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Alice Zeniter – Comme un empire dans un empire

 

  Rentrée Littéraire 2020

@vagabondageautourdesoiPour cette rentrée littéraire, Alice Zeniter offre avec Comme un empire dans un empire une analyse affûtée des situations absurdes que rencontrent notre actualité contemporaine, à partir du récit de l’univers de trois trentenaires qui tentent d’agir sur le monde qu’ils habitent.

Antoine est attaché parlementaire auprès d’un député socialiste qui prône la sociale démocratie mais qui peine à sortir du schéma qu’il connait depuis son entrée en politique. Cela fait très longtemps. La justification de l’état d’urgence après les attentats, le refus du revenu universel et une conception très archaïque de l’organisation sociale, etc. ont  justifiés la répression policière qui a marqué à jamais un fossé entre le pouvoir et ceux qui les élisent. Sans comprendre que ces derniers demandent des comptes et ne se laissent plus berner sans réagir, ce député cherche à exister malgré tout, dans un monde qu’il ne reconnait plus. Antoine essaye de l’intérieur de lui faire appréhender ce monde nouveau en l’alertant sur un nombre de sujets contemporains, comme les gilets jaunes, le darknet, etc. Son engagement est complété par l’envie d’écrire un livre sur un amour qu’on disait absolu et qui a créé le photojournalisme moderne, le couple que forme Robert Capa et Gerda Taro. 

Elle se fait appeler L (à voix haute, on dit elle) et vit dans le monde du dedans – comprendre  Internet. Au temps des Anonymous, L appartenait au monde des Ops chargés des opérations. Maintenant, elle se tient aux confins du droit mais cherche toujours à agir. Elle tente de démanteler les réseaux de la fachosphère. Son engagement ne s’arrête pas là. Elle aide aussi  les femmes victimes de ce traçage numérique au service de la violence de leur compagnon. De plus, L vient d’assister à l’arrestation de son compagnon accusé de piratage d’une société de surveillance.  Très encombrée par un corps trop grand, L promène ses peurs du monde du dehors qui deviendront une sorte de paranoïa réactionnelle galopante au fil des pages.

Dans le roman, Xavier, un ami d’enfance d’Antoine,  est beaucoup plus effacé mais représente l’engagement du retour vers la nature. Il vit à la Vieille ferme, un terrain qu’il a ouvert à tous ceux qui veulent vivre une expérience particulière en autogestion au mode de vie alternatif. La-bas, ça vient, ça va. Tout le monde s’occupe de tout, en toute égalité. Il y a même, comme à Notre-Dame-des-Landes, des artistes circassiens. 

Antoine va connaitre L, qui elle-même fera la connaissance de Xavier. Tous les trois vont devenir interdépendants. Mais, chacun garde la marque de son engagement particulier et sa capacité à le questionner. 

L’écriture d’Alice Zeniter est ciselée. Les mots évoquent plus qu’ils ne décrivent. Son texte exige attention et calme pour être apprécié. Cette immersion romanesque est dense et riche d’émotions souvent ressenties avec plaisir.

 

Avec « Comme un empire dans un empire » Alice Zeniter utilise la fiction pour questionner la façon dont sa génération s’implique pour changer le monde contemporain. En décrivant les contours, l’auteure fixe les limites de ces différentes militances. M’immerger dans l’univers d’Alice Zeniter fut un moment que j’ai aimé passionnément ! 

Pour aller plus loin

Alice Zeniter décortique le déterminisme social, l’aspiration et le contexte socio-culturel de ses personnages. Elle étudie par ce roman notre histoire contemporaine qui a cru,qu’en renouvelant une classe politique, le sort des citoyens pouvaient changer. Ce roman, dont l’action se situe en 2019, fait le constat que rien n’a changé juste l’âge des protagonistes. Et, par ailleurs, comme le dit Xavier, ça va exploser ! Quelque chose gronde ! Cette violence est sous-jacente et omniprésente dans tout le roman.

Alice Zeiniter force le lecteur à réfléchir sur l’engagement de ses contemporains à cete nouvelle citoyenneté. Cette génération a découvert l’internet, les ressources d’une planète qui s’épuisent, la croissance économique questionnée de plus en plus et la démocratie étouffée de jour en jour un peu plus. L’auteure s’interroge sur le moyen de continuer à agir même si cela semble si dérisoire au regard du monde complexe dans lequel nous vivons.

Mais avec le personnage d’Antoine écrivain, Alice Zeniter pointe le travail d’écriture, comme une façon complémentaire de changer le monde.  Si une histoire peut être racontée vaut-elle le travail de l’écriture ? Car, c’est un travail âpre et exigeant qu’on devine fastidieux à la lecture de ce texte travaillé, comme une bonne élève qui améliore sans cesse ses devoirs, comme Antoine se définit. Et si un homme étouffe le travail de la femme qu’il aime, comme Robert Capa l’a fait avec celui de Gerda Taro,  a-t-on encore le droit de faire comme si on ne savait pas !

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L’Art de perdre – Alice Zeniter

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cite-56a4b9b45f9b58b7d0d8877bL avait sa cible de prédilection, n’agissait jamais au hasard : elle doxait la fachosphère qui se métastasait silencieusement dans les tréfonds du Net et jaillissait ensuite en mesure des profondeurs. Elle voulait la priver d’un quartier général où faire grandir ses forces.

Il avait également dit à Antoine que ses raisonnements de comptable étaient incohérents dans un contexte de militance, d’abord, et de la crise nationale, de surcroît.

