Sorj Chalandon – Enfant de salaud

Rentrée littéraire 2021

N° 1 du Palmarès Livres Hebdo 2021

vagabondageautourdesoi.com Sorj Chalandon Récompensé par le prix Albert Londres pour avoir chroniqué le procès de Klaus Barbie pour le journal Libération en 1988, Sorj Chalandon met en perspective les moments cruciaux de ce procès avec l’histoire du narrateur, journaliste, qui découvre le passé caché de son père au moment de la seconde guerre mondiale.

Parce que, un jour, son grand-père a murmuré à son encontre lorsqu’il était petit, « Enfant de salaud » après lui avoir raconté qu’il avait vu son père habillé d’un costume de l’armée allemande sur la place Belcourt à Lyon pendant la seconde guerre mondiale, le narrateur profite qu’il couvre en sa qualité de journaliste le procès Barbie pour enfin remonter la source de cet affront personnel, gravé à l’enfance et jamais effacé à l’âge adulte.

Le père veut assister à ce procès historique. A cette occasion, le narrateur trouve la force d’interroger les archives départementales pour retrouver son dossier judiciaire et tenter de découvrir la vérité. En convoquant son père à réinterroger son passé, le narrateur espère trouver explication pour l’homme qu’il est et a été, ce père mythomane qui provoque la tragédie.

Que faisait-il pendant que les quarante quatre enfants d’Izieu et sept de leurs accompagnateurs étaient arrêtés par la Gestapo sous le commandement de Klaus Barbie ? Qui a dénoncé cette colonie de vacances comme communauté d’enfants juifs ? Est-ce que ce père peut, tel un « Lacombe Lucien », avoir quelque chose à voir avec cette tragédie ?

La folie d’un père et ses retentissements sur sa famille, Sorj Chalandon l’avait déjà décrite par les yeux d’un fils, Emile Choulans, alors âgé de douze ans dans Profession du père, actuellement au cinéma sous les traits de Benoit Poelvoorde. Y étaient décrites les élucubrations d’un père qui a perdu la réalité et va entraîner son fils vers le crime. Sauf qu’un enfant ne peut se prémunir contre le délire et la violence qui terrorise la famille entière. Porter atteinte à l’enfant, c’est à jamais porter un matricule de souffrance, apparent ou pas, qui ne pourra jamais s’effacer !

Dans Enfant de salaud, l’enfant tant bien que mal est devenu adulte en s’éloignant de ce père nocif.  C’est à la faveur de ce procès qu’il reprend ses questions, là où elles sont restées vaines et sans réponse. De nouveau, Sorj chalandon réinterroge la relation avec un père défaillant qui, puisqu’il ne peut accepter sa réalité, fuit tout, tout le monde, et surtout ce fils qui l’aime tellement. Car, un fils peut tout entendre d’un père, même sa folie ! Et cet aveu d’amour transparait dans chaque ligne de ce roman !

Sorj Chalandon raconte que les phrases prononcées par le grand père du narrateur ont déchiré sa famille. Pendant le premier confinement il a profité pour interroger les archives départementales du Nord et ouvrir le dossier judiciaire de son propre père, déjà décédé. Soixante-quinze ans que celui-ci l’attendait. Avoir tant souffert d’un père cruel et violent et découvrir une épopée romanesque que le meilleur roman ne saurait inventer sans qu’on refuse d’y croire ! Quelle belle revanche pour ce fils blessé devenu romancier !

Alors de l’histoire vraie de ce père, Sorj Chalandon, le romancier, choisit de la raconter dans ce roman particulièrement réussi, en opposant deux destins, celui du bourreau d’un côté et celui d’un jeune « déboussolé », celui de la responsabilité et son parfait contraire, celle de la cruauté froide, pensée, théorisée à celle déraisonnable de la folie, de la violence érigée en système à celle subie par l’esprit malade.

De la vérité de l’intime va naître l’admiration, la réconciliation et certainement l’apaisement. Du procès dont les archives judiciaires viennent d’être versées dans le domaine public (2017), nait la parole des victimes qui se révèle et s’écoute, enfin, pour dire l’indicible. Qu’importe que Klaus Barbie (ou le père du narrateur) ne veuille (ne peuve) reconnaitre leur acte, notre attention se porte, enfin, sur ceux qu’ils ont anéanti ! Car les premiers n’ont jamais cessé, chacun à leur manière, d’attirer sur eux l’attention du monde. Et, là, ils se retrouvent reléguer au silence de leur culpabilité !

Pour l’un, coupable de crime contre l’humanité y compris pour les résistants qu’il a torturé jusqu’à leurs derniers cris ! Pour l’autre, coupable d’être, lui, le salaud qui n’a jamais pu assumer son rôle d’homme, de père pour protéger de façon simple et  ordinaire son enfant.

Sorj Chalandon a su une nouvelle fois transformer « ses larmes en encre ». Cette écriture si imagée, si sensible, tellement appréciée, permet au lecteur d’être ému, anéanti et subjugué à la fois ! Le roman se lit comme dans un souffle, d’une traite. Souhait qu’il rencontre un public large et que chacun ressente autant de plaisir à le découvrir que j’en ai eu moi-même !

