Les choses humaines – Karine Tuil

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2019

Prix Interallier 2019

Prix Goncourt des lycéens 2019

vagabondageautourdesoi.com - Karine Tuil

L’actualité est le fond de commerce de l’écriture de Karine Tuil. Alors après #MeeToo et #Balancetonporc, il semblait attendu qu’elle s’attaque dans son nouveau roman « Les choses humaines », paru pour la rentrée littéraire 2019 pour le compte de Gallimard, au pouvoir, au sexe et au viol.

Le roman est bâti en trois parties : la première pose le décor, la problématique et les personnages. La seconde raconte le  viol, l’arrestation de l’agresseur et les difficultés de la victime à se faire entendre. La troisième raconte l’instruction, le jugement et le verdict.

Au cœur du pouvoir,

Les Farel font le buzz : Le père, Jean, vieux briscard de la communication, un self-made-man septuagénaire, qui en traversant tous les coups bas et courants médiatico-politiques, a réussi à garder « son « audience dans son émission. On croit reconnaître un « Ardisson » ou un « Bourdin » tant le portrait est finement présenté.  Sa femme, Claire, beaucoup plus jeune, est invitée dans tous les médias pour commenter l’actualité sous l’angle de ses engagements féministes. Essayiste de profession, elle a quitté Jean pour l’amour simple et sensible d’un homme de l’ombre, Adam , enseignant en rupture par rapport à sa famille juive orthodoxe. Jean et Claire ont un fils qu’ils ont oublier d’aimer mais qui, inscrit à l’université de Stanford (Californie), semble avoir sa réussite toute tracée, malgré un chagrin d’amour toujours sensible.

Cet avenir restera une utopie: le viol de Mila, fille d’Adam, par Alexandre, fils de Jean et de Claire, agira comme une déflagration qui fera tout explosé.

Juriste de formation, Karine Tuil décrit minutieusement l’instruction et le procès. En relevant au fur et à mesure, le ressenti de chacun, avec justesse et précision, Karine Tuil analyse les deux aspects du problème de la zone grise du consentement : la sidération de la victime qui se sent coupable d’avoir bu et fumé et le déni de l’agresseur qui ne peut reconnaître sa propre violence tant elle bouleverse l’image qu’il veut donner lui-même.

Comme le rappelle le juge aux jurés

 » Il n’y a pas une seule vérité. On peut assister à la même scène, voir la même chose et l’interpréter de manière différente. » C’est le degré de pouvoir exercé par l’agresseur sur sa victime qui est jugé. En ne prenant pas partie, Karine Tuil oblige le lecteur à se confronter à son propre ressenti.

Moi la féministe convaincue, j’ai eu du mal à être complètement à l’écoute de la détresse de Mila et j’avoue en avoir été assez déstabilisée. Est-ce la présence de sa mère, très engagée dans l’extrémiste religieux ? Est-ce le pouvoir de la réussite qui m’a embuée ? Est-ce ce côté jeune fille trop « pleureuse »  qui m’a un peu exaspérée ? Qu’importe ! C’est la preuve que Karine Tuil a un véritable talent de narration puisque ces personnages tellement réels qu’ils nous interrogent longtemps après que le livre soit refermé !

En analysant toutes les formes de pouvoir, ces choses si humaines  analysent la violence dans plusieurs situations: la violence des « punchlines » que nous subissons au détriment de la compréhension du fond, la violence de celui qui sait parler et qui aveugle pour nous empêche de penser, la violence des relations aux travaux, le pouvoir que peuvent procurer la culture et le savoir lorsqu’ils se font méprisants, etc. et bien sûr la violence que certains hommes exercent sur les femmes.

Comme Claire reconnaissons que nous n’avons pas « pu faire comprendre à » tous nos fils « qu’un désir ne s’imposait pas par la force ». Les interventions répétées de l’agresseur pour prouver que la force employée ne pouvait qu’être que jeux sexuels habituels montre le défaut d’éducation. Toujours comme le souligne Claire, nous avons pourtant appris à nos filles se « protéger des assauts des hommes« . Cette prise de conscience que relate la romancière et qui débouchera, je le souhaite, sur la définition de nouvelles masculinités et féminités.

Mais, la description de notre modernité passe aussi par la dénonciation des faux-semblants dont notre époque est friande : dire et faire le contraire. Jean s’est inventé une enfance pour oublier qu’il s’appelait Johnny. Lui, le mâle macho, il vit une double vie avec une femme devenue dépendante et l’accompagne sans faillir. Son fils est accablé par un chagrin d’amour qu’il n’exprime qu’en harcelant…Rien n’est comme il s’affiche. Tout est spectacle et illusion.

Et lorsque le système est ébranlé

(la voix de Mina qui retrouve clarté et écoute) rapidement les jeux de pouvoirs se renouent : Que pensez-vous qu’Alexandre fera après son procès ? Je vous laisse le découvrir…

 Comme lors de ses précédents romans, Karine Tuil dévoile dans « Les choses humaines » les faiblesses et les remous de notre société. C’est brillant et si juste que le roman se lit facilement malgré le goût quelque peu amer qu’il nous laisse après sa fermeture tant l’exactitude de ce qu’elle décrit nous titille encore longtemps !