Sa conception de l’aide sociale était malthusienne : il considérait que l’aide devait s’accompagner de honte, qu’il fallait cet aiguillon pour renvoyer ses bénéficiaires vers le marché du travail et la vie normée ( il utilisait ce dernier mot avec l’espoir qu’il sonne de façon moins violente que le mot  » normal », Antoine en était certain). Il pensait qu’à partir d’un certain stade, l’assistance fournie par l’État devient si confortable que ceux qui y ont droit n’en sortent plus – et qu’imaginait-il, alors ? Un cocon douillet et tiède, formé de dossiers à remplir, de chèques qui dépassaient rarement les deux chiffres, de justificatifs Pôle emploi octroyant un accès gratuit aux musées et à la piscine municipale, le tout entrelacé, presque tissé, autour du corps pauvre, du corps chômeur enfin libéré de l’effort ?

…tu ne peux pas considérer que ce jeu de gladiateurs est dégueulasse puisque tu espères toi-même en bénéficier, tu veux l’argent, tu es sale toi aussi, est-ce que ta main a bougé vers ton téléphone ?

Elle aurait voulu qu’on lui dise simplement qui étaient les Gentils et les Méchants. mais l’avocat s’entêtait à lui parler comme si la justice se rendait dans un monde peuplé de personnes en pleine possession de leurs facultés mentales, capables de différencier les fonctions et les titres, et pas de personnes frappées par un chagrin si débilitant qu’il les empêchait de savoir si hier avait eu lieu avant aujourd’hui.

Et puis il y avait les oreilles pendantes des napperons disposés aux divers coins de la pièce et qui n’avaient aucune utilité mais rappelaient qu’une maîtresse de maison s’était usé les mains et les yeux pour que vous vous sentiez bien ici, c’était l’HOSPITALITE crochetée à la main, ces napperons, et ils avaient quelque chose de christique parce que, franchement, passer des heures pour obtenir ce résultat esthétique plus que douteux, c’était un sacrifice- ça ne pouvait pas ne pas être,la mère d’Antoine n’avait quand-même pas de la merde dans les yeux, personne n’en avait autant, pas jusqu’à aimer les napperons, les napperons étaient donc des signes. Plus la maison surfait: Installe-toi, mets-toi à l’aise, fais comme chez toi, plus Antoine avait voulu en partir.

Le pouvoir créait autour de son détenteur une aura de fascination, de quasi- hébergement qui rendait difficile, presque impossible, de lui refuser quoi que ce soit.

Ça n’avait pas été une vraie jeunesse que celle épuisée sur les routes étroites.

Parfois, elle se disait que si les femmes aux murmures inquiets insistaient pour la payer, c’était pour ne pas avoir ensuite à entendre ses conseils, pour la cantonner à la mission précise qu’elle venait d’effectuer.

Ça manquait de chevaux mais c’était le même chaos où qu’on se tourne, les mêmes gestes violents, la même impression qu’on ne pouvait ni fuir, ni combattre parce que, pour ça, il aurait fallu savoir où commencer et c’était un savoir impossible, entre !es masques et les casques, les charges et les fuites, les sirènes et les sommations.

Cette colère là, tu ne peux pas la crier, tu ne peux pas la coller sur une banderole, c’est beaucoup trop chaud, Il faut autre chose.

Ils se contentaient de qualifier l’état des choses après l’événement, ils disaient ce qui était arrivé au matériel mais pas aux humains. Ils effaçaient Bruno. ils effaçaient les coups et les hématomes, les quintes qui froissaient les poumons, le désir de violence et l’envie de mourir.

Le député avait atteint une limite que son engagement social ne lui permettait pas de franchir : il ne pouvait pas menacer un employé de le renvoyer. Où plutôt si, mais sans prononcer les mots. Il faisait exister la menace mais il n’allait pas jusqu’à en préciser nommément la nature, cela lui aurait semblé trop violent, sans doute.

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

@vagabondageautourdesoi

 

 

Comme un empire dans un empire – Alice Zeniter

Éditeur : Flammarion

Parution : 19 août 2020

ISBN : 9782081515437 

Lecture : Août 2020

21 commentaires

    • Oui, on retrouve son grand talent d’écriture. Il devrait être rapidement en médiathèque 😉

    • Ravie que ce roman te plaise. J’espère qu’il sera récompensé à sa juste valeur. Je lirai ton avis avec plaisir 😃

    • Alors je serai ravie de lire ton avis. Bonne semaine Eveline 🔤✏️📓🖍️📗

  1. Coucou
    Une auteure dont j’ai entendu prler mais que je n’ai jamais eu le temps de découvrir. Ce livre a l’air dense et intéressant

  2. Tu mets très bien l’accent sur la densité du propos et l’ambition du travail de l’auteure, deux éléments sur lesquels je te rejoins, c’est d’ailleurs sa marque de fabrique que j’aime et admire. Reste que pour moi la lecture fut bien plus fastidieuse que plaisante et je crains qu’elle n’en rebute plus d’un. Mais l’avantage avec Zeniter c’est que plaisir ou pas, on n’a jamais l’impression d’avoir perdu son temps.

  3. le sujet me tente, mais pas tout de suite, j’ai encore besoin de ne pas trop me torturer les neurones…
    J’ai beaucoup aimé « L’art de perdre » alors je ne peux pas m’abstenir 🙂

    • Oui, comme je le disais à Renée, cette rentrée est tellement particulière qu’il faut seréserver des temps pour se faire du bien 🙂

  4. Une belle présentation mais je doute d’arriver a suivre sur la durée du livre c’est trop sérieux et j’ai bigrement envie de légèreté et d’évasion. Bisous

    • C’est vrai qu’en cette rentrée particulière il faut se faire plaisir ! Bonne soirée

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