Merci tellement à @EditionsGrasset et #SorjChalandon de m’avoir permis de découvrir ce roman en avant-première.

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Pour aller plus loin

Une joie féroce – Sorj Chalandon

Le jour d’avant- Sorj chalandon

 

Puis quelques extraits

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L’ardoise de l’un des enfants, oubliée au fond du pupitre. Jamais trouvée, jamais regardée. Jamais intéressé personne. Une main malhabile y avait tracé le mot » pomme ».

Un instant. Presque rien. Un sanglot privé de larmes. Le temps de graver pour toujours ces cinq lettres en moi. J’ai entendu le crissement de la craie sur l’ardoise. Lequel d’entre vous avait écrit ce fruit?

 » Change tes larmes en encre », ce m’avait conseillé l’ami François Luizet, reporter au Figaro, qui m’avait surpris, quelques année plus tôt dans le sud de Beyrouth, assis sur le trottoir, désorienté, sans plus ni crayon ni papier, à pleurer les massacres que nous venions de découvrir à Sabra et Chatila.

J’ai posé mes fleurs là, au bord de la route, sur cette tombe qui ne se doutais pas.

Tu n’aurais pas avoué, non. Tu n’avais rien à confesser à ton fils. Mais tu aurais pu m’aider à savoir et a comprendre.

Fabriquer tellement d’autres vies pour illuminer la sienne.

Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais.

Ça, que tu aurais pu me raconter. J’ai besoin de savoir qui tu es pour savoir d’où je viens. Je veux que tu parles, tu m’entends, je l’exige ! Je n’ai plus l’âge de croire mais j’ai l’âge d’entendre et d’accepter. Cette vérité, tu me l’a dois.

Mais, de déceptions en défaites, nous avions renoncé à changer le cours de l’Histoire. Lui pour mieux l’enseigner, moi pour seulement la raconter.

Comme tous, j’étais de cette jeunesse sans ombre qui pouvait regarder ses anciens en face. Et justement, ces anciens- là martelant que nous faisons fausse route et que nous revendiquer de la Résistance en 1970 n’avait pas plus de sens que de crier CRS-SS dans la rue.

Je ne pouvais feuilleter ton crime comme on parcourt un magazine.

 » Les noms de ces policiers, personne ne les a connus ou applaudis. Ces choses insignes mises bout à bout finissent par ressembler au plus pur des courages « .

Maman regardait le ciel par la vitrine. Elle avait son sourire content. Elle venait de se faire écraser par l’indifférence, la méchanceté, la saloperie de toute une administration, et elle cherchait l’éclat d’un rayon de soleil.

Toi, gamin sans culture ni éducation, manœuvre d’usine renvoyé pour paresse, qui sait tout juste lire et écrire, tu les emmenés sur tous les fronts.

Alors pourquoi encombrer les débats de son mépris ? La venue de l’homme n’apporterait pas d’éléments nouveaux aux faits qui lui étaient reprochés.

Comme moi, comme nous tous, il frémissait de cette voix sans timbre, cette litanie sans fièvre, ce kaddich murmuré.

Lorsque j’étais enfant, ton père m’avait offert ton  » mauvais côté », un petit caillou noir que j’avais caché au fond de ma poche. Mais, aujourd’hui, adulte, c’est un sac de pierres que je transportais. Je charriais ta vie de gravats et je voulais de l’aide. Tu ne pouvais pas me laisser seul avec ton histoire. Elle était trop lourde à porter pour un fils .

Enfin, tu te serais débarrassé de ces oripeaux militaires et tu aurais endossé un bel habit d’homme. Un costume de père.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Un premier extrait
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Puis un autre
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Puis le dernier

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Sorj Chalandon – Enfant de salaud

Éditeur : Éditions Grasset

Twitter :   @EditionsGrasset Instagram : @editionsgrasset

Parution : 18 août 2021

EAN : 9782246828150

Lecture : Août 2021

Littérature contemporaine

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17 commentaires

    • Oui, je le trouve vraiment très abouti surtout si on accepte qu’il revienne sur ce père défaillant. Mais, celui-ci est empreint d’espoir car non seulement, il en a fini avec cette présence qui l’a tant fait souffrir mais je pense qu’il est devenu admiratif de ce tout jeune homme capable de vivre une vie qu’un roman n’aurait pu décrire car on aurait accusé l’auteur de n’être pas crédible ! Vraiment un vrai coup de cœur !

  1. Je n’ai encore jamais lu cet auteur, mais ce livre me tente, je vais voir s’il est sur Netgalley. Tu fais fort pour cette rentrée littéraire, il n’y a pas que moi qui lit beaucoup en ce moment

  2. Un jour funeste, il a hélas quitté « Libé » mais c’est toujours un plaisir de lire ses chroniques télé dans « Le Canard enchainé »… Merci pour cet article ! 🙂

  3. J’avais lu un roman de cet écrivain, Le jour d’avant, qui ne m’avait pas trop emballée. Mais je sens que celui-ci doit être beaucoup mieux. Peut-être que je me laisserai tenter 🙂

    • Je crois être une inconditionnelle et en plus, avec celui-ci, je pense que je ne serai pas la seule 🙂

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