Paula Rego et les Contes cruels- Orangerie

Première fois que le Musée de l’Orangerie exposait une artiste vivante : Paula Rego, née en 1935 au Portugal, est la seule femme à faire partie du l’École de Londres ( Slade School -littéralement peinture laide -peinture de boue) comme on l’appelait dans les années 60 au même titre que Francis Bacon, Lucian Freud arrivé à Londres après la prise du pouvoir d’Hitler en 1933, David Hockney…

«Les contes traditionnels sont des équivalents de notre enfance. L’enfant, dans sa perspective, le comprend naturellement et l’illustrateur ne peut aborder le conte que dans cette même perspective qu’il a retrouvé en lui-même. Pour cela, il doit retourner au monde de l’enfance. Mais il est peut-être possible que, au lieu d’y retourner, il se serve de l’enfant qui vit toujours en lui pour instruire son monde adulte.» Paula Rego, 1978

Envoyée officiellement par son père en Angleterre pour dessiner, elle commence très tôt par des collages qui rappellent son admiration pour Bernard Dubuffet : des petites figurines découpées et collées sur une toile. Elle fait des allers et retours entre le Portugal, qu’elle a fui par rapport au régime de Salazar, et l’Angleterre. Pour rappel, le régime Salazar rendait obligatoire l’instruction pour les filles que de 6 à 10 ans !

Paula Rego commence à être vraiment connue lorsque son mari décède d’une sclérose en plaque. Elle l’a accompagné dans sa dépendance pendant de longues années.

Affiche de l’exposition

Composé à la mort de son mari, le tableau, dont est issue cette affiche et qui en montre qu’une petite partie, met l’accent sur les âges différents de la femme. La jeune femme au premier plan est seule et semble déterminée à supporter le veuvage et l’absence.

Au second plan, deux couples avec le même homme mais à des âges différents. C’est son mari, Victor Willing, peintre lui-même et surnommé « porte-parole de sa génération » par des amis comme Francis Bacon. Le couple plus éloigné ressemble à Paula Rego et son mari. Celui plaçait au premier plan représente une femme blonde, sa maitresse certainement ! Qu’importe, la femme de gauche reste la plus forte, elle viellera avec enfant et petit-enfant!

The danse – 1988 –

« Je n’ai peur de rien dans ma peinture. Mais j’ai peur de tout dans la vie. (…) Peindre est une façon de se venger, d’exercer une violence douce ou gentille ». 2015.

Elle ré-interprète tous les contes du 19ème siècle avec un humour noir et les fait coïncider avec sa propre histoire d’immigrée et personnelle.

Snare (Le piège) – 1987 –

« C’est ça pour moi la littérature : des histoires violentes, magiques, dans lesquelles il y a des punitions, des châtiments. Des choses liées à l’éducation des enfants. » P.R

Proie – 1986 –
Détail

Ce regard est présent dans toute son œuvre. Celle qui regarde derrière elle, pour voir, pour garder le contrôle, pour être sûre d’arriver à son objectif. On dit que Paula Rego est gentille dans la vie, souriante et attentive, mais dans ses peintures, elle ne sent laisse pas compter !

Son atelier se transforme. Elle y introduit des éléments composés en papier mâché qu’elle habille et met en scène, des costumes, des poupées de chiffons, tout un tas d’accessoires qu’elle reproduit sur sa toile.

On retrouve chez nombre d’artistes de la scène anglaise, depuis Stanley Spencer en passant par Lucian Freud jusqu’à Ron Mueck, cette même relation nécessaire au modèle, un rendu naturaliste de la peau, des étoffes, un même rapport scrutateur, sans complaisance, au motif. Extrait du Dossier Enseignant

En 1989, elle commence l’illustration des « Nursery Ryhmes » , comptines britanniques pour enfants très populaires d’une strophe ou deux dont l’origine est ancienne. Elle connait parfaitement les illustrations qu’en ont fait Daumier, Grandville ou Benjamin Rabier. Ces contes font ressortir la cruauté et la perversion présentées aux enfants.

