Ceux qui partent – Jeanne Benameur

Une écriture en forme de poème avec la liberté du roman, voici le nouveau livre de Jeanne Benameur « Ceux qui partent » paru chez Actes Sud pour la rentrée littéraire 2019.

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Cette histoire permet à Jeanne Benameur de décrire une journée et une nuit à Ellis Island (NY) au travers d’une galerie de personnages au moment des années 1910.

« La ville du jour neuf » est la porte d’entrée pour les migrants sur le sol américain. Après la vague d’immigration importante nécessaire aux développements économiques de la jeune nation américaine, en 1910, les portes commencent à se fermer et du coup, on trie, on sélectionne, on refuse…

Jeanne Benameur s’interroge sur la notion de pays, de langue, d’exil, des motifs économiques ou politiques de l’émigration mais aussi de départ volontaire pour se libérer des failles et des douleurs et booster sa vie.

Comme pour  Emilia,

jeune institutrice et peintre abstraite qui attend de ce nouveau pays, un renouveau, une nouvelle naissance. Son père, Donato Scarpa, acteur italien, l’accompagne pour la protéger dans cette quête de liberté et d’indépendance. Accompagné de son livre fétiche, L’Eneïde d’Enée, sa lecture l’accompagnera et rassurera aux heures les plus tristes plus que lui-même. Esther, une jeune femme arménienne qui fuit les persécutions de son pays, rêve d’habiller des corps qu’elle imagine souples et libres d’entraves. Gabor, un tzigane, cherche avec sa communauté à s’implanter, son violon en bandoulière pour exprimer ses émotions. Que découvrira-t-il ici à Ellis Island qu’il ne savait déjà ! Autour d’eux, un photographe, Andrew Jonsson, jeune américain de père islandais et d’une mère attachée à ses ancêtres proches de ceux des pionniers, attiré par ce lieu de passage, recherche en photographie plus qu’un bon cliché …

L’exil, Jeanne Benameur l’a connu. Fuyant la guerre d’Algérie à cinq ans, ses parents s’installent en France. Son père est algérien et sa mère italienne. Deux langues ont bercé son enfance, l’arabe et le français.

En prenant cet espace temps réduit, Jeanne Benameur détaille comme une incantation le moment de l’attente où chacun doit maitriser sa peur en prenant le temps et l’audace de préciser, de conforter ses désirs pour être prêt à ce passage qu’est l’arrivée dans un nouveau pays. Entre espoir et doute, mais toujours, détermination…

La langue est poétique.

Elle décrit comme un cantique la rencontre à l’autre par la parole, les corps et la sensualité. J’ai aimé lire ses mots qui souvent par leur beauté assemblée provoque émotions. Quelquefois, ces évocations répétées lassent mais d’un coup, la beauté des mots assaille, l’émotion submerge et le sens inonde de justesse le ressenti.

Jeanne Benameur nous parle aussi de ses passions, de celles qui aident à vivre : la photographie, la musique, la littérature, la peinture, la mode. Elles sont disséquées pour justifier l’apport qu’elles donnent à celui qui a la chance de s’émouvoir par un son, un tableau, un livre ou un tissu.

Dans « Ceux qui partent », Jeanne Benameur permet à tous ses personnages de trouver de nouvelles couleurs à leurs vies: rouge pour Emilia, gris pour Andrew, bleu azur pour Esther, opale comme les yeux de Grazia pour Donato.  Tout au long de sa lecture, je n’ai cessé de penser à ses yeux qui nous regardent du bord des bateaux en Méditerranée…Ma couleur alors est celle du noir…

Profanes – Jeanne Benameur Grand Prix RTL LIRE 2013

Puis quelques extraits

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Quel âge avons nous lorsque nous dormons ? A qui donnons- nous la main dans nos rêves ? Les vivants et les morts ne sont-ils pas attablés ensemble , simplement, parce-que nous les aimons et que la nuit, plus rien ne marque de frontière ?

