Delphine Horvilleur – Vivre avec nos morts

Delphine Horvilleur raconte dans Vivre avec nos morts son travail d’accompagnant sur le chemin de la mort. De la présentation d’inconnus, comme sa meilleure amie, en personnes célèbres comme Marceline et Simone, « Les filles de Birkenau », ou la psy de Charlie, et tant d ‘autres, la rabbin explique son travail auprès des vivants et donne aussi des clés de réflexion pour apprivoiser la mort.

Vivre avec nos morts pour rencontrer la vie

Nombreux sont les objets ou actions que je dédie à mes morts comme autant de cailloux pour soutenir la vie. Alors autant dire que ce titre m’est parfaitement connu ! Et pourtant, quelle provocation de sortir ce livre dans la période actuelle !

Car, dans notre société, tout est fait pour oublier la mort. Surtout pendant cette épisode de pandémie, où la majorité refuse de savoir le nombre de morts par jour en France, qui équivaut, encore aujourd’hui, aux nombre de voyageurs de deux grands cars de tourisme.

Pour continuer à vivre, la société fait la politique de l’autruche ! Ainsi sont laissés sur le bas côté, des milliers de personnes qui ne peuvent plus vivre avec la mort faute d’avoir pu accompagné leur mourant !

De plus, avec ses quatorze mois de pandémie, chacun a retrouvé, à un moment ou un autre, la peur de mourir. Habituellement, la conscience de de la mort est repoussée sur le côté de nos routes par le travail, la fête ou les loisirs, etc. Alors, affirmer, par ce titre provocateur, qu’il faut vivre avec ses morts pour pouvoir vivre avec la peur de sa propre mort, pourrait apaiser ce quotidien qui oppresse !

Et du coup, la lecture de ce livre, moitié autobiographique moitié philosophique, devient juste nécessaire au moment que nous vivons ! Il donne des clefs pour apaiser la souffrance, pour replacer le symbolique au cœur de nos douleurs, pour donner du sens à la vie et transcender notre détresse en volonté de vivre.

La mort coupe de la capacité de l’être cher à nous parler, à nous entourer et à nous chérir. Et pourtant, il nous faudra retrouver la voix et la chaleur de l’essence de cet amour pour continuer à s’extasier sur la beauté du monde et continuer à vivre !

Vivre avec nos morts pour cheminer dans leurs pas

Delphine Horvilleur écrit comme elle parle, de la langue des contes mais aussi avec des mots qui accompagnent, apaisent et écoutent. Avec son sens de la formule et ses contes bibliques imagés, l’auteure donne des clefs de compréhension de sa religion. Elle les implique aussi dans un quotidien laïc. Et ces histoires religieuses se transcrivent en philosophie pour expliquer la complexité du monde et les difficultés des hommes.

Dans ce texte, il faut noter la faculté à accepter les faiblesses et les peurs des hommes. Par son travail, Delphine Horvilleur rappelle à ceux qui vivent la façon dont la personne morte va continuer à apporter, même par son absence.

L’humour est aussi terriblement présent et renvoie Dieu dans ses cordes et qui ose lui demander des comptes. Moi, la fille bercée aux histoires de catéchisme qui se revendique athée en rougit de plaisir ! Delphine Horvilleur se définit comme un rabbin laïc ! C’est jubilatoire !

Rare sont les personnes qui arrivent à parler de la mort, donc de la vie, avec autant de simplicité, de présence et d’incarnation !

Delphine Horvilleur explique qu’en regardant la mort en face, on peut comme Moïse se retourner et voir l’avenir. Car ceux qui nous suivent reprendrons nos pas pour poursuivre leur route comme nous suivons ceux qui nous ont précédé.

L’émotion est particulièrement présente dans ce texte, on s’en doute, comme lorsque Delphine Horvilleur raconte « sa » mort d’Isaac Rabin. Car, nous le savons bien aujourd’hui, avec la mort de cet homme, c’est la paix qui ce jour-là s’est envolée des murs sacrés !

Vivre avec nos morts pour apprivoiser les fantômes

Les onze portraits dessinés par Delphine Horvilleur permettent de construire une réflexion philosophique autour de la mort, sur la peur qu’elle inspire et la consolation qu’il faut trouver pour surmonter la souffrance de l’absence. Alors, Vivre avec nos morts peut aider à faire la paix avec les fantômes !

Puis quelques extraits

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Dans la tradition juive, mille récits racontent que la mort peut vous suivre, mais qu’il existe des moyens de l’envoyer promener, et faire en sorte qu’elle n’arrive pas à vous pister.

Le propre de l’humanité est de croire qu’elle peut garder la mort à distance, créer des barrages et des récits, manigancer pour la tenir éloigner, où se persuader que des rites ou des mots confèrent ce pouvoir.