Night stories – 1987-

Paula Rego adore les récits sadiques et moralisateurs de la Comtesse de Ségur où l’on inflige aux enfants des punitions et des châtiments.

Madame de Fleurville

Ma chère Sophie, tu as été gourmande, et le Bon Dieu s’est chargé de la punition en permettant cette indigestion qui va te faire rester couchée jusqu’au dîner ; elle te privera de la promenade que nous devons faire dans une heure pour aller manger des cerises chez Madame de Vertel. Quant à être fouettée, tu peux te tranquilliser là-dessus : je ne fouette jamais ; et je suis bien sûre que, sans avoir été fouettée, tu ne recommenceras pas à te remplir l’estomac comme une gourmande. Je ne défends pas les fruits et autres friandises, mais il faut en manger sagement si l’on ne veut pas s’en trouver mal.

  Comtesse de Ségur

En 1987, elle choisit d’illustrer un tableau de la pièce de théâtre « Les Bonnes » de Jean Genet parue en 1947, satire de la bourgeoisie mêlant érotisme et accusation sociale et politique à l’instant où Solange mime l’assassinat de sa maîtresse. Ceci fait penser à Balthus et à ce qu’Antonin Artaud appelait « Le théâtre de la cruauté ».

Les bonnes – 1987

Claire et Solange projettent d’assassiner leur maîtresse, sans toutefois le réaliser. L’ambiguïté est toutefois présente car la maîtresse est peut-être un travesti et peut représenter ce mari malade(sclérose en plaque) qu’elle est obligée de soigner.

The policeman’s daughter – La fille du policeman – 1987 –

Dans ce tableau, l’homme (père, semble-t-il) n’est pas présent, on voit juste une ombre qui représente l’absence. Et, pourtant, l’activité de cette fille est le cirage de ses bottes.

The family – 1988 –

Dans le tableau « La famille », l’homme est dépendant. La femme et la fille l’aide à présenter une figure sociale. Tous attendent un miracle qui sauverait le mari que la petite fille du fond aux mains jointes semble invoquer dans ses prières. Le reliquaire rappelle le triomphe du Bien sur le Mal et le meuble est décoré par une illustration de la fable Le renard et la cigogne.

Détail

Le regard contient de la douceur et de la dévotion mais aussi une détermination à être, à tenir coûte que coûte malgré les difficultés !

Blue Fairy whispers to Pinocchio – La fée bleue chuchote à l’oreille de Pinocchio – 1995 –
Sculpture de Pinocchio réalisé par Ron Mueek – 1995 –

L’histoire de la marionnette qui devient un garçon est abordée de façon hyperréaliste, sauf la taille qui n’est pas conforme !

Gepetto lavant Pinocchio – 1996 –

Paula Rego fait travailler sa famille : sa fille est la fée bleue et son beau-fils Gepetto. Ses peintures abordent le mythe de Pygmalion et de la création artistique.

Pygmalion, profondément misogyne, refuse de se marier car les seules femmes passablement épousables sont des prostituées. Il se réfugie dans la création d’une statue parfaite à ses yeux, représentant de manière très claire son idéal féminin. Il l’a faite de cire, et la considère comme une vraie femme, la pare, lui offre des cadeaux, l’embrasse. Mais hélas ce n’est qu’une statue. Vénus, dans sa grande mansuétude la transforme en femme vivante. Pygmalion qui voit sa statue devenir un être de chair et de sang en tombe amoureux et l’épouse. Wikipédia

War – 2002

En 2002, Paula Rego s’empare de l’œuvre littéraire « Jane Eyre » de Charlotte Bronte en produisant 25 lithographies qui auront un succès important.

Dog woman – (femme chien ) – 1994

Dans la série « Dog Women », la stature d’une autorité masculine est présente hors cadre. La posture de cette femme semble s’y soumettre et pourtant, son visage démontre le contraire: son indépendance, sa force et sa puissance. En inversant ainsi les choses, Paula Rego dénonce la dépendance et la soumission de la condition féminine.