Puis quelques extraits

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« La maladie est la zone d’ombre de la vie, un territoire auquel il coûte cher d’appartenir. En naissant,nous acquérons une double nationalité qui relève du royaume des bien portants comme de celui des malades. Et bien que nous préférons tous présenter le bon passeport, le jour vient où chacun de nous est contraint, ne serait-ce qu’un court moment, de se reconnaître citoyen de l’autre contrée » La maladie comme métaphore. Susan Sontag .

Quand elle avait appris qu’elle était guérie, elle avait décidé de vivre avec l’intensité que seule la conscience aiguë de sa propre mortalité rendait possible.

. désormais, le bonheur ne s’obtenait plus que sur ordonnance.

Tu ne veux pas mieux qu’une stagiaire et elle au moins on la baiser!

Dés qu’on a un peu de pouvoir, tu es déférent mais si on n’a plus rien à t’offrir, tu deviens méprisant.

Et, encore…

La zone grise, c’est une zone inventée par les hommes pour se justifier, dire : les choses n’étaient pas claires, j’ai pensé qu’elle voulait, je me suis trompé, et passer à autre chose sans avoir à se sentir coupable ni rendre des comptes pour le mal qu’ils ont fait. Moi j’étais claire ; je ne voulais pas. S’il ne s’était rien passé, pourquoi est-ce que j’aurais été porter plainte ? Tu ne sais pas ce que ça fait d’être nue devant des inconnus, d’écarter les jambes… Imagine-toi cinq minutes… Mets-toi à ma place, pour une fois ! On m’a introduit plusieurs coton-tiges dans le vagin, on m’a donné des médicaments, un traitement préventif du VIH, on a introduit des embouts dans mon sexe pour voir à l’intérieur en commentant à chaque fois comme si j’étais une zone d’expérimentation et on m’a donné une pilule du lendemain. On m’a fait des analyses pour déterminer si tu m’avais transmis une MST, le VIH, j’ai cru mourir de peur en attendant les résultats, après tout, je ne savais rien de toi… Après plusieurs heures, j’ai enfin eu le droit de me doucher et alors j’ai pleuré et j’ai frotté ce corps que je détestais, je l’ai frotté jusqu’au sang, jusqu’à me faire un eczéma géant… Alors peut-être que moi, je n’ai pas tes mots ni ton langage, toi tu parles bien, tu es surdiplômé, on connaît même ton score en trail, façon de dire ; on ne va quand-même pas détruire la vie d’un jeune homme qui a fait Stanford et est capable de faire cinquante kilomètres en moins de quatre heures pour cette nulle qui a redoublé sa terminale et n’est même pas capable de contrôler son poids ? Tu as détruit ma vie et je veux avoir une chance de me reconstruire. Mais pour cela, je voudrais qu’aujourd’hui tu reconnaisses le mal que tu m’as fait. 

Et, encore, encore…

C’était ça, la violence: le mensonge – une représentation falsifiée de son existence. Le déni : la voie qu’elle avait substituée au réel pour pouvoir le supporter.

Il n’y a pas une seule vérité. On peut assister à la même scène, voir la même chose et l’interpréter de manière différente.

Elle avait échoué. Sa mère lui avait appris à se protéger des assauts des hommes, mais elle n’avait pas pu faire comprendre à son propre fils qu’un désir ne s’imposait pas par la force.

En bref,

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus vagabondageautourdesoi.com - Karine Tuil

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Questions pratiques

Les choses humaines – Karine Tuil

Éditeur : Gallimard

Parution : 27 août 2019

ISBN : 2072729335

Lecture : Septembre 2019

Littérature contemporaine

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Chroniques littéraires

27 commentaires

  1. il fait partie de ma liste spéciale rentrée » 🙂
    j’ai beaucoup aimé « L’insouciance » où la plume était déjà acerbe alors bien que le thème me rebute car trop d’actualité hélas, donc je me lancerai 🙂

  2. Le sujet m’attire mais le livre me semble pas facile a la lecture du mois comme c’est présenté…ces 3 partie trop distincte me rebute un peu surtout la partie procès ça doit être fastidieux…enfin c’est mon ressentis en lisant ici. Bisous merci quand même

    • Oui, la partie procès est celle un peu lente, tu as raison! Mais rien n’empêche de sauter les lignes ou certains paragraphes ou même des pages ! C’est le lecteur son propre roi …ou reine 😆. Bonne semaine, Renée !

  3. Bonjour Matatoune. Tes chroniques sont toujours passionnantes et tu m’as donné envie de lire ce roman, bien que le sujet ne m’attire pas. Trop à la mode comme le dit Pat0212. Bonne journée

    • J’avoue que j’aime me plonger dans des histoires du monde d’aujourd’hui. Elle m’aide à le comprendre. Bonne journée aussi Brigitte !

    • Merci Gwenn, je crois que ce livre devrait faire parler de lui pour un prix littéraire tant son écriture est maîtrisée et son sujet d’actualité ! Bonne semaine !

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