaillé pour plus d’une douzaine de familles. Avec détermination, elle s’apprête à refermer la porte sur sa vie et sa famille new-yorkaise et jamais elle ne révélera son passé, même pour décrocher un emploi.

Dès le début des années 1980, Vivian dépense tout son argent dans des garde-meubles, où elle n’empile pas moins de huit tonnes de journaux, livre et matériel photographique.

Elle sait qu’elle a du talent, elle aime son travail et, de temps à autre, caresse l’idée de relancer sa carrière, mais voilà, le partage de ses photos lui est devenu impossible.

Tout ceci composait finalement la partie émergée de l’iceberg de la famille Maier; immergée sous la surface se trouvait une histoire de bâtardise
, de bigamie, de rejet parental, de violence, d’alcool, de drogues et de maladies mentales.

Robert Faure, journaliste originaire de cette région, décrit le Champsaurien en ces termes :  » une personne qui est, par dessus tout, éprise de liberté, qui veut être son propre maître et a du mal à accepter les contraintes. »

Pour la première fois, et non la dernière, Vivian semble avoir du mal à se séparer de ses photos.

Vivian immortalise ses co-passagers à bout portant, empiétant parfois sur leur espace vital. Elle fait déjà preuve d’agressivité et d’intrépidité dans sa pratique.

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A droite, les indications de Vivian Maier pour ses développements. A droite, la liste du matériel retrouvé par John Maloof

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Vivian Maier enfant et sa mère, une relation complexe et difficile !
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Présentation des bienfaitrices de Vivian Maier qui l’ont toujours aidée et soutenue. Et, sur la page de droite, l’usine de poupée pour laquelle elle a travaillé un temps. Du coup, Vivian a toujours réalisé ses vêtements et très vite à adopter une « tenue  » qu’elle a suivi jusqu’à la fin : une jupe sous les genoux, un manteau d’homme trop grand et souvent un chapeau. De quoi passer complétement inaperçue !
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Rare portrait où Vivian Maier pose. On ressent sa confiance et peut-être sa tendresse pour ce photographe inconnu (e) et aussi sa tranquillité et sa sérénité.Elle a déjà sa « tenue » pour passer inaperçue avec son appareil photo.
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Vivian est jeune. Ici aussi le photographe est inconnu (e). Mais, c’est le seul portrait où Vivian a détaché ses cheveux. Là aussi, on devine son espoir d’une vie agréable en devenir .
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Vivian Maier adorait les faits-divers et du coup, se précipitait pour photographier les arrestations, les clochards, etc. Sa froideur apparente faisait qu’elle pouvait se rapprocher le plus près possible de la scène à photographier. Pourtant, sa prise de vue ne juge pas. Elle donne à voir avec empathie.
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Sur la page de gauche, des enfants photographiés par Vivian à New-York. Vivian Mayer a développé ce thème si particulier. Aucun Street Photography n’avait avant elle tenté cette approche.
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Ici, les notes de prises de vues en 1954 à New-York

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Ici les photos ont été prises par John Maloof : une accumulation de photos et de pellicules non développées, un matériel brut que Ann Marks a analysé.

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Les fameux journaux de Vivian Maier. Pendant les moments d’inquiétude, elle les photographie, les empile partout où il y a de la place. Une maladie qu’Ann Mark analyse.
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Accumulation !

Pour aller plus loin

Vivian Maier – 

Du côté des critiques

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Questions pratiques

Ann Marks – Vivian Maier révélée

Traduction : Cécile Leclère

 Éditions : Delpireandco

Twitter : @DelpireEditeur Instagram : @delpireandco

Parution : 11novembre 2021

EAN : 9791095821397

Lecture : Novembre 2021

Essais

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Chroniques littéraires

23 commentaires

    • Le travail d’Ann Marks est sérieux et argumenté et donne consistance à cette femme qui s’est voulue invisible et dont le talent est mis à l’honneur actuellement.

  1. […] A la fin du volume, Ann Marks résume le travail réalisé autour de l’artiste avec les recherches généalogiques qu’elle a entrepris pendant de longues années. Elle a fait paraître l’intégralité de son travail dans la traduction française appelée « Vivian Maier révélée ». […]

  2. Merci pour votre article. J’ai découverte V Maier avec Joelle Gosse et son livre puis j’ai vu l’exposition au Musée du Luxembourg des l’ouverture étant fan de ses photos. Et cet après-midi en me baladant du côté de St germain des pres colleca l’église il y a une galerie qui expose le livre et qq infos sur V Maier. Je suis ressortie avec le livre!

    • Oui complétement extraordinaire ! Ann marks donne un éclairage sur cette vie si discrète !

  3. C’est rigolo car je suis passée hier devant les éditions Delpire et mon oeil a justement été attiré par ces livres !

  4. J’ai déjà fait l’expo mais je compte bien y retourner. Je voulais acheter le catalogue mais je l’ai trouvé tristounet. Par contre le travail d’Ann Marks me semble bien passionnant et je sais ce qui va ressortir de mon prochain passage en librairie.

    • Le catalogue permet de s’attarder sur les photos présentées à l’expo. J’aime regarder et regarder encore ses clichés si intense. Le livre d’Ann Marks une enquête chronologique très passionnante même si elle a choisit de raconter uniquement la femme qu’elle a découverte en passant sous silence ses recherches, ses réflexions et ses tâtonnements.

    • Oui tout à fait ! Et celui-ci présente sa vie à partir de recherches généalogiques . Passionnant

  5. J’ai entendu parler de cette photographe à plusieurs reprises et je sais qu’il y a actuellement une expo sur elle au Musée du Luxembourg. J’irai peut-être la voir.

    • Oui, elle est restée tellement mystérieuse cherchant à s’effacer derrière son art !

    • Ah, oui, j’ai beaucoup aimé. Une biographie qui enfin perce le mystère de cette artiste !

  6. J’ai déjà entendu parler de cette artiste, mais tu me donnes très envie de la découvrir plus en détail. Merci pour cette découverte. Bonne journée

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