Gaspard de la nuit – Élisabeth de Fontenay

Prix Fémina Essai 2018

Gaspard de la nuit d’Élisabeth de Fontenay est un essai philosophique sur son frère unique âgé de 80 ans et qui a vécu en marge de la vie à cause de son handicap mental.

Il est de certains livres qui s’imposent et s’offrent une place dans votre vie sans qu’on s’en rende compte. J’avais entre-aperçu Élisabeth de Fontenay à La Grande Librairie. Je savais que je lirai ce livre sans savoir quand ! Lorsque je l’ai enfin vu sur la table de ma librairie, il m’est tout d’un coup devenu indispensable de l’acheter, puis de lire, rapidement, comme en apnée. 

Élisabeth de Fontenay choisit de se raconter et de raconter son amour pour ce frère, non pas en nous révélant sa vie ou en nous racontant ses souvenirs, même si il y en a dans cet essai. Non, elle choisit de nous révéler cette existence longtemps caché à travers sa réflexion philosophique et ses connaissances littéraires, tout ce qui a fondé l’engagement de toute sa vie.

Elle fait défiler tout au long de son livre les philosophes et les psychanalystes qui ont fait évoluer la notion d’arriéré à celle de personne atteinte de trouble envahissant du développement ou trouble du spectre de l’autisme.

Du coup, j’ai eu le plaisir de retrouver l’Abbé de l’Epée qui inspira le sens de l’engagement de ma tante, religieuse,  auprès des personnes sourdes et muettes – Itard et l’enfant sauvage d’Aveyron, première personne connue à avoir tenter d’éduquer ce qui alors était inéducable – Maud Manoni, psychanalyste,  et son essai crucial « Les enfants arriérés et sa mère » qui révolutionna les perceptions sur le handicap mental à partir de ses travaux dans son centre de Bonneuil – Et,  bien sûr, Michel Foucault, celui qui a pris la direction du secteur philosophique de l’université de Vincennes en 1968 avant de rentrer au Collège de France. Tellement de ses livres sont importants : son célèbre « Histoire de la folie à l’âge classique », « Surveiller et punir – Naissance de la prison » et ses trois volumes sur l »Histoire de la sexualité.

Ce livre m’a replongée dans mon engagement pédagogique et mes valeurs d’enseignante. Tout enfant a droit à une éducation de qualité quelque soit ses aptitudes et son potentiel. Personne ne doit être laisser au bord du chemin de la connaissance aussi infime soit-elle !

Bien sûr, Elisabeth de Fontenay souligne l’étrangeté de ce frère dont le langage est absent, sa difficulté à accepter ses rituels et même à en appréhender sa souffrance. Mais, elle démontre aussi combien l’expérience avec ce frère si différent a été au cœur de son militantisme pour le respect des animaux, au cœur du cheminement de sa pensée tout au long de ses années d’engagement philosophique.

Ce Gaspard de la nuit, nommé ainsi par Elisabeth de Fontenay en référence à un auteur du XIX ème siècle, premier à écrire un poème en prose du même titre, confirme sa présence au monde en acceptant d’accompagner sa sœur sur le chemin de sa vie, de ses passions et donc de sa philosophie. C’est un essai magnifique écrit par une artiste du langage sur son frère qui en est privé à jamais !

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Ce fut un geste fondateur que de caractériser la déficience intellectuelle comme une blessure, de rapatrier l’ impuissance mentale dans l’histoire d’un être et de récuser tant l’invariabilité de la faiblesse d’esprit que la trop fragile hiérarchisation des intelligences.

Mais ce que je crois savoir, c’est que j’ai pris la place de mon frère et que, rendue libre par son effacement, j’ai gardé notre nom pour moi toute seule.

Le fait que des femmes et des hommes d’Église, loin de considérer cette célébration comme une mascarade, l’aient tenue pour un sacrement reçu dans la plénitude de son sens m’émeut encore comme au jour de mes treize ans, bien que ces choses- là ne signifient, depuis longtemps, plus rien pour moi.

Il a fallu, dans l’impossibilité où je me trouve de tracer avec précision l’entrelacs de ma vie avec une tout autre vie que la mienne, avec cet ailleurs inaccessible qui m’est échu, me contenter de scruter des souvenirs pour confronter à certains moments de notre présent.

Je cherche seulement à le faire exister tel qu’il s’est dérobé aux siens et n’y parviens qu’en usant de la première personne du singulier dans laquelle la sœur, la narratrice et la philosophe cohabitent de manière intranquille. 

a noter

Gaspard de la nuit – Élisabeth de Fontenay

Parution : 29 août 2018

ISBN : 223408590X

Éditeur : Stock

Lecture : Décembre 2018

13 commentaires

    • Artiste du langage certainement pas au sens littéraire du terme mais au niveau philosophique puisqu’elle sait disséquer les

  1. Très belle chronique pour un livre dont j’ai lu un article dans le magazine Lire. J’ai apprécié tes références et j’entrevois ton émotion. Tu me donnes envie de le lire, merci 🙂

  2. Une histoire qui donne de quoi réfléchir sur ce silence que tant ne peuvent briser alors qu’ils auraient sans doute à dire et ceux qui ne savent que le réduire a néant avec des banalités (pour rester polie) affligeante! Bisous bisous

  3. Une critique très touchante. Un frère démuni de parole mais pas d’amour, une cohabitation silencieuse mais pleine. Merci pour ce partage si sensible et si plein de sens.

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