La mort a ses domaines réservés et l’on pense, en délimitant son territoire, la contraindre à se replier.

La mort était entrée dans nos lieux de vies, sans autorisation.

Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clés inédites pour appréhender la sienne Telle est ma fonction. Je me tiens au côté de femmes et des hommes qui, au moment charnières de leurs vies ont besoin de récits.

En hébreu,nos vies font tapisserie, jusqu’à ce que nous puissions en défaire les noeuds en racontant nos histoires.

Elle ( la laïcité) affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance , qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer.

Pour moi, être un  » rabbin laïc » signifie cela: accueillir comme une bénédiction le fait que jamais ma croyance ne pourra gagner d’hégémonie, pas plus au sein de la nation française qu’au sein de la tradition juive. Et se réjouir que sous le ciel il y ait assez de vide pour que chacun y reprenne sa respiration.

 » Notre père qui êtes au cieux, restez-y et nous resterons sur la Terre qui est quelquefois si jolie » écrit Prévert au XXè siècle.

Quel Dieu « grand » devient si misérablement » petit » qu’il a besoin que des hommes sauvent son honneur ? Penser que Dieu s’offusque d’être moqué, n’est-ce pas la plus grande profanation qui soit ? Grand est le Dieu de l’humour. Tout petit est celui qui en manque.

Comme le veut la tradition, j’y pose un caillou et, avec le temps, les petites pierres s’accumulent et racontent le année qui passent.

Poser un caillou sur une tombe, c’est déclarer à celui où celle qui y repose que l’on s’inscrit dans son héritage, que l’on se place dans l’enchaînement des générations qui prolongent son histoire.

Ne jamais raconter la vie par sa fin mais par tout ce qui, en elle, s’est cru  » sans fin  » .

Je la reconnais tout de suite : son mutisme de vieille juive m’est très familier. Il a toujours parlé fort dans mon enfance, c’est le silence des survivants.

.. l’histoire de deux rescapés des camps qui font de l’humour noir sur la Shoah. Dieu, qui passe par là, les interromps :  » Mais comment osez-vous plaisanter sur cette catastrophe ?  » et les survivants de lui répondre:  » Toi, tu ne peux pas comprendre, tu n’étais pas là !  » 

Simone Veil savait que le combat pour les droits des femmes est infini et que rien n’est jamais acquis.

Tel est l’engagement solennel que les juifs prennent à l’heure du passage, faire que quelque chose de celui qui part intègre leur vie pour s’unir à ce qu’ils deviendront.

Et tel est à mon sens le plus grand respect dû à la mort, se soucier de sa volonté mais plus encore de la possibilité pour ceux qui l’ont aimé de lui survivre et d’honorer dignement sa mémoire.

L’héroïsme, dès lors, n’est pas de cesser d’appréhender la fin, mais de toujours nous soucier, même du fond de notre terreur, de ce qui, à notre mort, survivra.

Et chaque génération , parce qu’elle vient après une autre, grandit sur un terreau qui lui permet de faire pousser ce que ceux qui sont partis n’ont pas eu le temps de voir fleurir.

Ici en bref

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

vagabondageautourdesoi.com
Un premier extrait
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Puis, un second
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Puis, le dernier

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Delphine Horvilleur – Vivre avec nos morts

Éditeur : Grasset

Twitter : @editionsgrasset  et Instagram : @editionsgrasset

Parution : 3 mars 2021

EAN : 9782246826941

Lecture : Mai 2021

Littérature contemporaine

Chroniques littéraires

19 commentaires

    • Lorsqu’on n’est pas croyant, comme toi et comme moi, ce livre reprend l’histoire de l’Ancien testament qui est le premier livre d’histoire. Évidemment, difficile d’être confrontée alors à la mort… Bonne continuation

  1. La thématique m a d abord rebutee. Mais l introduction de Horvilleur au livre d Amos Oz m a éblouie puis ses passages à la télévision. Tu achevés de me convaincre

  2. Je note ce titre tout de suite, je vais essayer de le trouver. Cette thématique m’interpelle tant sur le plan professionnel que personnel et j’ai vraiment envie de le lire.
    Bonne semaine

    • Tu me diras ! Oui c’est essentiel de pouvoir accompagner ceux qui restent même si, pour moi, dans ma vie d’avant, c’était difficile lorsqu’il s’agissait de maladie pédiatrique …

  3. une de mas prochaines lectures alors je reviendrai lire ta chronique (que j’ai survolée) quand je l’aurai lu
    j’apprécie beaucoup Delphine Horvilleur dont les interventions TV sont toujours intenses et chaleureuses quel que soit le sujet (la dernière en date 28 min samedi avant hier!)

    • Oui je l’ai pris en cours ! Voix chaleureuse, présence intelligente et formidable conteuse !

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