Comme sur le bateau, il lit pour tous ceux qui ont besoin d’entendre autre chose que les ordres ou les plaintes. Il lit parce-que la voix humaine apaisé et qu’il le sait.

..toute leur vie d’avant. Leur vie. Leur monde. Leur monde à eux. Ce monde qu’ici peut-être personne ne voudra connaître. Et » peut-être » est si proche de « jamais ». Si jamais personne connue veut d’eux, de ce qu’ils sont vraiment, comment vont-ils vivre? Dans quel regard vont-ils trouver le respect qui donne la force de vivre.

Les mots écrits, ceux des livres, enseignent mais ils préservent aussi, même s’ils racontent les choses les plus folles et les plus cruelles, parce qu’ils ont été écrits par quelqu’un qui a pris le temps de les penser.

Attendre c’est mourir salement. Ça pue l’espérance.

Une main qui caresse justement un corps est une main que la sagesse la plus ancienne guide.

Et encore

Alors je leur parle parfois, dans notre langue, parce-que la langue est une terre aussi. Je ne le raconte rien de la vie d’ici parce-que cela ne l’intéresse pas. Je lui dis le nom de chaque fleur. Dans notre langue. Pour qu’elle se fasse un bouquet là où elle est.

Oh, pas les failles de la grande histoire, non, mais celles qui fissurent implacablement la vie de ceux qui partent, et celles, peu spectaculaires de ceux qui restent. Après tout, il suffit de bien peu parfois, une couleur sur un tableau, un sourire sur une photographie, un mot dans un livre , et nous voilà atteints dans nos failles, ramènes loin, loin, là où nous savions même plus que nous avions vécu et éprouvé. Et nous sentons se raviver et se réparer peut-être tout à la fois ce qui fut un moment de notre vie.

On ne construit donc pas que pour les vivants.

Comme sur le bateau, il lit pour tous ceux qui ont besoin d’entendre autre chose que les ordres ou les plaintes. Il lit parce-que la voix humaine apaisé et qu’il le sait.

Quel âge avons nous lorsque nous dormons ? A qui donnons- nous la main dans nos rêves ? Les vivants et les morts ne sont-ils pas attablés ensemble , simplement, parce-que nous les aimons et que la nuit, plus rien ne marque de frontière ?

Le violon dit que le désir est tout. Tout. Et qu’avec le désir on peut vivre. Il chasse le marasme de l’attente et de la peur de tout ce qui les guette, dans quelques heures, dans quelques jours. Il dit que chacun a dans le cœur le souvenir des jours heureux , de ceux qui font revivre de toute son âme quelque part: Ailleurs. Et qu’importe que la terre soit aride et le regard des gens encore soupçonneux.
On émigre: on espère.

D'habitude, je ne partage pas mes lectures lorsqu'elles ne m'ont pas plue ! Mais, là, c'est le livre qui se vend à plus

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Ceux qui partent – Jeanne Benameur

Éditions Actes Sud

Parution : 21 août 2019

ISBN : 2330124333 

Lecture: Août 2019

Littérature contemporaine

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Chroniques littéraires

20 commentaires

  1. Cette auteure est celle du trimestre sur notre forum, je vais peut-être essayer, même si à-priori ce n’est pas mon style, mais ta présentation me fera peut-être changer d’avis.
    Bonne soirée

    • Oh, bravo! Pour moi, cela fait le second et j’avoue être transportée par son écriture ! Au plaisir de te lire. Bon weekend.

    • Ravie qu’il plaise. Il faut du temps et de la disponibilité pour  » déguster » ce nouveau roman. Bon weekend

    • Exil, un nouveau pays , certainement, réinventé par chacun qui met de l’espoir dans l’ailleurs !

  2. j’aime beaucoup l’auteure même si certains de ses livres me plaisent plus que d’autres donc celui-ci est dans ma PAL bien-sûr 🙂

    • Tout à fait . Ta chronique sur https ://alexmotamots.wordpress.com le démontre clairement !

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