Détail
Série Dog-Women – 1994
Détail

Pour marquer son adhésion au mouvement pour l’avortement, Paula Rego a peint une série de tableaux hyperréalistes montrant des femmes essayant d’avorter seule. Aucun de ces tableaux n’ont été présentés à l’Orangerie. Mais c’est important de rappeler l’engagement féministe qu’on perçoit dans la série « femmes chiens » ou dans la série de femmes dans un cadre professionnel comme la femme du tableau la fête.

La fête

De la danse des heures dans Fantasia de Walt Disney, Paula Rego en propose une lecture à la fois plus grossière et aussi plus sensuelle.

Autruches dansantes de Fantasia – Wald Disney – 1995
Autruches dansantes de Fantasia – Wald Disney – 1995
Fantasia – La danse de heures – Wald Disney
Autruches dansantes de Fantasia – Wald Disney – 1995

« Mes sujets favoris sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies. Je veux toujours tout changer, chambouler l’ordre établi, remplacer les héroïnes et les idiots ». Paula Rego

The balzac story – L’histoire de Balzac – 2011 –

Dans ce conte fantastique que Picasso illustra, Balzac dresse le portrait d’un peintre génial et fou, pose la question de la représentation, du rapport au modèle. Paula Rego s’empare de ce récit en inversant les positions: les peintres sont des femmes qui, plutôt que d’avoir recours à une muse (modèle) font leur autoportrait; lorsqu’il y a modèle, c’est un homme que la peintre brutalise, plaque contre la toile et recouvre d’un aplat vert à l’instar du personnage de Balzac, le peintre Frenhofer, qui masque sa toile d’une serge verte lorsqu’il prend conscience du désastre. Dossier de presse

The Fisherman triptych – Le tryptique du pêcheur- 2003 –

Dans ces tableaux, Paula Rego illustre une scène familiale de pêche où le père de Paula remonte un poulpe. Seulement, la petite fille représentée dans le tableau de droite et celui du milieu semble illustrer des sentiments particuliers pour le pêcheur, donc du père.

Paula Rego dans son atelier

Autant dire que cette exposition m’a vraiment enthousiasmée ! Je ne connaissais pas du tout! L’arrivée de la nouvelle commissaire, Cécile Debray, dépoussière l’institution de l’Orangerie pour mon plus grand plaisir !

Entrée de l’exposition

Photos personnelles

Sources

L’Art et la matière – France culture – Paula Rego – Une peinture narrative.

Dossier enseignants – ressources documentaires

Questions pratiques

Musée de l’Orangerie

Les contes cruels de Paula Rego
Commissariat : Cécile Debray, conservateur en chef, directrice du musée de l’Orangerie

Du 17 octobre 2018 au 14 janvier 2019

12 commentaires

  1. SUPERBE!!!! je ne la connaissais pas… c’est vraiment impressionnant! j’aime beaucoup « les autruches », et Pinocchio « les bonnes » … en fait tout me plaît 🙂
    merci pour ce partage!

    • Ravie que tu apprécies ! Oui, j’ai vraiment aimé découvrir cette peintre peu connue en France mais très appréciée de l’autre côté de la Manche! Bonne soirée !

  2. Merci infiniment pour cette très belle découverte. Je ne connaissais pas mais voilà une artiste très intéressante qui m’a fait un peu penser ( dans la façon de traduire ses sentiments et ressentis personnels, son vécu, au travers de ses œuvres) à Nikki de St Phalle. J’aime sa façon narrative , noire en effet, de ré-interpréter des contes – Dans les ballets j’apprécie souvent de voir comment certains chorégraphes se ré-approprient des contes de fées, c’est toujours très particulier, mais ça donne matière à réfléchir … avec elle c’est pareil – Merci Tatoune !

    • Merci beaucoup ! Ravie ! Oui, c’est vrai! Je n’avais pas pensé à Nikki de St Phalle dans sa radicalité et sa façon de narrer la féminité ! …Bon Weekend !

    • Merci à toi ! La sculpture de Pinocchio était aussi impressionnante ! Une artiste que je ne connaissais pas mais que je suis ravie d’avoir découverte ! Bon WE

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