Christine Angot- Le voyage dans l’Est

Rentrée littéraire 2021

Prix Médicis 2021

Dernière sélection du Prix Goncourt –

vagabondageautourdesoi.com Christine Angot - Figure devenue incontournable de la scène médiatique et littéraire, Christine Angot raconte dans Le voyage dans l’Est le point de vue de la victime d’un inceste et l’impossibilité de sortir de l’emprise, de parler, de dire, de révéler, d’alerter, en bref, de faire cesser lorsqu’une enfant, une adulte sont victimes d’un inceste.

Il y a vingt-deux ans, en 1999, Christine Angot publiait son premier roman L’inceste. Depuis, régulièrement, Christine Angot reprend sa quête pour trouver la précision des mots écrit, afin de rendre compte de cette infraction dans l’intime et plus encore dans le psychisme.

Du mouvement #MeToo aux livres Le consentement de Vanessa Springora et La familia Grande de Camille Krouchner, la parole des victimes est prise en compte de plus en plus au niveau social et politique. Alors pourquoi un ènième roman sur ce point !

Christine Angot réussit dans Le voyage dans l’Est a décortiqué la place de la victime et son impossibilité ainsi que son entourage de révéler l’interdit pour le faire cesser, tant le système est pris dans les mailles du filet de l’emprise malsaine de la personne ayant autorité et qui devrait assurer la protection.

La perversion de l’agresseur est particulièrement bien rendue qui trouve toujours justifications à ses comportements interdits et utilise le besoin de reconnaissance de sa victime. Son combat se poursuit en insistant aussi sur le fait qu’il n’y a pas d’inceste consenti comme l’idée semble s’insinuer dans la société lorsque adulte, la relation toxique se poursuit.

Elle a treize ans. Elle n’a jamais connu son père. Sa mère le lui présente. Il est beau, à une allure élégante, une position sociale très en vue, intelligent et très cultivé. Enfin, son rêve le plus cher se réalise ! Maintenant elle pourra en parler à ses copines, être fière de cette filiation. Elle est enfin reconnue !

Mais, la jeune fille constate au fil des rencontres des abus de pouvoir. Un baiser, une main sur le genou qui commence à remonter le long de sa jambe, puis vient les crimes d’infractions abjects. Mais, il est intelligent. Il devrait s’arrêter ! Il va comprendre ! La protection que ce père, personne ayant autorité, doit à son enfant est pulvérisée, anéantie à tel point que la victime se trouve encore plus démunie, esseulée, et dans l’incapacité d’en parler.

Alors

Christine Angot raconte la conscience que sa jeune narratrice a de l’interdit qui transparait dans tout son corps et ses pensées empêchant même de manifester autre chose tant, tout son être est monopolisé dans l’horreur de la minute à venir. Les tentatives sont nombreuses pour faire cesser. Par tous les moyens, la narratrice cherche à parler mais ne peut y arriver. De l’autre à ce moment, un souffle,  une expression peuvent renvoyer la révélation dans le néant tellement la personne doute d’elle-même.

Christine Angot raconte les efforts de sa narratrice pour se sortir de cette relation toxique qui la détruit et la consume. Mais, le chantage s’opère, on le sait, à partir de la soif de tendresse et de reconnaissance de la victime. La narratrice rêve d’une relation qui redeviendrait normale entre elle et son père, prête même à tout oublier ! Sauf que le prédateur utilise tout au long de son emprise ce désir jamais assouvi. Des gages sont donnés pour le combler mais ils passent toujours par le chantage à la déviance. Tout au long du roman, la narratrice lutte pour reprendre sa liberté mais se heurte à des murs invisibles où l’emprise redevient opérante.

Autour d’elle,  personne ne se rend compte. Même adulte, lorsque la narratrice cherche à s’affranchir de cette relation d’emprise, les personnes qui l’aiment et la soutiennent ne trouvent les mots et la liberté pour révéler le crime.

Pour finir

Le style de Christine Angot est le même, toujours aiguisé au scalpel. Ce roman dévoile l’effondrement psychique mais aussi physique, social et bien sûr sentimental de la victime depuis son adolescence jusqu’à l’âge adulte. On ne peut guérir de l’inceste, par contre, les mots qu’il faut trouver, précis, argumentés restent la solution pour faire comprendre, toujours et encore, le traumatisme ressenti par les victimes.

Le voyage dans l’Est fut pour moi un moment de lecture éprouvant tant le malaise de la narratrice est narré avec réalité et précisions. Mais, cette lecture est indispensable.  Avec son talent, Christine Angot réussit avec courage, encore, à nous faire appréhender l’horreur du vécu des victimes qui essayent de retrouver un équilibre qu’on sait précaire et instable. Vraiment un récit courageux  !

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Puis quelques extraits

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Dire n’a jamais été un enjeu. Ç’a été un moyen, au début, pour m’aider à ne plus lire mon père. Puis, c’est devenu un passage obligé.

J’étais débarrassé de l’obligation de me faire respecter.Y compris par moi-même. De préserver ma personne, mon être, mon intégrité, mon corps.

