Les gratitudes – Delphine de Vigan

Un coquelicot sur un fond noir en couverture, c’est le premier cadeau du nouveau roman de Delphine de Vigan, « Les gratitudes ». Après le roman Les loyautés, paru il y a tout juste un an, Delphine de Vigan explore les liens invisibles qui nous rattachent aux autres. Un troisième livre est en cours sur l’ambition, semble-t-il !

Michèle Seld, surnommée Michka par son entourage, est une femme âgée qui, un jour, découvre qu’elle ne peut plus bouger et ne peut plus être autonome ! Les cauchemars l’envahissent. Elle a peur de tout.

Après cet accident vasculaire, la canne lui permet de se promener un peu partout. Mais, la perte la plus terrible est cette aphasie qui ne cesse de s’aggraver en la privant du juste mot, elle qui en était amoureuse au point de passer sa vie professionnelle à les corriger !

Des mots qui se font la malle ! Et du coup, elle perd petit à petit la justesse de son langage, la transmission de ses émotions, l’expression de ses souvenirs et le sentiment de ne plus être à sa place parmi les autres. Avant de perdre tous les mots, elle a une requête : retrouver un couple pour dire merci…A vous de découvrir pourquoi en lisant le livre !

Vont accompagner Michka dans sa descente aux enfers mais aussi dans ses gratitudes, devenues impérieusement nécessaires pour mourir en paix, Marie, sa presque fille, que Michka a su aider dans sa résilience et Jérôme, son orthophoniste qui essaye de ne pas lui faire perdre trop vite le sens des mots et leurs expressions justes.

La vieillesse est un abîme pour toutes les pertes physiques qu’il nous faut accepter. Mais lorsque le cerveau usé, lui-aussi, fait faux bond en oubliant trop ou trop vite ou en ne permettant plus aux mots d’exprimer ce que nous sommes, alors c’est un gouffre où la mort devient douce !

Delphine de Vigan décrit simplement cette descente sans faux semblant avec intelligence et émotion. C’est de l’empathie qui coule dans ce roman mais aussi une infinie tendresse pour ce personnage qui doit, je le pense, avoir eu quelques relations avec une femme bien réelle! Avec beaucoup de justesse, elle interroge la façon d’accompagner le grand âge : le premier et le seul, peut-être, qui n’est pas rentable et pour lequel, on continue à penser gros sous et économies !

L’objet de ce roman est aussi la nécessité, devenue de plus en plus indispensable lorsque les jours filent, de pouvoir remercier ceux qui vous ont aidés soit à sortir d’une douleur, d’une absence ou d’une souffrance soit par leur attention effacée sur vous et votre devenir… Ceux qui vous ont soutenu, comme une canne invisible, pour que, avec la force de l’affection, la dépression, la folie, la mort peut-être s’échappent peu à peu de vous et vous ouvre à votre plaisir de vie.

Michka dit « Merki »! Par une chaîne de tendresse, elle transmet ainsi sa gratitude ! Si gratitude s’entend comme le terme mystique « rendre grâce », alors Michka a un besoin impérieux de restituer cet amour reçu.

C’est peut-être le bénéfice de l’âge de savoir à qui dire merci et d’avoir envie de le dire. Qu’à 20, 30 ou 40 ans, on ne dise pas merci, c’est normal ! On regarde l’avenir et pas encore le passé ! On pense qu’on a le temps… Il faut que la vie s’échappe ou se soit déjà échapper pour savoir que le fil peut casser, n’importe quand ! Du coup, on tient aux êtres différemment…

Mais, les deux autres personnages ont eux aussi l’occasion d’exprimer leurs gratitudes. Avant que les mots ne soient plus compris, Marie exprime sa gratitude pour la femme qui l’a accompagnée tout au long de sa vie.

Et, la gratitude du soignant! J’attendais avec impatience et inquiétude ce portrait d’orthophoniste ! Delphine de Vigan réussit à décrire sa relation avec respect, affection et professionnalisme. La fiction nécessite que ce personnage sorte quelque peu de son rôle mais qu’importe! Delphine de Vigan le rend messager de la gratitude de cette vielle femme envers ses sauveurs et c’est bien souvent ce que font les soignants: remettre du lien, du liant dans la relation de la personne accompagnée avec son entourage ! Et, la gratitude de Jérôme est de pouvoir rendre sourire et apaisement à une veille femme en étant touché par sa sensibilité !

On est loin ici de tous ses ouvrages de développement personnel qui font une bible de la gratitude ! Le talent de Delphine de Vigan est de nous plonger dans notre propre vie, au cœur de nos ressentis, mais aussi nos peurs.

Peur de la vieillesse et de perdre les mots qui sont pour moi un tel bonheur ! Peur de mourir et de laisser cette vie que j’aime tant, même si les larmes ont souvent précédées ou suivies les rires !

Peur de ne pas dire assez à ceux que j’aime qu’ils m’ont aidée à poursuivre mon chemin en disposant des galets de tendresse pour que je puisse continuer d’avancer !

Peur de perdre ma Michka à moi à qui j’ai déjà expliqué combien elle a compté ! Mais comme l’oubli est là… Ma Michka à moi qui remplit des carnets de merci pour rendre grâce au Dieu qu’elle aime tant !

