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Le monde n’existe pas-Francis Humbert

@vagabondageautourdesoiPrix littéraire Lucien-Barrière du Festival du film américain de Deauville 2020

Retrouver sur un des écrans de Times Square le visage du héros de son collège, et accessoirement celui qui a éveillé ses émois amoureux d’adolescents, accusé du viol et du meurtre d’une jeune mexicaine plonge Adam Vollmann dans un abîme de réflexions !

Du coup, « journaliste en chambre » plutôt que sur le terrain, Adam Vollmann convainc son rédacteur en chef de mener l’enquête au cœur de la ville de Drysten où a eu lieu le drame.

Ethan Shaw, éclatant de jeunesse et de beauté, est comme un demi-Dieu de l’Antiquité extraverti aimé par tous ses copains et copines. Sauf que le jeune Adam Vollmann était en réalité Christopher Mandel, complétement introverti qui vivait sa vie dans les livres et n’a plus rien à voir avec cet Adam et ses vingt kilos de muscles en plus, son costume sombre serré et son crâne chauve.

La jeune fille s’appelait Clara Montes. Du haut de ses seize ans, elle devient omniprésente sur les chaînes d’infos. Les caméras traquent le moindre témoignage et le moindre détail pour déverser leurs informations. Prêts à tout, ces pseudos-journalistes épient leurs victimes pour gaver les spectateurs.

Dans « Le monde n’existe pas « , Francis Humbert dénonce ces informations qui deviennent obsédantes et omniprésentes. Dans cette surenchère, l’auteur explique le prix à payer pour assouvir cette soif d’images et de commentaires, toujours plus impudiques et intrusives. Au point que la réalité peut rapidement devenir une fiction et vice versa.  Évidemment, je tairais les ressorts de cette enquête journalistique menée de main de maître  par Adam Vollmann

Francis Humbert entraîne son lecteur dans un monde où Fake News et  réseaux sociaux avec leurs bots associés travestissent une réalité de plus en plus floue. Alors, évidemment, tout s’emmêle, le faux devient vrai et le vrai devient faux. Et de digressions en digressions, Fabrice Humbert embarque vers son monde avec des références hollywoodiennes où cette Amérique sublimée est évidement irréelle. Qu’importe car ce n’est que de la fiction !

L’important dans cette écriture si maitrisée est la réflexion qu’elle induit. Car, comme à chaque roman, Francis Humbert sait déplacer le curseur pour que la situation qu’il présente permette au lecteur d’en analyser les différents points de vue. De cette boule à facettes, Francis Humbert bouleverse les représentations et les certitudes pour y faire entrer le doute et se poser à chaque fois la question de l’identité. Grande réussite que ce nouveau roman que j’attendais !

Comment vivre en héros – Francis Humbert

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J’ai été triste, désespérément triste, parce que j’étais abandonné ; parce qu’il m’avait ouvert la porte des secrets et qu’il l’avait refermée, parce qu’il avait éveillé les désirs et les avait etreints; parce qu’il m’avait donné accès à une autre vie, où je ne serais jamais seul, pour me rejeter dans la solitude. Parce qu’il avait été le maître et qu’il m’avait délaissé dans l’angoisse d’une servitude sans objet.

Tu ne seras pas le premier à régler des comptes sous le couvert d’un article.

Il arrive un moment, dans une existence, où l’on comprend qu’on n’est que soi-même mais qu’il y a peut-être une force suffisante dans ce seul moi, dans ce petit mot pétri de doutes, de failles et d’insuffisances. Et c’est à soi qu’il faut poser les questions.

Simplement, je me souvenais de cette notion de souillure essentielle aux tragédies : la cité est souillée par un élément étranger et l’action consiste en l’effacement de cette souillure.

En Amérique, la politique est un divertissement. Les présidents sont des acteurs à la retraite, des présentateurs d’émissions de télé-réalité et, lorsqu’ils ne le sont pas, c’est qu’il ont passé trop de temps à jouer des rôles dans la vie pour le faire devant une caméra. En revanche, rien n’est plus politique que le divertissement. Depuis cinquante ans, Hollywood a plus fait pour la puissance américaine que tous les présidents réunis.