Ma vie reprenait. Laquelle ? Celle d’avant ? D’avant mes treize ans ? Celle que j’aurais du avoir s’il n’y avait pas eu ça ? Elle reprenait où ? Là où elle s’était arrêtée ? C’était possible ? Je me sentais bien. Je me sentais libre. Je ne voyais plus mon père. Ça me faisait du bien. C’était bien. C’était définitif ? Où est-ce que le temps allait passer, et que j’allais le revoir dans d’autres conditions ? Est-ce que j’avais renoncé à le voir ? J’étais bien. Je respirais. Mais j’étais où ? J’étais qui ? J’étais dans quelle vie ? Je respirais. J’étais libre. J’étais bien. Mais il n’y avait rien d’essentiel. Je ne faisais rien d’essentiel.

– » Alors, moi, là,vous voyez, je vais m’en aller. Parce que, si, en plus il faut que je supporte un non-lieu… Non. Ça n’est pas possible. Un non-lieu. Non-lieu. Ça n’a pas eu lieu. Je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas recevoir, dans ma boîte aux lettres, un papier de la Justice, officiel sur lequel il y aurait écrit »non-lieu ». Je n’ai pas le courage de ça. Ah non. Ça n’a pas eu lieu. Non-lieu. Sur un papier officiel. Je ne pourrais pas recevoir ça, à en-tête de la République française. Non-lieu. Excusez-moi.Je suis désolée. Je ne peux pas.

– » Est-ce qu’on demande à un enfant battu s’il a eu mal? Pourquoi demande-t-on à un enfant violé s’il a eu du plaisir ? Un enfant battu est humilié par les coups, un enfant violé par les caresses. Ce sont des stratégies d’humiliation dans les deux cas. L’inceste est un déni de filiation, qui passe par l’asservissement de l’enfant à la satisfaction sexuelle du père. Où du personnage puissant de la famille. Savoir qu’il est asservi, humilié, déclassé, que sa vie est foutue, et son avenir en danger, quel plaisir un enfant peut éprouver à ça ?

L’inceste est une mise en esclavage. Ça détricote les rapports sociaux, le langage, la pensée…vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c’est qui, c’est votre père, votre compagnon, votre amant, celui de ôtée mère, le père de votre sœur ? L’inceste s’attaque aux premiers mots du bébé qui apprend à se situer, papa, maman, et détruit toute la vérité du vocabulaire dans la foulée.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

https://vagabondageautourdesoi.com/chroniques-litteraires/
Un premier extrait
https://vagabondageautourdesoi.com/chroniques-litteraires/
Puis un autre
https://vagabondageautourdesoi.com/chroniques-litteraires/
Puis le dernier

Fragments audio

Du côté des critiques

Télérama –  Les Inrocks

Questions pratiques

Christine Angot- Le voyage dans l’Est

Éditeur : Éditions Flammarion

Twitter :   @Ed_Flammarion

Parution : 18 août 2021

EAN : 9782080231987

Lecture : Août 2021

Littérature contemporaine

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Chroniques littéraires

23 commentaires

  1. Bonjour Matatoune. Je ne l’ai jamais lue et ne suis pas tentée par le sujet, dont trop de livres parlent. Impression d’être un voyeur. Bon dimanche après-midi !

    • Ce n’est pas l’ipression que j’ai eu. Plutôt celle de enfin écouter une parole qu’on peut entendre ! Bon courage 🙂

  2. Je n’ai jamais découvert sa plume, mais je me souviens d’un clash en pleine émission après lequel les gens se sont déchaînés contre elle. Pourtant, je pense qu’elle a un courage infini d’essayer de parler de ces horreurs. Je la comprends, mais je n’ai pas le courage suffisant pour la lire. Il n’est pas évident d’être une adulte « plaisante » quand l’enfance a été brisée en plein vol…

    • Oui, tout à fait ! Et là, elle a pris le temps de détailler le processus, certainement romancé, d’un inceste, ce qui n’a certainement pas été facile car on ne guérit pas d’un tel traumatisme ! Oui, je trouve courageux sa démarche ! Maintenant, rien oblige à la lire! Mais, je trouve qu’il faut, comme tu le fais, respecter l’authenticité de son travail ! Merci

  3. Je viens de le finir et je suis vraiment mal à l’aise… je ne sais que penser de ce titre, qui a tout de l’autofiction même si son autrice n’aime pas de mot…

  4. j’hésite vraiment car je ne supporte pas l’auteure, on la voit partout et il va falloir que je me fasse violence pour le lire. ta chronique me donne quelques regrets mais … On verra plus tard quand l’embouteillage de ma PAL se réduira mais ce n’est probablement qu’un rêve 🙂

    • Non, il ne faut jamais se forcer! Moi je n’ai que rarement regardé cette émission où elle était chroniqueuse. Je ne comprends même pas pourquoi elle avait accepté. Qu’est-ce qu’une écrivaine peut venir chercher dans ces moments médiatiques où on confond tout et où on cherche à faire du buzz. ! Mais je ne pensais pas que son image était si perturbée ….

    • Oui je crois aussi que d’avoir été la chroniqueuse d’une émission hebdomadaire très suivie n’aide pas sa communication !

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