Les livres sont des rencontres dont on n’échappe pas ! Si ce livre vous « parle », alors lisez-le, vous ne serez pas déçu (e)! Si pour une raison ou une autre, cela vous paraît difficile, impossible, vous dérange, alors ne vous forcez surtout pas … peut-être plus tard ou jamais, qu’importe ! La littérature est un moyen d’appréhender le monde différemment. L’auteure peut se rassurer le monde est plus beau après sa lecture !

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  • Madame Seld, vous êtes entrain de passer un entretien de recrutement pour obtenir une place en Ehpad(…) Il s’agit de nous montrer le meilleur de vous-même car nous recevons d’innombrables candidatures, dois-je vous le rappeler ?

Quelques minutes plus tard, une femme entre dans la chambre pour lui proposer une collation. Un petit jus de pomme avec une petite paille et un petit gâteau emballé dans un petit sachet. Les mêmes qu’au centre de loisirs.

Quand je raccroche c’est mon impuissance qui m’assaille et me laisse sans voix.

Quand je les rencontre pour la première fois, c’est toujours la même image que je cherche, celle de l’Avant.

N’y a-t-il pas une déviation, un embranchement, un itinéraire bis qui permettrait d’échapper au désastre ?

Ici, attendre est une occupation à part entière.

Parfois il faut assumer le vide laissé par la perte.Renoncer à la faire diversion. Accepter qu’il n’y a plus rien à dire.

Me tenir assis, près d’elle.Lui prendre la main.

C’est un film très beau sur l’origine des choses, sur ce que chacun fait de là d’où il vient.

… je ne suis pas sûre que j’aurais pu…me relever. Sans toi.

a noter
page 95
page 115
page 130

Les gratitudes – Delphine de Vigan

Éditeur : J. C Lattès

Parution : 6 mars 2019

ISBN : 2709663961

Lecture : Mars 2019

26 commentaires

  1. Il me semble que je l’ai dans la liseuse mais j’en commande pas mal en même temps est suis même en retard de lecture…on verra quand…
    Etrange car je reçois la news du cubisme et je vois que depuis il y a eu pas mal d’article…comprends pas bien. Bisous

  2. Le livre a l’air très touchant et plein de sensibilité…
    Je ne pense pas que ce soit le bon moment pour moi de le lire, mais mon père compte l’acheter et je n’hésiterai pas à me lancer quand je serai dans le bon état d’esprit.

    • Tout à fait ! Il ne sert à rien de se forcer surtout lorsqu’on parle de plaisir de lire ! Bonne soirée !

  3. Bonjour Matatoune. Merci pour cette belle chronique que j’ai trouvée très émouvante. J’aime beaucoup Delphine de Vigan et j’ai lu un interviuew sur ce nouveau roman. Elle a mis d’elle dans Marie et de sa tante dans Michka. C’est un sujet sensible et c’est important defremercier ceux qui nous ont suivis, aidés à grandir. Mais parfois on y pense trop tard. Bonne journée

    • Ah, merci pour ces renseignements ! Je savais que Michka était un peu quelqu’un de sa famille, sans savoir précisément qui ! Je suis persuadée, même en étant athée, que les pensées, et pourquoi pas les gratitudes non dites, peuvent se dire même si la personne est morte : Car, ces pensées la font revivre au delà du néant ! Et, n’est-ce pas important d’être encore présent au delà de sa mort ….Oh, là, là quelles pensées ce matin … Merci et très bonne journée, Brigitte !

    • Bonjour Matatoune. J’ai cherché et relu ta chronique, maintenant que j’ai lu ce livre et j’ai les larmes aux yeux. Tu as bien exprimé ce que j’ai ressenti moi aussi. Bonne journée

      • Depuis cette lecture, j’ai perdu ma Michka. Ce virus et la solitude ont accélère la perte de ses mots . Et elle qui avait été orthophoniste, ces quelques derniers mots ont été pour appeler  » Maman » qu’elle n’avait plus vu depuis ses 8 ans. Je crois bien que mes larmes aujourd’hui me font du bien ! Merci à toi. Bonne soirée !

  4. j’aime beaucoup cet auteur. Il y a chez elle quelque chose de très vulnérable , émotionnel et subtil qui me touche et donne énormément d’attrait à ce qu’elle écrit. Je n’ai pas encore lu celui dont vous parlez ce jour, mais je vais le faire. Merci pour cette belle présentation Tatoune 🙂 et belle journée

    • J’ai beaucoup aimé celui-là , peut-être parce qu’à mon âge on s’interroge beaucoup sur ce que sera sa grande vieillesse ! J’aime sa façon très émouvante de parler de choses si importantes ! Bonne journée Lisa !

    • Oui, moi aussi, je l’ai découverte avec « Rien ne s’oppose à la nuit  » que j’ai évidement adoré ! Puis, il y a eu une histoire vraie portée en film il y a un ou deux ans , puis les loyautés et celui-ci ! Hâte d’avoir ton avis ! Bonne soirée !

  5. Ce livre doit être hyper dur a lire mais, est sans doute aussi une bonne indication de ce que peux vivre une personne qui perds petit a petit la mémoire….Merci pour cette présentation je viens de l’ajouter a mes envies sur mon site marchand. Bisous

    • Non pas du tout ! Delphine de Vigan ne cherche pas à faire du sensationnel ! Ravie que cela te plaise ! Bonne soirée !

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