La beauté n’est pas l’unique but de l’art, loin de là, mais elle est parfois son seul pouvoir.

Il y a toujours quelque chose en moi qui veut convaincre celui qui me hait. Et je sais bien pourquoi : c’est parce-qu’une part de moi estime qu’il a raison. (…) S’il a compris que je ne valais rien, l’Autre a raison devant moi. Sur moi. Contre moi. J’ai beau avoir sculpté un nouvel être, il ne s’est érigé que sur les ruines du précédent, et c’est ce fantôme qui me hante et qui donne le droit à Paul de me faire mal.

Fake est le nom de code du monde moderne.

Je prétends que tout ce que nous vivons est un livre ou un film. En tout cas une fiction, recomposée ou non. Le film en cours s’intitulait Retour à Drysden. Je logeais dans un décor de film policier. La route qui serpentait dans les montagnes était celle de Shining. Comme dans le film de Kubrick, une caméra dans un hélicoptère avait filmé le trajet de la voiture. Drysden n’existait pas. Le monde n’existe pas. Le monde est une histoire pleine de bruit et de fureur.

J’ai appris à l’école que le reporter, pressé à l’origine par le mode de communication du télégraphe, répondait aux « 5 W » : who, what, where, when,why- qui, quoi, où, quand, pourquoi ? Hemingway dit qu’il est l’inventeur des 5W. Bien sûr, il ne l’est pas. Fiction. Le monde n’existe pas.

Et aussitôt le tweet a été commenté par des millions d’autres tweets, analysé à la radio et à la télé, répercuté par l’immense et folle caisse de résonance du monde. L’épuisante société du bavardage. Je suis resté dans mon coin, comme d’habitude.

Tout le monde parle et tout le monde ment. Ce n’est pas grave, les mots sont là pour ça, j’y suis habitué. Les gens racontent des histoires, et souvent ils y croient

De même qu’un coup de poing au cinéma n’a rien du son d’un vrai coup, l’environnement sonore est une réinvention. Le bruit véritable d’une explosion d’obus n’a encore jamais été entendu au cinéma, parce qu’il ne correspond pas aux attentes des spectateurs : les explosions d’obus sont en fait des éclatements de bidons vides parce que l’écho de leur vacarme épouvantable est plus évocateur que l’explosion sourde d’un obus. De sorte que des sons que nous croyons reconnaître n’ont jamais existé dans la réalité. Ils ne sont que des imitations d’illusions.

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

Le monde n’existe pas – Francis Humbert

Éditeur : Gallimard

Parution : 23 janvier 2020

 EAN : 9782072880315 

Lecture : Juin 2020

12 commentaires

  1. PS j’ai noté « L’origine de la violence » et « Avant la chute » sur les conseils de Krolfranca tir groupé si on reconfine 🙂 🙂

    • J’admire de faire ainsi une compilation d’un auteur. J’en suis incapable en tout cas, pas à la suite ! 😉 Je suis du genre cigale à changer d’univers à chaque livre !

      • si le premier que je me plaît j’aime bien en enchaîner un 2e mais après j’appuie sur pause, trop de monde dans ma bibliothèque 🙂

    • Choisis celui dont le sujet t’attire le plus ! Pour ma part, cette réalité journalistique et les Fake news m’interrogent bcp. Si une partie de nos compatriotes sont incapables de faire la différence, c’est qu’il y ait eu un raté quelque part …j’ai ma petite idée mais sûre que apprendre à aborder une idée avec réflexion pour en considérer tous les aspects sont des éléments de la réponse. Dans ce roman, où l’évidence est faux, c’est vertigineux ! Bonne journée 😉

    • J’aime bcp l’écriture de Francis Humbert que j’avais découvert avec La fortune de Silla. Et depuis, j’attends tjs la sortie de ses romans avec impatience et j’ai failli rater celui- là. Cela aurait été vraiment dommage tant il est encore réussi !😉

    • Est-ce que tu as déjà lu des autres romans de cet auteur ? Au plaisir de lire ton avis. Bonne journée 😉

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